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Ecosia : Le Moteur De Recherch

11 août 2008 1 11 /08 /août /2008 22:13
La folie de l'ésotérisme

par Claire Chartier, Natacha Czerwinski, mis à jour le 17/06/2005 - publié le 20/06/2005

Cinéma, littérature, BD, art de vivre... C'est le grand retour de l'occulte et du surnaturel, la revanche de la pensée magique sur la raison toute-puissante. Une curieuse alchimie qui mêle charlatanisme et sincère quête spirituelle, phénomène de mode et redécouverte d'une tradition millénaire

Trente millions d'exemplaires! En quelques mois, le stupéfiant Dan Brown a su faire de son best-seller une vague de fond. Et il récidive aujourd'hui avec Anges et démons (Lattès) - 700 000 exemplaires vendus en France depuis sa sortie, le 3 mars dernier. Cette fois, pas de Marie-Madeleine dans le placard, mais un trépassé anonyme marqué au fer rouge du mot Illuminati - une secte du XVIIIe siècle que les méchants cardinaux du Vatican persécutent sans relâche. Dans son prochain roman, Dan Brown ira fouiner du côté des… francs-maçons. Pas très original, peut-être, mais au moins la déferlante «brownesque» fait des heureux. Beaucoup d'heureux. Dans la foulée du Da Vinci Code, sept «analyses critiques» ont déboulé en librairie, pointant les faussetés contenues dans l'ouvrage. Là encore, la potion s'est révélée magique. Le Code Da Vinci décrypté, de Simon Cox (Pré aux clercs), et Le Code Da Vinci: l'enquête, des journalistes Marie-France Etchegoin et Frédéric Lenoir (Robert Laffont), ont atteint la barre des 200 000 exemplaires. Le filon ne semble pas près de se tarir, puisqu'un nouvel opus est encore prévu pour fin août, La Vérité sur «Anges et démons», le phénomène Dan Brown décrypté, de Victor Loupan et Alain Noël (Presses de la Renaissance). «Tous ces bouquins font mon boulot d'attachée de presse», ironise Anne-France Renaud, chez Lattès, qui ajoute que l'éditrice, Isabelle Laffont, compte publier un Dan Brown tous les ans. On la comprend.

C'est la grande revanche de l'irrationnel, de l'impénétrable et de l'hermétique: le triomphe de l'ésotérisme. L'ésotérisme au sens très large, s'entend, reflet déformé d'une tradition philosophique et spirituelle millénaire fondée sur la croyance en une harmonie universelle, sur le décryptage des symboles et sur un ensemble de pratiques magico-initiatiques. Les adeptes des chausse-trapes et des secrets, du Saint-Graal et des clefs de l'au-delà, du sens caché et de la pénombre se multiplient, comme si, après trois siècles d'emprise rationaliste, une irrésistible envie de divaguer s'était emparée de nos esprits corsetés. S'engouffrant dans l'espace laissé libre par les religions traditionnelles, surfant sur la paranoïa propre aux périodes de crise, l'esprit occulte souffle partout. Au cinéma, L'Annulaire, le nouveau film de Diane Bertrand d'après un roman de Yoko Ogawa, narre les tourments d'une jeune femme, blessée au doigt, qu'un naturaliste taiseux finit par initier aux secrets de son étrange laboratoire. L'an dernier, Blueberry, l'expérience secrète, sorte de western chamanique, relatait les péripéties visionnaires du héros de Jean Giraud. Avant lui, Le Seigneur des anneaux ou Matrix avaient déjà largement ouvert la brèche. Dans les librairies aussi, l'ésotérisme est devenu incontournable.

