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Ecosia : Le Moteur De Recherch

28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 08:52
Site Jacques Derrida - Accueil
Biographie, bibliographie, artciles, essais et actualités au sujet du philosophe .
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27 octobre 2008 1 27 /10 /octobre /2008 18:48
Ses citations

«Le bon esprit consiste à retrancher tout discours inutile, et à dire beaucoup en peu de mots.»
[ Fénelon ] - De l'éducation des filles

«On ne surmonte le vice qu'en le fuyant.»
[ Fénelon ]

«Afin qu’un ouvrage soit véritablement beau, il faut que l’auteur s’y oublie, et me permette de l’oublier.»
[ Fénelon ]

 Voir les 56 citations de Fénelon

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27 octobre 2008 1 27 /10 /octobre /2008 18:10

 

Kâma sûtra
par Shri Vâtsyâyana

 

( Livre )
Flammarion
Collection GF
Langue d'origine : sanskrit
Traduit par Alain Daniélou
1999, 640 p., 11 euros

ISBN : 2080710001

Le Kâma Sûtra a souvent été réduit à un simple manuel d'érotisme. Tableau de l'art de vivre d'un citadin civilisé et raffiné, il complète par une théorie de l'amour, de la sexualité et du plaisir, les traités de politique, d'économie et de morale que sont l'Artha Shâstra et le Dharma Shâstra. Il entreprend une étude systématique et sans préjugés de tous les aspects essentiels de l'existence. Le puritanisme, la religiosité et le faux mysticisme qui sévissent dans l'Inde moderne n'existent pas dans la société décrite par Vâtsyâyana et ses prédécesseurs. Vâtsyâyana semble avoir été un brahmane, un grand lettré, à une époque d'effervescence culturelle (IVe siècle de notre ère).

Considéré comme une science annexe de la tradition religieuse, l'art érotique faisait partie de l'éducation des enfants et des adolescents. Les sources et les commentaires, habituellement séparés du texte, restituent la tradition dans toute son ampleur. Alain Daniélou, pour la première fois, traduit les commentaires hindi et sanskrit, et redonne au Kâma Sûtra toute la vigueur de son enseignement. Le Kâma Sûtra reste d'une actualité surprenante, bréviaire de l'amour pour tous les temps.

Traduction intégrale du texte sanskrit de Vâtsyâyana, du premier commentaire Jayamangalâ de Yashodara et d'une partie du commentaire moderne en hindi de Devadatta Shâstri

____________________________________________

Si vous commandez ce livre à partir de cette page, BiblioMonde touchera une commission et vous participerez ainsi au financement du site.

 

 

 

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27 octobre 2008 1 27 /10 /octobre /2008 12:35

Entretien avec Clément Rosset.

Cet entretien entre Clément Rosset et Jean-Louis Maunoury a été publié primitivement dans la revue La Mètis, que dirigeait alors Maryline Desbiolles (nº 3 « La Joie », juillet 1990).

Nous remercions vivement Clément Rosset, Jean-Louis Maunoury et Maryline Desbiolles de nous avoir autorisé à reprendre cet entretien sur ce site.

Mis en ligne le 2 octobre 2008.

© Clément Rosset, Jean-Louis Maunoury et Maryline Desbiolles.

Sur ce site, lire le compte rendu du livre de Clément Rosset par Pierre Campion, L'École du réel.


De la joie et du réel, et de quelques autres mots

Entretien de Clément Rosset avec Jean-Louis Maunoury

Jean-Louis Maunoury : Si vous parlez essentiellement de la joie dans votre livre La Force Majeure[1], vous employez aussi les mots d'allégresse, de gaieté… Quelle différence faites-vous entre ces mots ?

La joie et l'allégresse ne dépendent pas de l'occasion

Clément Rosset : Je me demande si vous posez la question au philosophe ou à l'écrivain. En tant que philosophe, je vous avoue que je ne dissocie pas entre allégresse, gaieté, joie et que tous ces mots conviennent à ce dont j'ai voulu parler dans le livre auquel vous faites allusion. Mais un philosophe est aussi un écrivain et du point de vue de l'écriture, je ferais forcément des nuances. Peut-être moins entre allégresse et joie qu'entre allégresse et gaieté. « Gaieté » nous indique des nuances inanalysables, impalpables. Mais de prime abord, « gaieté » me semble impliquer quelque chose de plus soudain, peut-être de plus léger, quelque chose comme du champagne et peut-être plus tributaire de l'humeur, quelque chose qui est changeant comme l'humeur (on est gai ou on n'est pas gai) alors que l'allégresse ou la joie implique quelque chose de plus stable, plus durable même si cela disparaît complètement certaines heures ou certains jours mais quelque chose qui revient toujours comme une basse continue en musique. La gaieté me semble plus tributaire de l'occasion alors que la joie et l'allégresse ne dépendent pas de l'occasion. Et non seulement elles ne dépendent pas de l'occasion mais elles peuvent très bien intervenir contre l'occasion un peu à la manière des leitmotive dans Wagner qui quelquefois contredisent et non pas soulignent ce qu'était en train de dire le chanteur sur la scène. Il arrive souvent qu'on ait des explosions internes de joie, cette joie ou cette allégresse que je dis pérennes alors que l'occasion est absolument mauvaise et semble plutôt devoir incliner à la tristesse ou à la mélancolie. La joie est si souvent peu en accord avec l'occasion que je pourrais avoir comme devise ce que dit Joffre et qui est à peu près : « Ma droite est enfoncée, ma gauche est en déroute, mon centre cède, tout va bien, j'attaque ! »

Dans Nietzsche, dans Montaigne, dans Pascal il y a des remarques très pénétrantes sur le fait que la joie est indépendante de toute occasion de réjouissance et je pense à un mot de Pascal où il dit en gros : « J'ai mes brouillards et mon beau temps en dedans de moi. Ma fortune qu'elle soit mauvaise ou qu'elle soit bonne y fait peu. »

Le versant sombre et le versant gai de la jubilation

J.-L. M. : Un autre mot que je voudrais vous proposer, c'est le mot de jubilation. Je suis comme vous sans doute un grand lecteur de Cioran et on a l'impression qu'il y a chez Cioran une véritable jubilation, d'abord une jubilation des mots et puis aussi une jubilation de l'état du monde. Vous parlez dans La Force majeure de « l'Incontentement » de Cioran. Est-ce qu'on peut être un incontent jubilatoire, est-ce qu'on peut tirer une joie de la négativité, du pessimisme absolu, comment est-ce que tout cela peut s'articuler ?

