Sous l'effet du passage au matriarcat et de la crise économique, il entrerait dans les relations humaines de plus en plus de perversité, c'est-à-dire un rapport à l'autre purement
utilitaire. Telle est la thèse de Dominique Barbier, expert-psychiatre au contact de ces nouvelles pathologies
BibliObs.- Vous observez dans vos consultations une évolution des pathologies. Quels sont ces nouveaux troubles ?
Dominique Barbier.- Nous sommes en pleine mutation sociale, ce qui entraîne des modifications considérables de la pathologie mentale. On se demande en effet ce qu'est devenue
l'hystérie, on voit très peu de névrose obsessionnelle, peu de cas de phobie. En revanche, la toxicomanie, l'alcoolisme et la dépression connaissent une augmentation notable. De même que les
troubles du comportement, les passages à l'acte agressifs, la délinquance et les troubles de la personnalité.
BibliObs.- Quelles en sont les principales causes ?
Dominique Barbier.- J'interprète cette modification comme le résultat de la fin du patriarcat et l'avènement du matriarcat: pour faire bref, le patriarcat entraînait le refoulement,
l'adaptation au réel et son acceptation par l'effet de castration de la fonction paternelle. Le matriarcat, quant à lui favorise une dépendance à la mère avec disqualification du père (qui
s'en arrange plus ou moins bien) et l'on arrive ainsi de plus en plus souvent à l'âge adulte sans être sevrés. La fonction paternelle de coupure de la fusion avec la mère n'a pu advenir. Or
la fonction du sevrage est de faire comprendre au nourrisson et à l'enfant qu'ils n'ont pas à tout attendre de l'extérieur, qu'ils ont à se contenter, non à toujours consommer.
Si le sevrage est mal fait, on aura tendance à consommer toujours plus. D'où les pathologies de l'oralité : addictions, boulimie/anorexie et les multiples dépendances, qui s'intègrent
parfaitement dans la société de consommation. C'est ainsi qu'on fabrique des états-limites, qui sont parfaitement adaptés à nos sociétés postmodernes, qui sont des sociétés de l'avoir. On ne
se pose même plus la question de l'être.
BibliObs.- A quoi reconnaît-on un état-limite ?
Dominique Barbier.- Pour résumer, la frontière entre lui et l'autre n'est pas clairement définie. Il a besoin de «prolonger son moi» dans l'autre pour un renforcement d'identité, qui
constitue sa dépendance. C'est dans ce besoin consommatoire de l'autre qu'il présente un cousinage avec la perversion, mais qui elle est une structure constituée. Le non-sevrage de la
personne en état-limite, la non-défusion à l'égard de la mère fait que sa personnalité d'adulte n'est pas autonome, sa place n'est pas définie. Il est «addicte» de l'autre. C'est comme si
l'autre l'hypnotisait. Dans cette hypnose, les événements ne font pas histoire mais sont immédiatement effacés par l'événement suivant dans un zapping sans sédimentation.
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Les vampires sont parmi nous
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Nous avions rencontré Dominique Barbier à l'occasion d'un dossier sur «Millénium»,
en quête du spécialiste capable de décrypter le face-à-face entre l'héroïne, Lisbeth Salander, et son tuteur sadique. Chaleureusement recommandé par Boris Cyrulnik,
Dominique Barbier, habité comme son illustre confrère d'une vraie passion pour le métier, nous avait longuement entretenu des mécanismes et divers degrés de la perversion
mentale; avant d'ajouter, que, la société contemporaine était une véritable «fabrique» d'hommes pervers.
De plus en plus de pervers ? Non pas bien sûr au sens courant de serial killer ou autre dérive spectaculaire, mais dans une acception plus ordinaire ; celle où
la relation à l'autre tend à devenir essentiellement utilitaire. L'autre qui, bien souvent, ne serait plus qu'un objet dans une stratégie d'épanouissement à sens unique ou
de réparation d'un ego mal construit, nous expliquait en substance Dominique Barbier. Ainsi, les pervers seraient comme des vampires qui, sans en avoir l'air,
puisent dans un autre leur vitalité, créant chez ce dernier un malaise durable et diffus.
Rendez-vous fut pris pour que le spécialiste nous en dise un peu plus. C'est chose faite.
Anne Crignon
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BibliObs.- Et quel est le profil d'un pervers ?
Dominique Barbier.- Il faut opposer la perversité à la perversion. La première constitue un trait de personnalité, la seconde une structure, c'est-à-dire un mécanisme constant de
fonctionnement psychique. Le pervers s'insinue dans le fantasme de l'autre, dont il a une connaissance intuitive bien meilleure que l'intéressé : il fait croire à l'autre, même en dehors
des mots, qu'il lui est indispensable et qu'enfin il y a quelqu'un qui le comprend, dans un fantasme de complétude totale. Il s'agit d'une effraction dans l'autre et d'un rapt d'identité, à
l'insu de sa proie.
Ce prédateur, qui évoque l'image du vampire, va de mieux en mieux au fur et à mesure qu'il anémie sa victime ; c'est un destructeur, il a une indifférence à la souffrance de l'autre dont
il peut abuser. Sa culpabilité apparaît inexistante. C'est la jouissance à perte de vue où l'autre est réduit à n'être qu'un outil entre ses mains.
BibliObs.- Quel est le lien entre l'état-limite et le pervers ?