Ils voient des signes partout

Magie des signes et des symboles, croyances en une puissance supérieure… Même battues en brèche par le savoir scientifique, les superstitions (du latin superstare: «se tenir au-dessus») restent vivaces. En juin 2003, 36% des Français se disaient convaincus que certains actes avaient automatiquement des conséquences, bonnes ou mauvaises (enquête d'Opinion Wave). Mieux: 29,3% des bac + 3 avouaient souscrire à ces peurs et petites manies. Selon un récent sondage mené outre-Manche, plus d'un tiers des Britanniques refuseraient de déménager un vendredi 13 et 47% d'entre eux d'acquérir une maison «hantée» (sic)
A l'image de la société, les superstitions se sont individualisées. «Les gens se créent leurs propres rites, que ce soit à travers un vêtement ou un objet fétiche, souligne Christophe Lefébure, historien du patrimoine (La France des croyances et des superstitions, Flammarion). Ils ont de moins en moins confiance en eux et ne savent plus à quel saint se vouer. Moins rigide que la religion, la superstition permet de choisir sa conduite.»
Cette soif d'espoir et de merveilleux a des retombées commerciales. Chez Truffaut, célèbre enseigne de jardinerie, 12 500 clients font l'acquisition, chaque année, d'un trèfle à quatre feuilles. De la poupée mexicaine Macho, censée assurer la fidélité du conjoint, aux escapularios, petites images pieuses à porter en pendentif, en passant par le ruban brésilien Bonfim, l'irrationnel bobo est à la mode. Même Leonardo DiCaprio porte ce bonheur-là autour du poignet. C'est dire.

«Renouer avec les énergies divines»

A la Fnac, les collections sur le sujet occupent plus de place en rayon que tous les monothéismes réunis. Les manuels de parapsychologie et de développement personnel s'enrichissent d'une pincée d'occulte, tel Le Pouvoir du moment présent, guide d'éveil spirituel, d'Eckart Tolle (Ariane). Et, récemment, les boutiques strictement ésotériques se sont mises à fleurir sur les trottoirs parisiens. A la librairie de l'Inconnu, dans le VIe arrondissement de Paris, des pierres et des pyramides trônent en vitrine. Des pendules, accrochés au comptoir, côtoient des lampes en cristal de sel et des ouvrages sur la radiesthésie ou l'astrologie. Ce matin, Patrice, employé commercial de 33 ans, s'apprête à acheter un ouvrage révélant les «archives akashiques» de notre galaxie. «J'ai du mal à expliquer pourquoi je m'intéresse à ces sujets, confie cet Antillais d'une petite voix. Cela me permet sans doute de trouver des réponses à mes questions sur le sens de la vie et d'illuminer mon quotidien.» Sur Internet, les sites qui s'affichent à la rubrique «sciences ésotériques» pullulent, offrant à la vente des sachets de «charbons ardents» ou des manuels sur le «secret des nombres», avec, en toile de fond, planètes et ciels étoilés clignotants. Valeurs sûres: les arts divinatoires (astrologie, tarots, voyance), les saints et les anges. L'Oracle de Belline, de Colette Silvestre (Grancher), s'écoule chaque année à près de 20 000 exemplaires.

Mais le druidisme fait aussi une percée remarquée. Les écolos férus de phytothérapie succombent aux sortilèges de la civilisation celte, telle Sylvie Merle, 46 ans, qui voit là «une belle façon de renouer avec les énergies divines à l'œuvre dans la nature». Cette naturopathe appartient à l'Ordre druidique des enfants de la Terre, né au tournant du nouveau millénaire. Huit fois par an, lors des fêtes d'équinoxe, du solstice et des célébrations celtiques, ses adeptes - environ 500 - se retrouvent pour célébrer leurs rituels à ciel ouvert. «L'être humain a une âme qui a besoin de vivre, explique Sylvie. Le druidisme m'a apporté un équilibre, une force dans le quotidien.» Avait-elle vu venir la vague? Yaguel Didier, la pythie des stars, publie aujourd'hui avec Marc Sich La Nuit des esprits (Plon): les mésaventures d'une jeune femme lâchée dans la lande bretonne, parmi druides et fantômes.

Jadis considéré comme ringard, sinon grand-guignolesque, l'ésotérisme est devenu tendance. «Dire que l'on est adepte de l'ésotérisme dans les salons en ville, ça fait bien», remarque, amusé, le dessinateur de BD Didier Convard, auteur de la série culte Le Triangle secret (600 000 exemplaires vendus). Convard est entré en «ésotérie» à l'âge de 15 ans. «Un ami, un vieux monsieur cultivé, m'a posé une question qui m'a intrigué: "Est-ce que tu connais l'histoire du frère jumeau du Christ?"» Elevé dans un milieu catholique pratiquant, Convard allait alors au patronage. «Je me suis mis à lire des ouvrages sur l'interprétation des Evangiles et sur les mythes, raconte-t-il. Mais c'était très déstabilisant, parce que je devais garder secret cet intérêt.» Quelques années plus tard, Convard tire de ses flâneries imaginaires le thème de sa série Le Triangle: Jésus aurait fait crucifier son frère, caché à sa place. Comme quoi, Dan Brown n'a rien inventé sur les petits secrets de famille des Ecritures. «Quand j'ai proposé la série, il y a quinze ans, personne n'y croyait, reprend le dessinateur. On m'a dit: "Pourquoi l'ésotérisme?"» Aujourd'hui, aucun éditeur n'aurait l'idée de poser la question. Les sept titres de la collection Loge noire, que Didier Convard dirige chez Glénat, se sont vendus à 1 million d'exemplaires. Les 30-50 ans adorent.