C. R. : Je reviens à la sémantique et à la saveur des mots, à la couleur et à la valeur expressive des mots qui est bien sûr un grand mystère.

Comme dirait Spinoza, tous ces mots sont des « modes » de la joie. Il y a quelque chose d'effervescent dans la jubilation plus encore que dans la gaieté. Il y a une espèce de joie intérieure, de rire intérieur et le rire est plus présent dans la jubilation que dans les autres modes de la joie. Il y a peut-être un versant sombre, un versant gai de la jubilation, une magie blanche et une magie noire de la jubilation. Mais pour ma part j'y vois essentiellement quelque chose de ludique, d'innocent et qui évoque des plaisirs tout à fait immédiats, manger une poire ou tremper les pieds dans l'eau quand on a chaud. Je pense à l'épigraphe de Henri de Régnier pour les « Jeux d'eau » de Ravel : « Dieu fluvial riant de l'eau qui le chatouille »…

Il y a aussi une jubilation sombre et la jubilation de Cioran, cette jubilation du monde, mais cette jubilation négative a des connotations sardoniques. Il y a aussi un rire jubilatoire qui va du côté non pas de l'appréciation du monde, mais d'une dépréciation du monde et qui peut vous saisir au spectacle de tout ce que le monde et les hommes ont de désolant et de ridicule. C'est un petit peu en ce sens que jubilent les demi-Dieux Ho Ho, deux demi-Dieux chinois toujours ensemble, l'un racontant à l'autre qui s'en plie les côtes, les dernières bévues des hommes dues à leur sottise. C'est dans cet esprit Ho Ho qu'on peut rire des catastrophes qui arrivent à l'humanité et qui dans neuf cas sur dix ne sont pas dues à la fatalité mais à la bêtise des hommes.

J.-L. M. : Ne jubile-t-on pas justement seulement des choses négatives ? On a l'impression que les anges ne jubilent pas, qu'ils sont joyeux et que c'est Satan qui jubile.

La jubilation de Satan est l'antichambre de la jubilation des anges

C. R. : Je pense que les anges jubilent eux aussi… Je revendique les deux jubilations pour ma part. La jubilation noire fait plus de place au rire, la jubilation blanche fait plus de place au sentiment immédiat de l'approbation de l'existence qui n'a même plus besoin du rire. J'ai toujours pensé que le rire était l'avant-dernière étape de la joie qui ne se confond pas tout à fait avec la joie mais la rend possible d'une certaine façon. La jubilation de Satan est l'antichambre de la jubilation des anges. Cioran, lui, jubile en noirceur, c'est un grand jubilant, l'homme est aussi jubilant que son œuvre et sa jubilation à écrire le malheur est si grande qu'elle permet justement de surmonter le malheur.

J.-L. M. : Ce qui est jubilatoire pour nous lecteurs, c'est de découvrir avec Cioran une évidence qu'on n'a pas été capable de formuler.

C. M. : Une fois je lui avais dit : « Vous savez ce que vous écrivez c'est exactement ce que je pense » et il m'a répondu très modestement bien que le propos puisse paraître très immodeste, d'un ton absolument désolé : « Bien évidemment, puisque c'est la vérité. » Mais la jubilation de Cioran ne se confond pas avec la joie. Cioran relate dans un article consacré à Beckett qu'ayant demandé à ce dernier : « Pourquoi écrivez-vous ? », Beckett répondit à la grande surprise de Cioran : « Je ne sais pas, peut-être la joie. » Que Cioran soit surpris de ce que Beckett puisse écrire par joie me paraît être le symptôme que l'écriture de Cioran si jubilatoire qu'elle soit ne connaît pas la joie. Cioran a un côté plus irréconcilié que Beckett.

J.-L. M. : Il semble que chez Cioran ce soit la noblesse dans l'expression qui lui permette de ne pas sombrer totalement dans le désespoir.

L'élégance de Cioran

C. R. : Oui, la noblesse, l'élégance peut-on dire. La dernière fois que j'ai vu Cioran, comme nous parlions du suicide, il dit cette chose très drôle : « C'est vraiment très inélégant de se suicider. »

J.-L. M. : D'après ce que j'ai pu lire, ceux qui éprouvent la joie la plus extrême, ce sont les grands mystiques, que ce soit Rûmi, Maître Eckart, sainte Thérèse d'Avila. […] Ils décrivent toujours les états suprêmes de la joie et en même temps pour les mystiques cette joie est indissociable d'une souffrance dont ils disent qu'elle est aussi indicible que la joie. Est-ce que pour vous cette association joie et souffrance des mystiques est un des aspects du paradoxe de la joie dont vous parlez lorsque vous dites qu'il n'y a de joie que contrariée ?

La souffrance surmontée comme le révélateur de la joie

C. R. : Je ne veux pas trop parler de l'expérience mystique que je connais mal même dans ses traces écrites, mais je ne peux pas me dérober à cette pensée qu'il y a un élément de mysticisme dans la joie que je décris comme non fondée en raison ; dès qu'on entre dans la déraison, on est peut-être déjà dans une mystique. D'autre part la pensée que la joie est toujours contrariée n'est pas motivée par le goût de la souffrance mais par le fait que la souffrance surmontée me paraît servir de révélateur de la joie, même la souffrance la plus aiguë comme par exemple la prise de conscience absolue de tout ce qui rend l'existence peu désirable. Comme le disait Nietzsche : « Ce qui ne tue pas fortifie. » La souffrance est une amie dans la mesure où elle peut servir de test de la joie. Mais ce que vous appelez la souffrance, je l'appellerais le tragique, pour moi la joie n'existe pas sans sa composante tragique. La présence du tragique dans la joie est peut-être comparable à la présence de la souffrance intense dans la joie des mystiques. Mais je serais très prudent, je sens le terrain glissant…