Dominique Barbier.- Le pervers a une compétence extraordinaire à déstabiliser l'autre avec de petites phrases faussement insignifiantes mais qui s'accrochent à l'inconscient qu'elles
parasitent à notre insu en continuant leur travail de sape. C'est ce que j'appelle les plasmides. Comme l'état-limite est influençable et manque de repères et d'assurance, du fait
d'une personnalité fluctuante, il est la cible privilégiée du pervers, avec lequel ils forment un bon tandem, le conducteur étant bien sûr le pervers.
BibliObs.- Est-ce un phénomène de société selon vous ?
Dominique Barbier.- Assurément. Nous sommes aujourd'hui dans la gestion de l'autre : que peut-il m'apporter pour optimiser mes possibilités, mes convenances, mon bien-être ?
BibliObs.- Quelles sont les conséquences sociales de ce renversement de pathologie ?
Dominique Barbier.- Cette absence de sevrage a une conséquence très nette : un discours présidentiel qui a réponse à tous les problèmes est en adéquation parfaite avec l'époque,
laquelle ne supporte pas le manque - y compris le manque de réponse. Et qui cherche une mère archaïque, même à la tête de l'Etat. En quelque sorte, notre Président a réponse à tout. Il
ne favorise pas le « travail du manque » qui est la fonction paternelle de défusion. Il répond trop bien au fantasme du citoyen, ce qui ne règle en rien les problèmes
sociétaux. Nous sommes gavés de toute part, jusqu'à ne plus y trouver notre compte : si l'on veut remplir le récipient, le débit du robinet ne doit pas être trop fort sinon le récipient
reste vide. Nous en sommes là aujourd'hui, dans le vide par excès ! L'homme en est réduit seulement à sa valeur économique, ce qui le dépossède de sa dimension spirituelle et psychique,
fondée sur le manque.
BibliObs.- Avec un degré d'individualisme rarement atteint ?
Dominique Barbier.- Oui, le but de la vie semble être aujourd'hui la jouissance à perte de vue, ce qui, obligatoirement, amène à l'individualisme par absence d'altérité. Le non-sevrage
ne nous fait pas aller vers l'autre. De plus, la politique actuelle résultant d'une guerre économique mondialisée casse ce qui est encore humain en nous. Nous sommes dans une marchandisation
de l'existence.
Propos recueillis par Anne Crignon
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D.R.
Criminologue et expert-psychiatre, Dominique Barbier est l'auteur de nombreux livres de psychiatrie et de psychanalyse, comme «la Dépression» (Odile Jacob), et de nombreux articles
comme «la Rédemption du pervers» dans la revue «Synapse». Il prépare un nouvel ouvrage sur la fabrique de l'homme pervers dans la société contemporaine.
16H26 21/07/2009
A toutes fins utiles et pour rebondir...
Extrait du titre inédit : "Confessions d'un ventriloque"
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"Monsieur, sachez qu'aujourd’hui il n’est plus question de rentabilité... de retour sur investissement, car le besoin légitime d’un retour sur investissement finit là où commence la recherche effrénée du profit maximal ; et cette recherche-là, c’est la recherche du seuil de rupture des modes de production et de fonctionnement musculaires et psychiques de l’espèce humaine salariée. Le fameux point-mort, c’est ça ! Le moteur de cette production humaine, c’est bien le meurtre ! C’est la recherche perpétuelle du concurrent à trucider, pour occuper seul la place et imposer sa loi.
Le monde de l’entreprise c’est un monde totalement orienté vers une logique de guerre et dans la guerre, on ne laisse aucune chance à l’adversaire. On ne partage pas, non plus, le butin ou les territoires conquis avec les troupes qui vous ont permis de gagner cette guerre. Une fois les objectifs atteints, on démobilise tout le monde. Aux soldats, on leur donne une médaille en chocolat pour toute consolation, pour toute indemnité et pour toute récompense.
Ils sont prêts à tout pour survivre même si ce système les condamne tous ! Oui, tous ! Car ce système de production n’existe pour personne d’autre... sinon pour lui-même, tout en sachant comme nous le savons maintenant qu’il faudra qu’ils se sacrifient tous les uns après les autres quand le moment sera venu pour eux de se retirer parce qu’un plus performant qu’eux les aura balayés, eux, leurs salariés, leurs fournisseurs et leurs clients. Leurs successeurs pourront toujours se réjouir et ceux à qui ils distribuent des miettes, avec eux, insoucieux qu’ils sont, les pauvres bougres, du sort qui les attend.
Bientôt, il n’aura plus de nom ce système ! On ne sait déjà plus comment le nommer ! Il n’a déjà plus de visage ! Lorsque le sacrifice de tous contre tous sera partagé par tous, en kamikazes d’une défaite universelle, ce système sera sans morale et sans honneur, car sous le couvert de l’anonymat, tout lui sera permis ! Absolument tout ! Le moteur de ce système, c’est bien le meurtre : celui du meurtrier et de ses victimes et puis encore... le meurtre de ce même assassin qui se donne la mort... en tuant.
Alors, aujourd’hui, qu’est-ce qui nous reste à célébrer ? Je vous le demande. Sûrement pas la vie ! Pourquoi croyez-vous que les femmes n’enfantent plus là où ce système triomphe sans conteste ? Il vient de là, le déficit démographique. La fin, nous sommes ! La fin et les moyens. Rien d’autre. Plus rien au-dessus de nous : plus rien ne nous dépasse. Plus rien devant nous. Ne cherchez pas ! Quelque part au fond de nous-mêmes, nous savons tous... que nous sommes tous... déjà morts."
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Auteur à la recherche d'un éditeur à l'adresse suivante : http://sergeuleski.blogs.nouvelobs.com/-_synopsis_entretiens_commentaires_et_extraits/