2 000 ans avant Dan Brown

L'auteur de Da Vinci Code est l'héritier d'une longue lignée. Dès l'Antiquité, ce genre de romans à clef - on ne disait pas encore «ésotériques» - ont fasciné le public. Le best-seller du IIe siècle après Jésus-Christ, les Métamorphoses ou L'Ane d'or, d'Apulée, fourmille de métaphores qui suggèrent plusieurs niveaux d'interprétation à partir d'une banale intrigue érotico-amoureuse. Au Moyen Age, Chrétien de Troyes (1180), puis Wolfram von Eschenbach (entre 1200 et 1210) enrichissent le genre en narrant les aventures des chevaliers de la Table ronde en quête du Graal. Allégorie amoureuse et parcours initiatique, le Roman de la Rose, entamé par Guillaume de Lorris et terminé par Jean de Meung (de 1230 à 1285), invite, lui aussi, à une poétique traversée des apparences. Au XVIIIe siècle, Goethe reprend le flambeau à la fin de sa vie en rédigeant, de 1825 à 1832, une seconde version de son Faust (1773). Entre-temps, le poète a rencontré des adeptes de la Rose-Croix, découvert l'alchimie et l'occultisme, puis rejoint la franc-maçonnerie en 1780. Plus près de nous, dans les années 1960, les ouvrages de Gérard de Sède, Les Templiers sont parmi nous, notamment, sont devenus une référence chez les férus d'ésotérisme grand public. Intellectuel et distancié, l'Italien Umberto Eco s'est, lui aussi, piqué au jeu des clairs-obscurs ésotériques dans Le Nom de la rose et Le Pendule de Foucault. Mais c'est au Brésilien Paulo Coelho que l'on doit le plus beau coup de maître, avec L'Alchimiste: 60 millions d'exemplaires vendus. Encore un qui a trouvé la formule.

De plus en plus considérée comme un art à part entière, la BD a rehaussé l'image de l'ésotérisme en l'agrémentant d'une bonne dose d'humour. Madonna, elle, a apporté la touche glamour-pop. L'été dernier, lors de ses concerts à Paris, la chanteuse, métamorphosée en icône de la kabbale, arborait un tee-shirt barré du slogan «Kabbalists do it better» (les kabbalistes le font mieux). Madonna, rebaptisée «Esther», a succombé au verbe puissant de Philip Berg. Ancien agent d'assurances, ce gourou septuagénaire délaissa les écritures comptables pour celles de l'Ancien Testament dans les années 1960 en fondant le Centre de la kabbale, à Los Angeles. Aujourd'hui, le mouvement compte une cinquantaine de centres à travers le monde, dont un à Paris. Depuis que Madonna - qui ne s'est pas convertie au judaïsme mais respecte le shabbat - exhibe un bracelet de laine rouge à nouer autour du poignet en récitant une prière hébraïque, tous ses copains vedettes et autres fashion victims se sont rués sur le bout de fil. Chiquissime, aussi: laisser traîner dans son salon un exemplaire du Zohar (le Livre de la splendeur), dans lequel les kabbalistes puisent les techniques permettant de déchiffrer la symbolique de la Torah.