« Les Dieux ont caché ce qui fait vivre les hommes » Hésiode

Une des difficultés d'écrire la joie consiste en ce qu'elle est très intime ; dans vos livres, hormis la loufoquerie, notamment dans Palais Lascaris[2] et Le Saut de l'ange[3], ce qui m'intéresse beaucoup ce sont les mots d'intimité, ce que font et pensent les héros de vos livres est insensé et en même temps obéit à un rituel qui est non-dit et qui est l'intimité même puisqu'on n'en parle pas ; mais il constitue dans son absurdité et dans le fait qu'il n'est pas dit, la trame autour de laquelle tente de s'organiser la vie des personnages. C'est un rituel mystique dans le sens où il est caché. En cela je suis tout à fait mystique si mystique veut dire « ce qui est caché ». J'ai mis en épigraphe à La Force Majeure un mot de Hésiode : « Les Dieux ont caché ce qui fait vivre les hommes. »

« J'ai découvert que toute grande philosophie est constituée de mémoires intimes masqués » Nietzsche

Dans vos livres vous avez dévoilé fort pudiquement l'intimité de vos personnages. Quant à moi la nature de mes intérêts philosophiques est si intime que justement elle m'a fait faire de la philosophie. C'est par incapacité d'écrire pudiquement de la prose romanesque ou poétique que j'ai choisi un peu instinctivement un mode d'expression qui me donnait les plus grandes assurances contre le risque d'exhibitionnisme. Je ne dis pas qu'un artiste autre qu'un philosophe soit nécessairement un exhibitionniste, mais en ce qui me concerne je n'aurais pas résolu le problème d'être expressif sans être impudique. Il y avait dans la philosophie quelque chose qui me mettait à l'abri de mes mauvaises tendances. J'ai toujours trouvé beaucoup de saveur à la remarque de Nietzsche au début de Par-delà le bien et le mal : « J'ai découvert que toute grande philosophie est constituée de mémoires intimes masqués. »

J.-L. M. : L'être qui est fondamentalement joyeux, c'est l'enfant. L'enfant est l'exemple même de celui dont vous parlez, c'est-à-dire de celui qui est joyeux sans raison. Et l'enfant est aussi celui qui ne parle pas. Je me demande si le malheur n'est pas justement dans la parole : ne dit-on pas qu'une vraie joie est indicible ? Mais chez l'enfant cela va plus loin ; c'est qu'il ne sait même pas que sa joie est indicible. L'homme joyeux n'est-il pas celui qui s'oublie lui-même ? Il rejoindrait en cela le mystique qui dit que la joie intense est de s'oublier soi-même, de s'abîmer.

C'est « on » qui est joyeux, ce n'est pas « je »

C. R. : Bien sûr, c'est « on » qui est joyeux, ce n'est pas « je ». La joie implique une disparition complète du « je ». L'enfant est présent constamment dans les parages de ce que j'essaie de décrire et du reste quand je vous parlais de l'épigraphe des Jeux d'eau de Ravel, j'ai pensé tout de suite en vous le disant à l'enfant, l'enfant au bain, l'enfant riant de l'eau… Il y a un rapport évident entre la joie, l'innocence et l'enfant, l'infans, celui qui ne parle pas. Mais si la mystique de la joie nous amène à penser qu'il y a un rapport entre l'expérience de la joie et sa contrariété, je dirais que la joie de l'adulte est la joie de l'enfant mais, comme dirait Hegel, devenue consciente d'elle-même par la médiation de cette contrariété. Par conséquent, votre objection me semble plutôt être une confirmation de ma thèse puisque de même que je ne fais guère de différence entre l'adulte joyeux et l'enfant joyeux, de même je pense que cette différence réside justement dans la joie devenue consciente par la médiation de ce qui la contrarie. La joie de l'adulte ne peut espérer plus que d'être une perpétuation de la joie de l'enfant malgré et en raison de la contrariété de la conscience.

J.-L. M. : Autrement dit, celui qui est incapable d'accepter sa propre enfance est incapable d'être joyeux…

La joie est toujours une résurgence de l'enfance

C. R. : La joie est toujours une résurgence de l'enfance. La joie, tant de l'enfant que de l'adulte un peu resté enfant, n'est pas liée fondamentalement à l'amour de la mère, bien que cet amour ait une importance primordiale, mais je pense que la joie même de l'enfant est faite de la découverte de l'existence, c'est-à-dire du sentiment que le monde existe et que l'enfant lui-même existe. Il y a une espèce d'émotion ontologique à éprouver que nous sommes au monde. Personnellement, par le témoignage de proches, je sais que j'énonçais souvent, lorsque j'étais enfant, l'idée que j'étais très content d'exister. C'était une joie dont je n'ai su qu'elle était indicible que beaucoup plus tard. Il faut distinguer entre dire la joie, ce que peut faire l'enfant, et penser la joie, ce que ne peut faire que l'adulte.

J.-L. M. : Vous dites que la joie a à voir avec le réel cependant que la tristesse est toujours liée à l'irréel. Cela me paraît très fort et tout à fait juste. Vous dites aussi que l'unique affection c'est la joie et que l'amour n'est finalement qu'une modification de cette affection première. Comment situez-vous le détachement qui ne me semble pas forcément joyeux mais ni forcément triste ? Est-ce que vous concevez qu'il y ait véritablement une attitude de détachement qui distinguerait par exemple le saint du sage ?

Qui cherche le détachement ne se détache pas

C. R. : J'inclinerais à penser, avec beaucoup de réserves, que même sous ses formes les moins amères, le détachement implique une contrariété dans l'exercice de la joie. Il implique qu'une contrariété n'a pas été tout à fait surmontée ou acceptée et que la joie est frappée d'interdiction momentanée. Voyez-vous, je pense à Tolstoï. Il me semble qu'un homme comme Tolstoï a toujours rêvé du détachement. Ce qui est remarquable dans son œuvre c'est la quête et l'échec de la recherche du détachement car qui cherche le détachement ne se détache pas. C'est pourquoi le détachement est le signe qu'on ne se détache pas tout à fait.

J.-L. M. : Vous pourriez rencontrer quelqu'un qui vous dirait : « Je suis détaché même du détachement »… S'il y a un faux détachement, cela n'implique-t-il pas qu'il y en ait un vrai ?

