Redécouverte de Jean-Marie Guyau, libre penseur des instincts moraux.
Tombé de nos jours dans l'oubli, Jean-Marie Guyau est l'un des philosophes français les plus originaux de la seconde moitié du XIXe siècle et assurément l'un de ceux qui méritent d'être redécouverts. Son Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, parue pour la première fois en 1885 et rééditée aujourd'hui par les soins de Philippe Saltel - qui publie parallèlement une étude sur la philosophie de Jean-Marie Guyau (La puissance de la vie, 424 p., Encre marine, 35 euros) - fut en son temps un livre célèbre qui attira l'attention de lecteurs illustres. Nietzsche, qui lut et annota ce «livre raffiné, mélancoliquement courageux», reconnaissait en «ce brave Guyau» l'un de ces libres penseurs qui avaient compris que les instincts moraux ont leur siège dans la vie et que la fin la plus élevée que nous puissions nous fixer consiste dans le maximum d'expansion de notre puissance vitale. Né en 1854, Jean-Marie Guyau est le fils d'Augustine Tuillerie, auteur du Tour de France par deux enfants, et le beau-fils du philosophe Alfred Fouillée qui contribua à faire connaître sa pensée et son oeuvre après sa mort. Particulièrement brillant et précoce, il n'a pas vingt ans lorsque son premier ouvrage est couronné par l'Académie des sciences morales et politiques. Chargé d'un cours de philosophie au lycée Condorcet, il doit vite renoncer à l'enseignement en raison d'une santé fragile. Il passe dès lors ses hivers à Menton et à Nice et est emporté à trente-trois ans par la tuberculose, laissant derrière lui une dizaine d'ouvrages - dont un recueil de poésie intitulé Vers d'un philosophe, L'irréligion de l'avenir et cette Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction qui est son chef-d'oeuvre.
Tout individu s'efforce de persévérer dans son être
Récusant tout à la fois kantisme et utilitarisme, morale du devoir et morale de l'utilité, Guyau nous propose une morale positive fondée sur les faits, laquelle ne peut être à ce titre,
estime-t-il, qu'individualiste et «ne doit se préoccuper des destinées de la société qu'en tant qu'elles enveloppent plus ou moins celles de l'individu». Inspiré par l'évolutionnisme de Darwin,
il élabore ainsi une morale naturaliste, dont le principe se trouve dans la vie elle-même: «Point de principe surnaturel dans notre morale; c'est de la vie même et de la forme inhérente à la
vie que tout dérive.» Les instincts moraux y ont leur source, en deçà de la conscience, car «tout désir conscient a d'abord été un instinct». Empruntant à Spinoza l'idée que tout individu
s'efforce de persévérer dans son être, Guyau conçoit la morale comme «la science qui a pour objet tous les moyens de conserver et d'accroître la vie, matérielle et intellectuelle». Les lois
suprêmes de la morale se confondent avec les lois les plus profondes de la vie, et ce que l'on appelle habituellement devoir ou obligation n'a en réalité d'autre origine, pour lui, que cette
«fécondité morale» en vertu de laquelle «pouvoir agir, c'est devoir agir»: «L'obligation morale, qui a son principe dans le fonctionnement même de la vie, se trouve par là avoir son principe
plus avant que la conscience réfléchie, dans les profondeurs obscures et inconscientes de l'être.» On ne dira donc plus, comme chez Kant, «Tu dois, donc tu peux», mais «Je peux, donc je dois».
A rebours des moralistes prétendant «résoudre d'une façon définitive et universelle des problèmes qui peuvent avoir quantité de solutions singulières», la morale de Guyau est sans obligation en ce sens qu'elle n'obéit à aucune loi transcendante et universelle: elle est «anomique» - sans loi - et laisse toute spontanéité à l'individu. Sans obligation, la morale de Guyau est également sans sanction. «Pourquoi, s'interroge-t-il, ce sentiment tenace, ce besoin persistant d'une sanction chez l'être sociable, cette impossibilité psychologique de rester sur l'idée du mal impuni?» Car si la défense sociale, tournée vers la prévention des crimes à venir, est certes légitime, l'idée de sanction ou de réparation des actes passés lui semble en revanche absurde et immorale. D'où un idéal de justice pénale conçu comme «le maximum de défense sociale avec le minimum de souffrance individuelle».
Cette «morale de la vie», dont l'optimisme et le ton un rien désuet peuvent parfois prêter à sourire, est, on le voit, aux antipodes de tout cynisme et de tout égoïsme. Vivre n'est pas seulement, nous rappelle Guyau, accumuler et épargner, c'est aussi dépenser. Autrement dit, l'égoïsme pur n'est qu'une mutilation de soi, tandis que l'altruisme ou l'amour sont la preuve d'une capacité morale supérieure.
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Vendredi 24 octobre, à Rimouski
« La recherche phénoménologique selon Heidegger », un séminaire organisé par le Cercle
interdisciplinaire de recherches phénoménologiques. Conférencier invité: M. Harold Descheneaux, philosophe. À la salle D-340 de l'UQAR Rimouski, de 9h à midi et de 14h à 17h. Renseignements:
Mélanie Belzile, doctorante et assistante de recherche melanie.belzile@uqar.qc.ca .
Jostein Gaarder, norvégien, est né le 8 août 1952 à Oslo. Philosophe et auteur contemporain, il enseigne la philosophie dans la région de Bergen en Norvège. Il mène de front l'enseignement et l'écriture qui constituent l'essence même de sa vie. Gaarder s'est donné comme pari de livrer une histoire de la philosophie accessible à tous. Il n'écrit pas vraiment des romans, mais pas non plus de simples documentaires, ses ouvrages demeurent une bonne approche didactique de l'histoire de la philosophie. C'est le pari réussi de l'auteur d'avoir fait, non pas un manuel aride et traditionnel de la philosophie, mais le roman de l'aventure philosophique, vivant et agréable à lire. Il s'amuse à tracer une histoire, loin du cours magistral, à travers la réflexion et l'expérience personnelle de ses héros. Il tente de combattre cette idéologie qui consiste à juger les gens sur ce qu'ils font plutôt que sur ce qu'ils sont. Il connaît, dans son pays, un succès unanime pour une oeuvre d'une profonde originalité. Bibliographie
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« L'univers est une énigme : dès que je m'interroge à son sujet, je me sens plus vivant »
Jostein Gaarder