«Chercher au-delà de la réalité immédiate»

Chez les citadins branchés, c'est le zeste ésotérique qui fait toute la différence. On se jette sur les œuvres du Chilien d'origine russe Alejandro Jodorowsky, scénariste de la fameuse bande dessinée ésotérique L'Incal, qui cumule les casquettes: acteur, réalisateur, auteur d'ouvrages sur le tarot et, pour finir, père de la «psychomagie», à savoir «la magie appliquée à la psychologie» (sic). On aménage son intérieur selon les règles du feng shui, l'art chinois de détecter les bonnes et les mauvaises influences. On se soigne grâce au reiki - une méthode de relaxation et de guérison par imposition des mains née de la croyance japonaise dans le ki, l' «énergie traditionnelle de vie». «Avant, toutes ces histoires me faisaient rigoler, raconte Jean Marco, 64 ans, maître reiki à Paris. Mais il m'est arrivé de faire des impositions des mains, et ça a marché, dit-il. Aujourd'hui, je crois ce que je vois. Il y a des choses que je ne comprends pas, mais je les accepte.»

Il faut bien l'admettre: cartésiens quand il s'agit de critiquer les grandes religions, les Français ne boudent pas le surnaturel. Chercheur au Cevipof (Centre d'étude de la vie politique française), Daniel Boy a analysé cinq enquêtes menées entre 1982 et 2000. Résultat: la foi dans le paranormal prospère. Nous sommes 21% à croire à la sorcellerie, 35% aux rêves prémonitoires et 33% à l'explication des caractères par l'astrologie. Selon un autre sondage, réalisé par l'Ifop l'an dernier, 42% d'entre nous pensent que les miracles existent, et 59% estiment que «quelque chose» subsiste après la mort. Enfin, 26% affirment avoir déjà connu une expérience surnaturelle - de l'hallucination au pressentiment, en passant par l'expérience mystique. Contrairement aux apparences, les diplômes n'immunisent pas contre l'irrationnel. «Ceux qui croient le plus au paranormal sont ceux qui ont fait des études de niveau moyen», souligne Guy Michelat, le directeur de recherche au CNRS qui a participé à l'ouvrage collectif L'Héritage chrétien en disgrâce (L'Harmattan). Dans l'éparpillement spirituel actuel, la vulgate catholique ne fait peut-être plus beaucoup recette, mais, précise le sociologue, «l'héritage chrétien forme un humus sur lequel se sédimentent les nouvelles croyances».

Dans ce monde qui nous déconcerte, parce qu'il va trop vite, parce qu'il se complique et parce qu'il déballe tout sur la place publique, l'ésotérisme est un formidable exutoire. «L'idée qu'il faut aller chercher au-delà de la réalité immédiate s'impose dans toutes les périodes de troubles et d'incertitudes sur les systèmes de pensée traditionnels», rappelle Jean-Pierre Laurant, chercheur au Groupe de sociologie des religions et de la laïcité. Plus on est jeune et détaché des dogmes religieux, plus on croit au surnaturel, observent les sociologues. Rien d'étonnant, donc, à ce que les ados se soient piqués au jeu de l'ésotérisme bien avant leurs parents.

Une vague démoniaque se propage chez les ados

Jacky Cordonnier, historien des religions (Dérives religieuses, Chronique sociale), organise depuis des années des conférences sur les dérives sectaires dans les collèges et les lycées de l'Hexagone. Qu'a-t-il découvert? Que des flopées d'élèves jouent aux apprentis sorciers. Que des foules de gamins sont accros au spiritisme, à l'image de leurs héros des séries télévisées Charmed ou Buffy et les vampires. «Les profs sont sidérés et ils ont de quoi! s'exclame Cordonnier. Les élèves de quatrième ou de troisième font de l'alchimie, ils torturent des animaux, vont chercher des potions et des incantations sur Internet, lancent des invocations au diable et sont persuadés que ça marche!»

Etudiant en BTS électronique, Youri, 17 ans, affirme communiquer depuis deux ans avec l'au-delà au moyen d'une feuille et d'un crayon en bois. Pas de plastique ni de Critérium: «Les esprits n'aiment pas.» Il explique d'un ton sérieux la marche à suivre: «Vous placez votre crayon sur la feuille, vous fermez les yeux et vous posez vos questions. Il ne faut pas s'inquiéter si on ne sent pas le crayon bouger du premier coup, il faut de la détermination.» Et une infinie patience, sans doute. Youri assure que son rituel lui apprend «des tas de choses sur la mort, sur l'avenir» et lui procure «une grande satisfaction intérieure».