La joie implique quelque chose comme une liberté

C. R. : Je ne sais pas, je crois qu'il est toujours faux. Si je devais parler de vrai détachement, je parlerais d'un détachement dans un tout autre sens qui serait lui toujours impliqué dans l'expérience de la joie. Il me semble que de même que le rire implique une distanciation à l'égard de l'existence, la joie implique, en même temps qu'une adhésion inconditionnelle à l'existence, quelque chose comme une liberté qui ne serait pas une liberté métaphysique, morale, un libre-arbitre mais la liberté dont parle Spinoza à la fin de L'Éthique, c'est-à-dire une libération et là je parlerais de vrai détachement. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, l'expérience de la joie implique une adhésion, mais pas une adhésion de « je ». Dans le détachement, dans le sens dans lequel vous employez ce mot, il me semble qu'il y a toujours quelque chose d'inachevé et donc je n'en ferais pas une modalité de la joie. Avec l'âge cependant les problèmes du détachement se posent nécessairement, pas à un philosophe en particulier mais à toute personne. C'est une condition de survie.

J.-L. M. : Est-ce que la joie peut s'acquérir. Est-ce qu'on peut travailler à sa propre joie ? Est-ce que c'est quelque chose qui est un don ou est-ce que je peux me disposer intérieurement à la joie ?

Rien n'est possible sans « l'assistance extraordinaire » de la joie

C. R. : J'inclinerais à penser qu'il n'y a pas d'apprentissage mais il y a sans doute quelque chose comme un entretien, un savoir-vivre, pas le savoir-vivre au sens habituel qui consiste à savoir en user avec ses semblables mais le savoir-vivre qui consiste à savoir en user avec soi-même. De même que toute chose précieuse dans un musée s'entretient, la joie s'entretient : nous sommes les conservateurs de nous-mêmes. Rien n'est possible sans « l'assistance extraordinaire » de la joie comme dirait Pascal, mais quand on bénéficie de cette assistance il n'est pas mauvais de l'entretenir. Nous sommes encore dans la mystique de la grâce, mais j'emploie mystique au sens de mystère. Je suis quelqu'un qui s'intéresse au couple réel/irréel et aux problèmes qui n'ont pas de solutions.

J.-L. M. : Ce que dit le mystique, c'est que si on ne connaît pas la joie, c'est qu'on ne connaît pas le réel car le réel est joie. Seulement le réel n'est pas celui qu'on croit : la réalité dont parle le mystique est inconcevable. Elle est d'ordre transcendantal.

Si transcendantal veut dire « le réel est inconcevable », alors je suis mystique

C. R. : Je serais tenté de dire la même chose puisque je ne suis pas sûr de savoir de quelle réalité je parle. Je prends le réel comme référence absolue mais c'est un réel que je peine fort à concevoir et à décrire. Si transcendantal veut dire « autre chose que le réel », je ne suis pas mystique ; si transcendantal veut dire « le réel est inconcevable », alors je suis mystique.

J.-L. M. : La joie pour le mystique mène à des états extrêmes, à l'extase, à l'illumination pour les bouddhistes par exemple. Elle est une sorte de réconciliation de l'individu avec quelque chose qui le dépasse complètement.

C. R. : Je ferais mien chacun des mots que vous venez d'employer, seulement pour préciser ma situation par rapport au mystique, je dirais que cette réconciliation avec le réel, cette fulgurance du réel, c'est quelque chose qui constitue une extase mais que je trouve dans une éjaculation par exemple. Si je suis mystique, je ne conclus pas à la continence… Mon mysticisme est toujours très terre à terre, il implique une sorte de transcendance du terre à terre et je me rappelle un mot qui m'avait beaucoup amusé d'un de mes collègues, Vincent Descombes, qui m'avait dit d'un air bourru : « Au fond tu es un mystique, mais ta mystique c'est celle du camembert. Que veux-tu, on a le mysticisme qu'on peut… »



[1] Clément Rosset, La Force Majeure, Éditions de Minuit, 1983.

[2] Jean-Louis Maunoury, Palais Lascaris, Éditions du Mercure de France, 1979.

[3] Jean-Louis Maunoury, Le Saut de l'Ange, Éditions Gallimard, 1988.

RETOUR : Entretiens de La Mètis

 
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27 octobre 2008 1 27 /10 /octobre /2008 08:22
Paradoxe
L'École du réel

Clément Rosset
L'École du réel

 

2008
Collection « Paradoxe », 480 p.
29 €
ISBN : 9782707320193
EAN13 : 9782707320193

Ce livre est la réunion et la mise au point des textes que j'ai, depuis une trentaine d"années, consacrés à la question du réel et de ses doubles fantomatiques.
Il développe ainsi un sujet unique, qu’on peut définir comme l’exposé d’une conception particulière de l’ontologie, du « savoir de ce qui est » comme l’indique l’étymologie du mot. Ma quête de ce que j’appelle le réel est très voisine de l’enquête sur l’être qui occupe les philosophes depuis les aurores de la philosophie. A cette différence près que presque tous les philosophes s’obstinent à marquer, tel naguère Heidegger, la différence entre l’être et la réalité commune, sensible et palpable alors que je m’efforce pour ma part d’affirmer leur identité.

Clément Rosset


TABLE

Avant-propos. I. le réel et son double, texte intégral du Réel et son double, nouvelle édition revue et augmentée, Gallimard, 1984 - II. post-scriptum au chapitre précédent, extrait du Réel, traité de l’idiotie, Minuit, 1977 – III. retour sur la question du double, extrait de L’Objet singulier, nouvelle édition augmentée, Minuit, 1985 – IV. mirages, extraits du Philosophe et les sortilèges, Minuit, 1985 – V. le principe de cruauté, extraits du Principe de cruauté, Minuit, 1988 – VI. principes de sagesse et de folie, extrait de Principes de sagesse et de folie, Minuit, 1991 – VII. le démon de l’identité, extrait du Démon de la tautologie, Minuit, 1997 – VIII. le régime des passions, extrait du Régime des passions, Minuit, 2001 – IX. impressions fugitives, texte intégral de Impressions fugitives, Minuit, 2004 – X. fantasmagories, texte intégral de Fantasmagories, Minuit, 2006. 

Les premières pages

 

La revue de presse

Jean Montenot, Lire, avril 2008

Le philosophe Clément Rosset refuse l'illusion qui permet d"échapper au réel. Loin d’être pessimiste, sa pensée est réjouissante et libre !

Comme tout vrai philosophe, Clément Rosset est un homme singulier : l’intuition fondamentale de son œuvre est que l’homme tente le plus souvent de fuir le réel, de le doubler dans tous les sens du terme. Fabriquer un autre monde pour ne pas voir celui qui nous est donné à voir, tel est, aux yeux de Rosset, le vice des philosophes qui, dans le sillage de Platon, se sont faits les contempteurs du réel. Comme le personnage de Poe, dans son Double assassinat dans la rue Morgue, l’être humain est possédé d’une étrange folie : la « manie de nier ce qui est et d’expliquer ce qui n’est pas ».
Fuir le réel de peur qu’il ne nous rattrape, trouver tous les subterfuges possibles pour éviter d’avoir à faire face au réel - et par réel, Rosset n’entend pas autre chose que la « réalité commune, sensible, palpable » –, tel est le ressort, pas toujours caché, pas toujours secret, qui anime ces calomniateurs du monde que sont au fond la plupart des moralistes et des utopistes. Avec Rosset, pas question d’aller voir ailleurs si j’y suis : le tragique de l’existence humaine est que le réel est là dans sa plénitude brute, dans son immédiateté, dans son idiotie, et qu’il faut se mettre à son école qui est, au fond, la seule qui vaille.
Idées sombres, visions pessimistes et bornées de l’existence humaine, apologie du malheur d’être un homme ? Non. Avant tout : refus des médiations et des détours qui grèvent et alourdissent l’existence. Il n’y a pas d’échappatoires possibles, pas de tiroirs secrets ou d’arrière-boutiques où quelque moi caché révélerait sa vraie nature au terme d’on ne sait quelle décantation. Il n’y a rien que la réalité rugueuse (ou molle) à étreindre. C’est pourquoi l’œuvre de Rosset peut être lue comme une tentative de déconstruction des discours des philosophes. Schopenhauer moderne, il n’a de cesse de démasquer l’illusionniste qui sommeille dans presque tout philosophe. Certains, sans doute, échappent plus que d’autres à la critique. Ainsi Parménide, à qui l’on doit sur l’existence, l’être ou la réalité les paroles les plus profondes et les plus définitives : « Ce qui est, ce qui n’est pas, n’est pas. » La belle affaire, proteste le bon sens, mais Rosset montre que ces sentences se révèlent « paradoxales et terrifiantes », car elles condamnent l’homme à la réalité et exigent de lui « un cœur qui ne tremble pas ». D’Epicure, Rosset a gardé le sentiment qu’il est urgent de philosopher, autrement dit de « savoir si l’existence est ou non désirable ». De Spinoza, Rosset a appris que la pleine jouissance de ce qui est était possible. De Nietzsche, que tragique et allégresse n’avaient rien d’incompatible.
Il faut donc lire L’école du réel pour trouver (ou retrouver) le goût du monde, le sens de l’ici-bas et apprendre à appréhender le réel sans ses doubles illusoires. On y apprendra que le réel dissout les fantasmagories aussi sûrement que le soleil dissipe les brumes matinales et que tous ceux qui soutiennent le paradoxe que le réel ne serait que la « somme des apparences, des images, des fantômes qui en suggère fallacieusement l’existence » oublient que le réel n’est en fait jamais perçu, qu’il excède et « déborde les descriptions intellectuelles qu’on peut en donner ».
Reste à souligner la méthode et le style de Rosset. L’expression de sa pensée est claire et directe. Pas de jargon, ni d’emphase : ce philosophe ne se repaît pas des sortilèges du verbe. Mais, il y a plus, sa pensée se nourrit de lectures variées, multiples, hétéroclites et, dans ses écrits, les références à Hergé, à Jules Verne, à Molière, à Courteline ou même à Mozart ou à Ravel côtoient les analyses de Heidegger, de Nietzsche ou de Parménide. Rosset musarde et chaparde au gré de ses lectures des illustrations de sa thèse fondamentale. Mélange des genres ? Centon de citations ? Désinvolture française ? Mobilité plutôt, liberté et allégresse de la pensée. Refus en tout cas des postures et des impostures qui posent ou qui pèsent. Avec Rosset, la pensée est une fête et une promenade au cœur du réel et de ses doubles.
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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 19:43
Bruce Bégout : A première vue, la vie quotidienne constitue le domaine d’une impérieuse nécessité : nécessité vitale, familiale, sociale, professionnelle, ...
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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 18:46
Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé

 

Entretien de Shlomo Sand (2ème photo) face à Daniel Mermet dans là-bas si j'y suis sur france inter

 

Voir le site de l'émission: http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1503

 

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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 17:33
Proust et la philosophie aujourd'hui, Pisa, Edizioni ETS, coll. "Memorie e atti di convegni", octobre 2008, 352p.

Sous la direction de Mauro Carbone et Eleonora Sparvoli


Isbn 13 (ean): 9788846720948

23€


Lire la préface (pdf).



Présentation de l'éditeur:


Sans doute aucun écrivain du XXe siècle n'a donné et ne donne à penser plus que Marcel Proust. On ne cesse en effet de pister dans son oeuvre les signes d'une recherche qui concerne et investit la réflexion philosophique contemporaine. Une attention aussi large et tenace, de la part des philosophes, peut légitimement susciter la défiance d'un littéraire. Cependant, quel qu'en ait été l'angle d'approche, chaque rencontre avec l'oeuvre de Proust a fini comme par miracle par renverser le sens de la question. D'une question posée à une oeuvre appelée à répondre de soi on passe à une question par laquelle l'oeuvre elle-même interpelle celui qui l'aborde, qu'il soit philosophe ou littéraire, donnant précisément matière à penser à nouveau. 
Autour de cette question un groupe interdisciplinaire de chercheurs de la Facoltà di Lettere e Filosofia de l'Università degli Studi di Milano a invité quelques-uns des plus grands spécialistes de l'oeuvre de Proust – philosophes et littéraires - à partager leurs compétences scientifiques respectives, à l'occasion d'un colloque (qui s'est tenu sur les bords du lac de Garde, fin septembre 2006), dont ce volume recueille les actes. L'objectif de cette rencontre - bien illustré dans ces pages - était de se mesurer tous ensemble à ce que la Recherche offre, encore aujourd'hui, de philosophiquement impensé.