Un jeu? Oui, mais un jeu dangereux. «Certains adolescents peuvent être instrumentalisés par des gourous et souffrir de troubles psychiatriques», prévient Jacky Cordonnier. D'autant que l'ésotérisme peut mener au satanisme, doctrine qui invite, elle aussi, à découvrir une autre vérité, en procédant au renversement systématique des valeurs morales. Portée par le rock black metal, la mode gothique et le succès d'icônes pop comme la star androgyne Marilyn Manson, qui était en concert à Paris, le 14 juin, la vague démoniaque se propage chez les jeunes. Les colifichets favoris de ces adeptes au look de vampire? Croix renversées ou étoiles à cinq branches, symboles du Malin. D'après une étude du sociologue Yves Lambert, 21% des 19-28 ans croyaient en l'enfer en 1999, pour 11% en 1981. L'an dernier, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes a relevé 23 profanations de cimetières à caractère nettement satanique, pour 18 en 2003. Certains de ces disciples de Satan basculent vers la mouvance néonazie et son apologie du mal, avertissent les spécialistes. Pas de quoi s'alarmer pour autant, estime le chercheur Guy Michelat. «Les jeunes se bricolent leur propre système spirituel. Du coup, chaque croyance prise séparément, détachée de la symbolique catholique et de sa cohérence, perd de sa signification, analyse le sociologue. Le diable renvoie au mal au sens très large, il devient porteur du désir qu'éprouvent les adolescents de s'opposer à la société.»

Devant un tel foisonnement, on comprend que l'occultisme en poudre de perlimpinpin fasse un malheur. «De 20 à 30% de ma clientèle s'adonne à un ésotérisme de bazar», témoigne le psychiatre Jean-Marie Abgrall, expert des dérives sectaires. Mais les acheteurs de pierre de lune et les magnétiseurs de viande rouge n'ont pas empêché un ésotérisme plus éclairé d'émerger. Fondé sur un cheminement initiatique et des invocations rituelles, le soufisme, la mystique de l'islam, a le vent en poupe. Cette doctrine, qui ne se mêle pas de politique, «attire de plus en plus les musulmans qui veulent vivre un islam de paix, en opposition aux dérives intégristes, et ceux qui cherchent un guide spirituel, explique Soumeya Hjij, de l'association l'Isthme. Nos ateliers rassemblent toutes sortes de gens, des enseignants, des intellectuels, des secrétaires de direction, des assistantes maternelles…».

Brouiller les pistes fait partie du jeu

Chose impensable il y a seulement deux décennies, des astrophysiciens et des spécialistes de la kabbale se mettent à dialoguer ouvertement sur le sens de l'Univers, comme en témoigne l'ouvrage collectif De la science à la philosophie (Albin Michel), qui vient de paraître sous la direction du philosophe et journaliste Michel Cazenave.

Avant que Madonna ne devienne Esther, le rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin attirait déjà les foules avec ses conférences mensuelles et ses précis Mystères de la kabbale ou Mystères des chiffres (plus de 50 000 exemplaires par titre, chez Assouline). «La kabbale enseigne que, sous chaque mot, sous chaque lettre, sous chaque forme de lettre même, il y a un secret, le secret de l'Univers, explique cet intellectuel iconoclaste. Elle satisfait l'envie des gens de savoir ce qu'il y a derrière les choses, mais hors du cadre religieux institutionnel.» Ce faisant, la kabbale flatte aussi l'ego: dans une société où chacun cherche son moi, qui n'aimerait pas se dire qu'il détient des secrets que les autres ignorent? Fabuleux ressort, qui explique sans doute en partie l'imparable ascension des francs-maçons: depuis trois décennies, les héritiers des bâtisseurs de cathédrales recrutent 4 000 fidèles supplémentaires chaque année. Et ce sont les loges spiritualistes qui font le plein.

Mélange de charlatanisme et de sincère recherche spirituelle, l'ésotérisme actuel doit en grande partie ses dérives au New Age, qui a recyclé la doctrine classique dans les années 1970. Mais les faux prophètes ne datent pas d'aujourd'hui. Dès l'Antiquité, un certain Alexandre d'Abonotique envoyait ses espions glaner des renseignements sur la vie et les manies de ceux qui venaient consulter ses oracles. Certes, brouiller les pistes fait aussi partie du jeu. «On trouve chez tous les adeptes de l'ésotérisme ou presque une part de ruse, souligne le philosophe Pierre Riffard, auteur d'un ouvrage de référence sur le sujet, L'Esotérisme (Robert Laffont). Cagliostro avait une face sérieuse, celle d'un franc-maçon solide, et une face charlatanesque de faux médecin. Il sera condamné à mort, puis à la détention perpétuelle par le pape, avant de périr étranglé dans son cachot.»