Les Auteurs : Miguel de Beistegui, Alberto Beretta Anguissola, Roland Breeur, Mauro Carbone, Barbara Carnevali, Antoine Compagnon, Daniela De Agostini, Luc Fraisse, Paolo Gambazzi, Jacques Garelli, Giorgetto Giorgi, Sara Guindani, Claude Imbert, Eugène Nicole, Francesco Orlando, Franck Robert, Anne Simon, Eleonora Sparvoli, Jean-Yves Tadié.


Table des matières:


Préface 
Mauro Carbone 13 

« Savoir » contre « Voir ». Métamorphose et métaphore 
Francesco Orlando 19 

Robe ou patchwork ? Plan et unité de À la recherche du temps perdu 
Miguel de Beistegui 33 

La vocation invisible 
Eugène Nicole 47 

Aristote à quatre pattes : l'avenir littéraire d'un licencié 
en philosophie 
Luc Fraisse 59 

Un côté antibergsonien de Proust : l'esprit d'analyse 
Giorgetto Giorgi 79 

Les évidences obscures : Proust face à l'énigme de Dostoïevski 
Eleonora Sparvoli 89 

Reflets de vérité : transparence et opacité chez Proust 
Sara Guindani 107 

Proust et Mallarmé. La musique, le théâtre, la danse 
Daniela De Agostini 121 

Amour et musique : thème et variations 
Mauro Carbone 145 

L'institution sensible du sens, Merleau-Ponty et Proust 
Franck Robert 165

Le problème de la Mort dans la Recherche du temps perdu 
Jacques Garelli 183

Le « sens moral » du narrateur 
Antoine Compagnon 191 

Marcel Proust par Roland Barthes 
Anne Simon 207 

Proust et le Cerveau. La tête brisée de Marcel Proust 
Jean-Yves Tadié 223 

Les échasses du prince de Guermantes 
Claude Imbert 231 

Le vertige du temps 
Roland Breeur 257 

Les paperoles de Proust et le boeuf mode de Françoise. 
Point de vue, « liséré de contingences » et essence

Paolo Gambazzi 271 

Proust philosophe du prestige 
Barbara Carnevali 305 

Philosophie nouvelle ou fin de la philosophie 
dans Le Temps retrouvé 

Alberto Beretta Anguissola 323 

Conclusions 
Eleonora Sparvoli 341

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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 16:56


Stefan Sweig

Folie et mort : De l'auteur de La confusion des sentiments, Gutenberg réédite Le combat avec le démon, Kleist, Hölderlin, Nietzsche, publié initialement en 1937. Stefan Zweig y met en parallèle les vies de ces trois philosophes portés par un idéal quasi mystique, qui les poussera vers la folie et le suicide.


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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 11:21
  Envoyé : 26/10/2008 10:35
 
  • Broché: 446 pages
  • Editeur : Fayard (3 septembre 2008)
  • Collection : LITT.GENE.
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2213637784
  • ISBN-13: 978-2213637785
 
Présentation de l'éditeur
Quand le peuple juif fut-il créé ? Est-ce il y a quatre mille ans, ou bien sous la plume d'historiens juifs du XIXe siècle qui ont reconstitué rétrospectivement un peuple imaginé afin de façonner une nation future ? Dans le sillage de la " contre-histoire " née en Israël dans les années 1990, Shlomo Sand nous entraîne dans une plongée à travers l'histoire " de longue durée " des juifs. Les habitants de la Judée furent-ils exilés après la destruction du Second Temple, en l'an 70 de l'ère chrétienne, ou bien s'agit-il ici d'un mythe chrétien qui aurait infiltré la tradition juive ? Et, si les paysans des temps anciens n'ont pas été exilés, que sont-ils devenus ? L'auteur montre surtout comment, à partir du XIXe siècle, le temps biblique a commencé à être considéré par les premiers sionistes comme le temps historique, celui de la naissance d'une nation. Ce détour par le passé conduit l'historien à un questionnement beaucoup plus contemporain : à l'heure où certains biologistes israéliens cherchent encore à démontrer que les juifs forment un peuple doté d'un ADN spécifique, que cache aujourd'hui le concept d'" Etat juif ", et pourquoi cette entité n'a-t-elle pas réussi jusqu'à maintenant à se constituer en une république appartenant à l'ensemble de ses citoyens, quelle que soit leur religion ? En dénonçant cette dérogation profonde au principe sur lequel se fonde toute démocratie moderne, Shlomo Sand délaisse le débat historiographique pour proposer une critique de la politique identitaire de son pays. Construit sur une analyse d'une grande originalité et pleine d'audace, cet ouvrage foisonnant aborde des questions qui touchent autant à l'origine historique des juifs qu'au statut civique des Israéliens. Paru au printemps 2008 en Israël, il y est très rapidement devenu un best-seller et donne encore lieu à des débats orageux.

Biographie de l'auteur
Né en 1946, Shlomo Sand a fait ses études d'histoire à l'université de Tel-Aviv et à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris. Depuis 1985, il enseigne l'histoire contemporaine à l'université de Tel-Aviv. Les Mots et la terre (Fayard, 2006) est son dernier ouvrage publié en français.
 
Source: Amazon.fr

 
Les Juifs forment-ils un peuple ? A cette question ancienne, un historien israélien apporte une réponse nouvelle. Contrairement à l’idée reçue, la diaspora ne naquit pas de l’expulsion des Hébreux de Palestine, mais de conversions successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au Proche-Orient. Voilà qui ébranle un des fondements de la pensée sioniste, celui qui voudrait que les Juifs soient les descendants du royaume de David et non — à Dieu ne plaise ! — les héritiers de guerriers berbères ou de cavaliers khazars.
Par Shlomo Sand

Tout Israélien sait, sans l’ombre d’un doute, que le peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Torah (1) dans le Sinaï, et qu’il en est le descendant direct et exclusif. Chacun se persuade que ce peuple, sorti d’Egypte, s’est fixé sur la « terre promise », où fut édifié le glorieux royaume de David et de Salomon, partagé ensuite en royaumes de Juda et d’Israël. De même, nul n’ignore qu’il a connu l’exil à deux reprises : après la destruction du premier temple, au VIe siècle avant J.-C., puis à la suite de celle du second temple, en l’an 70 après J.C.

S’ensuivit pour lui une errance de près de deux mille ans : ses tribulations le menèrent au Yémen, au Maroc, en Espagne, en Allemagne, en Pologne et jusqu’au fin fond de la Russie, mais il parvint toujours à préserver les liens du sang entre ses communautés éloignées. Ainsi, son unicité ne fut pas altérée. A la fin du XIXe siècle, les conditions mûrirent pour son retour dans l’antique patrie. Sans le génocide nazi, des millions de Juifs auraient naturellement repeuplé Eretz Israël (« la terre d’Israël ») puisqu’ils en rêvaient depuis vingt siècles.

Vierge, la Palestine attendait que son peuple originel vienne la faire refleurir. Car elle lui appartenait, et non à cette minorité arabe, dépourvue d’histoire, arrivée là par hasard. Justes étaient donc les guerres menées par le peuple errant pour reprendre possession de sa terre ; et criminelle l’opposition violente de la population locale.

D’où vient cette interprétation de l’histoire juive ? Elle est l’œuvre, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de talentueux reconstructeurs du passé, dont l’imagination fertile a inventé, sur la base de morceaux de mémoire religieuse, juive et chrétienne, un enchaînement généalogique continu pour le peuple juif. L’abondante historiographie du judaïsme comporte, certes, une pluralité d’approches. Mais les polémiques en son sein n’ont jamais remis en cause les conceptions essentialistes élaborées principalement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.

Lorsque apparaissaient des découvertes susceptibles de contredire l’image du passé linéaire, elles ne bénéficiaient quasiment d’aucun écho. L’impératif national, telle une mâchoire solidement refermée, bloquait toute espèce de contradiction et de déviation par rapport au récit dominant. Les instances spécifiques de production de la connaissance sur le passé juif — les départements exclusivement consacrés à l’« histoire du peuple juif », séparés des départements d’histoire (appelée en Israël « histoire générale ») — ont largement contribué à cette curieuse hémiplégie. Même le débat, de caractère juridique, sur « qui est juif ? » n’a pas préoccupé ces historiens : pour eux, est juif tout descendant du peuple contraint à l’exil il y a deux mille ans.

Ces chercheurs « autorisés » du passé ne participèrent pas non plus à la controverse des « nouveaux historiens », engagée à la fin des années 1980. La plupart des acteurs de ce débat public, en nombre limité, venaient d’autres disciplines ou bien d’horizons extra-universitaires : sociologues, orientalistes, linguistes, géographes, spécialistes en science politique, chercheurs en littérature, archéologues formulèrent des réflexions nouvelles sur le passé juif et sioniste. On comptait également dans leurs rangs des diplômés venus de l’étranger. Des « départements d’histoire juive » ne parvinrent, en revanche, que des échos craintifs et conservateurs, enrobés d’une rhétorique apologétique à base d’idées reçues.

Le judaïsme, religion prosélyte

Bref, en soixante ans, l’histoire nationale a très peu mûri, et elle n’évoluera vraisemblablement pas à brève échéance. Pourtant, les faits mis au jour par les recherches posent à tout historien honnête des questions surprenantes au premier abord, mais néanmoins fondamentales.

La Bible peut-elle être considérée comme un livre d’histoire ? Les premiers historiens juifs modernes, comme Isaak Markus Jost ou Leopold Zunz, dans la première moitié du XIXe siècle, ne la percevaient pas ainsi : à leurs yeux, l’Ancien Testament se présentait comme un livre de théologie constitutif des communautés religieuses juives après la destruction du premier temple. Il a fallu attendre la seconde moitié du même siècle pour trouver des historiens, en premier lieu Heinrich Graetz, porteurs d’une vision « nationale » de la Bible : ils ont transformé le départ d’Abraham pour Canaan, la sortie d’Egypte ou encore le royaume unifié de David et Salomon en récits d’un passé authentiquement national. Les historiens sionistes n’ont cessé, depuis, de réitérer ces « vérités bibliques », devenues nourriture quotidienne de l’éducation nationale.

Mais voilà qu’au cours des années 1980 la terre tremble, ébranlant ces mythes fondateurs. Les découvertes de la « nouvelle archéologie » contredisent la possibilité d’un grand exode au XIIIe siècle avant notre ère. De même, Moïse n’a pas pu faire sortir les Hébreux d’Egypte et les conduire vers la « terre promise » pour la bonne raison qu’à l’époque celle-ci... était aux mains des Egyptiens. On ne trouve d’ailleurs aucune trace d’une révolte d’esclaves dans l’empire des pharaons, ni d’une conquête rapide du pays de Canaan par un élément étranger.

Il n’existe pas non plus de signe ou de souvenir du somptueux royaume de David et de Salomon. Les découvertes de la décennie écoulée montrent l’existence, à l’époque, de deux petits royaumes : Israël, le plus puissant, et Juda, la future Judée. Les habitants de cette dernière ne subirent pas non plus d’exil au VIe siècle avant notre ère : seules ses élites politiques et intellectuelles durent s’installer à Babylone. De cette rencontre décisive avec les cultes perses naîtra le monothéisme juif.

L’exil de l’an 70 de notre ère a-t-il, lui, effectivement eu lieu ? Paradoxalement, cet « événement fondateur » dans l’histoire des Juifs, d’où la diaspora tire son origine, n’a pas donné lieu au moindre ouvrage de recherche. Et pour une raison bien prosaïque : les Romains n’ont jamais exilé de peuple sur tout le flanc oriental de la Méditerranée. A l’exception des prisonniers réduits en esclavage, les habitants de Judée continuèrent de vivre sur leurs terres, même après la destruction du second temple.

Une partie d’entre eux se convertit au christianisme au IVe siècle, tandis que la grande majorité se rallia à l’islam lors de la conquête arabe au VIIe siècle. La plupart des penseurs sionistes n’en ignoraient rien : ainsi, Yitzhak Ben Zvi, futur président de l’Etat d’Israël, tout comme David Ben Gourion, fondateur de l’Etat, l’ont-ils écrit jusqu’en 1929, année de la grande révolte palestinienne. Tous deux mentionnent à plusieurs reprises le fait que les paysans de Palestine sont les descendants des habitants de l’antique Judée (2).