Bref, pas facile de s'y retrouver. Fatras de rituels farfelus et de définitions très vagues, l'ésotérisme a fini par devenir un mot repoussoir, presque honteux. On ne confie pas à n'importe qui ses penchants «ésotériques». Pourtant, de grands noms de l'histoire de l'humanité se sont inspirés de cette vision du monde, tels Pythagore, Leibniz, Novalis ou Goethe. Preuve qu'il existe bien un ésotérisme «sérieux», même si celui-ci, par nature, se révèle difficile à cerner. Alors, par où commencer? Comme souvent, par l'étymologie. En grec, esoterikos signifie «de l'intérieur». Forme de pensée, style d'imaginaire aux modes d'expression variés (littérature, poésie, musique, peinture), l'ésotérisme s'apparente à «une teinture inhibant des matériaux divers auxquels elle confère une couleur spécifique», résume joliment le spécialiste Antoine Faivre, auteur de L'Esotérisme (PUF). Il repose sur une intuition primordiale: la nature renferme une harmonie universelle, d'origine divine ou non, dont l'homme peut faire éclore les principes en recourant à la puissance des symboles et des allégories. Cette connaissance - la gnose - permet de faire le lien entre l'âme et la nature vivante, peuplée d'entités intermédiaires telles que les anges, les saints et les esprits. «Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut», enseigne l'hermétisme, l'une des doctrines fondatrices de l'ésotérisme traditionnel. L'initié apprend à cheminer au-delà du réel, en suivant la voie tracée par ses maîtres. Il saisit les correspondances et les analogies entre le microcosme, c'est-à-dire l'homme, et le macrocosme, le monde, grâce à l'interprétation des textes prophétiques et le recours à des méthodes précises: l'alchimie, l'astrologie ou la méditation.

Le corps humain, miroir du cosmos

L'ésotérisme occidental a une histoire. Histoire qui fait d'ailleurs depuis 1979 l'objet d'une chaire à la prestigieuse Ecole pratique des hautes études. Les origines de la tradition ésotérique remontent aux mystères d'Orphée et d'Eleusis, ces grandes célébrations à la fois énigmatiques et populaires de l'Antiquité grecque. Au VIe siècle avant Jésus-Christ, le mathématicien et astronome Pythagore, considéré comme le fondateur de l'ésotérisme occidental, affirme que les nombres régissent la nature. Environ deux siècles plus tard, Aristote évoque un savoir «exotérique», destiné à la foule, et un autre type de connaissance, occulte, réservé aux initiés. L'adjectif «ésotérique» n'apparaîtra que plus tard, sous la plume du Grec Lucien de Samosate, vers 166 de l'ère chrétienne. A partir du IIIe siècle avant Jésus-Christ, les néoplatoniciens, rassemblés à Alexandrie, élargissent et diffusent la doctrine ésotérique. Porphyre (234-305), puis Proclus (412-485) reprennent l'idée platonicienne d'une réalité suprasensible divisée en différents degrés, en y ajoutant, sous l'influence de leurs voisins orientaux, la pratique de l'extase, de la magie et de la méditation.

Huit siècles plus tard, l'ésotérisme entre dans son âge d'or. C'est le temps des cathédrales et des compagnons bâtisseurs, qui conçoivent la géométrie comme une écriture divine. Arrimés à leurs chaudrons magiques, les alchimistes transmutent la matière afin d'en révéler la nature première. Les fidèles qui se pressent dans les santuaires gothiques suivent des yeux le pourtour des rosaces jusqu'à leur centre, où trône la Vierge, apogée de la méditation ésotérique. Puis vient l'éblouissement de la Renaissance. Les savants se penchent sur la nature comme sur un livre. Paracelse fonde sa médecine révolutionnaire en traitant le corps humain comme un miroir du cosmos. L'Eglise catholique - pourtant favorable à l'ésotérisme durant les premiers siècles du christianisme - finit par juger hérétiques ces «visionnaires» qui prétendent percer les énigmes de l'Univers en lieu et place de Dieu. Elle s'en prend au philosophe humaniste Pic de la Mirandole, auteur d'une interprétation chrétienne de la kabbale et ordonne même la mise à mort de Giordano Bruno, brûlé vif en 1600 sur ordre du pape Clément VII pour avoir soutenu la thèse de la pluralité des mondes et réfuté la Trinité. A partir du XVIIe siècle apparaissent les sociétés secrètes. Les adeptes de l'ordre de la Rose-Croix disent perpétuer la mémoire de Christian Rosencreutz, un obscur chevalier qui rêvait d'unifier toutes les sagesses de l'humanité avant le Jugement dernier. Rebaptisé «Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix» (Amorc), il compte aujourd'hui environ 10 000 membres, recrutés essentiellement en province et parmi la bourgeoisie.