A défaut d’un exil depuis la Palestine romanisée, d’où viennent les nombreux Juifs qui peuplent le pourtour de la Méditerranée dès l’Antiquité ? Derrière le rideau de l’historiographie nationale se cache une étonnante réalité historique. De la révolte des Maccabées, au IIe siècle avant notre ère, à la révolte de Bar-Kokhba, au IIe siècle après J.-C, le judaïsme fut la première religion prosélyte. Les Asmonéens avaient déjà converti de force les Iduméens du sud de la Judée et les Ituréens de Galilée, annexés au « peuple d’Israël ». Partant de ce royaume judéo-hellénique, le judaïsme essaima dans tout le Proche-Orient et sur le pourtour méditerranéen. Au premier siècle de notre ère apparut, dans l’actuel Kurdistan, le royaume juif d’Adiabène, qui ne sera pas le dernier royaume à se « judaïser » : d’autres en feront autant par la suite.

Les écrits de Flavius Josèphe ne constituent pas le seul témoignage de l’ardeur prosélyte des Juifs. D’Horace à Sénèque, de Juvénal à Tacite, bien des écrivains latins en expriment la crainte. La Mishna et le Talmud (3) autorisent cette pratique de la conversion — même si, face à la pression montante du christianisme, les sages de la tradition talmudique exprimeront des réserves à son sujet.

La victoire de la religion de Jésus, au début du IVe siècle, ne met pas fin à l’expansion du judaïsme, mais elle repousse le prosélytisme juif aux marges du monde culturel chrétien. Au Ve siècle apparaît ainsi, à l’emplacement de l’actuel Yémen, un royaume juif vigoureux du nom de Himyar, dont les descendants conserveront leur foi après la victoire de l’islam et jusqu’aux temps modernes. De même, les chroniqueurs arabes nous apprennent l’existence, au VIIe siècle, de tribus berbères judaïsées : face à la poussée arabe, qui atteint l’Afrique du Nord à la fin de ce même siècle, apparaît la figure légendaire de la reine juive Dihya el-Kahina, qui tenta de l’enrayer. Des Berbères judaïsés vont prendre part à la conquête de la péninsule Ibérique, et y poser les fondements de la symbiose particulière entre juifs et musulmans, caractéristique de la culture hispano-arabe.

La conversion de masse la plus significative survient entre la mer Noire et la mer Caspienne : elle concerne l’immense royaume khazar, au VIIIe siècle. L’expansion du judaïsme, du Caucase à l’Ukraine actuelle, engendre de multiples communautés, que les invasions mongoles du XIIIe siècle refoulent en nombre vers l’est de l’Europe. Là, avec les Juifs venus des régions slaves du Sud et des actuels territoires allemands, elles poseront les bases de la grande culture yiddish (4).

Ces récits des origines plurielles des Juifs figurent, de façon plus ou moins hésitante, dans l’historiographie sioniste jusque vers les années 1960 ; ils sont ensuite progressivement marginalisés avant de disparaître de la mémoire publique en Israël. Les conquérants de la cité de David, en 1967, se devaient d’être les descendants directs de son royaume mythique et non — à Dieu ne plaise ! — les héritiers de guerriers berbères ou de cavaliers khazars. Les Juifs font alors figure d’« ethnos » spécifique qui, après deux mille ans d’exil et d’errance, a fini par revenir à Jérusalem, sa capitale.

Les tenants de ce récit linéaire et indivisible ne mobilisent pas uniquement l’enseignement de l’histoire : ils convoquent également la biologie. Depuis les années 1970, en Israël, une succession de recherches « scientifiques » s’efforce de démontrer, par tous les moyens, la proximité génétique des Juifs du monde entier. La « recherche sur les origines des populations » représente désormais un champ légitimé et populaire de la biologie moléculaire, tandis que le chromosome Y mâle s’est offert une place d’honneur aux côtés d’une Clio juive (5) dans une quête effrénée de l’unicité d’origine du « peuple élu ».

Cette conception historique constitue la base de la politique identitaire de l’Etat d’Israël, et c’est bien là que le bât blesse ! Elle donne en effet lieu à une définition essentialiste et ethnocentriste du judaïsme, alimentant une ségrégation qui maintient à l’écart les Juifs des non-Juifs — Arabes comme immigrants russes ou travailleurs immigrés.

Israël, soixante ans après sa fondation, refuse de se concevoir comme une république existant pour ses citoyens. Près d’un quart d’entre eux ne sont pas considérés comme des Juifs et, selon l’esprit de ses lois, cet Etat n’est pas le leur. En revanche, Israël se présente toujours comme l’Etat des Juifs du monde entier, même s’il ne s’agit plus de réfugiés persécutés, mais de citoyens de plein droit vivant en pleine égalité dans les pays où ils résident. Autrement dit, une ethnocratie sans frontières justifie la sévère discrimination qu’elle pratique à l’encontre d’une partie de ses citoyens en invoquant le mythe de la nation éternelle, reconstituée pour se rassembler sur la « terre de ses ancêtres ».

Ecrire une histoire juive nouvelle, par-delà le prisme sioniste, n’est donc pas chose aisée. La lumière qui s’y brise se transforme en couleurs ethnocentristes appuyées. Or les Juifs ont toujours formé des communautés religieuses constituées, le plus souvent par conversion, dans diverses régions du monde : elles ne représentent donc pas un « ethnos » porteur d’une même origine unique et qui se serait déplacé au fil d’une errance de vingt siècles.

Le développement de toute historiographie comme, plus généralement, le processus de la modernité passent un temps, on le sait, par l’invention de la nation. Celle-ci occupa des millions d’êtres humains au XIXe siècle et durant une partie du XXe. La fin de ce dernier a vu ces rêves commencer à se briser. Des chercheurs, en nombre croissant, analysent, dissèquent et déconstruisent les grands récits nationaux, et notamment les mythes de l’origine commune chers aux chroniques du passé. Les cauchemars identitaires d’hier feront place, demain, à d’autres rêves d’identité. A l’instar de toute personnalité faite d’identités fluides et variées, l’histoire est, elle aussi, une identité en mouvement.

Shlomo Sand.

Source: http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205

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