Les romantiques du XIXe siècle ne pouvaient que céder à leur tour à la passion de l'occulte. Tandis que le philosophe René Guénon échafaudait sa théorie mystico-ésotérique sur l'existence d'une tradition originelle, commune à toutes les religions, la bourgeoisie, confondant spiritisme et ésotérisme, faisait tourner les tables et s'entichait du pseudo-scientifique Eliphas Lévi. Le public raffolait aussi de l'éclectique Helena Blavatsky, fondatrice de la Société théosophique - une centaine de membres en France de nos jours. La dame, qui prétendait recevoir des lettres de maîtres indiens inconnus tombées du ciel, assurait tirer ses connaissances d'un séjour au Tibet, où elle n'avait jamais mis les pieds. En 1902, l'Autrichien Rudolf Steiner fonde le mouvement anthroposophique. Pédagogie, alimentation, disciplines artistiques... Sa doctrine au très large spectre a séduit maints artistes et intellectuels (1 300 adhérents actuellement), mais aussi inquiété certains observateurs. Dans un rapport publié en 2000, l'ex-Mission interministérielle de lutte contre les sectes relevait ainsi les «multiples propos [de Rudolf Steiner] sur le sang et la race, susceptibles d'être interprétés comme racistes».

«L'ésotérisme traditionnel s'inscrit dans une structure précise, rappelle le philosophe Michel Cazenave, qui a longuement exploré ce domaine dans son émission hebdomadaire, Les Vivants et les dieux, sur France Culture. Il repose sur des textes auxquels on ne peut pas faire dire n'importe quoi. Le Corpus hermétique, par exemple [écrits anonymes des IIe et IIIe siècles découverts dans la région d'Alexandrie] doit être passé au crible de l'interprétation rationnelle. Les œuvres ésotériques se fondent sur un système métaphysique, dont l'analyse requiert une vraie réflexion. Les kabbalistes, notamment, passaient leur vie à étudier!» Idem pour les symboles. Leur interprétation dépend des sens que les peuples leur ont donnés dans l'Histoire et de l'empreinte de ces divers sens dans l'inconscient de chaque individu, comme l'a montré le psychanalyste Carl Jung, grand anthropologue de l'imaginaire. «L'ésotérisme est une gymnastique de l'esprit», résume le psychiatre Jean-Marie Abgrall, qui s'y adonne depuis trente ans.

Isaac Newton n'aurait pas dit autre chose. A sa mort, le génie à la pomme laissa derrière lui une grosse malle qui ne fut découverte que deux siècles et demi plus tard. Quels trésors recelait-elle? Des manuscrits d'alchimie. Par paquets. On sait maintenant que le savant passait au moins autant de temps à faire chauffer ses cornues afin de purifier la matière qu'à élaborer sa théorie de la gravitation. «L'ésotérisme n'est pas incompatible avec l'esprit scientifique, mais celui qui le pratique doit replacer les écrits dans le contexte actuel, en tenant compte de nos connaissances en science, en histoire, en sociologie, etc., reprend Michel Cazenave. Au XVIIe siècle, les hommes croyaient se comporter en scientifiques lorsqu'ils s'adressaient à un démon afin d'agir sur la nature. Ce n'est évidemment plus possible de nos jours! Il faut concevoir les esprits comme des projections de notre imaginaire.»

Une puissance ludique et poétique qui fascine

Subtil jeu de miroirs entre le moi et la nature, l'ésotérisme inviterait donc à une traversée existentielle. Avec, au bout du chemin, la découverte d' «une réalité à l'intérieur de nous-mêmes», comme le glisse François Stifani, porte-parole de la Grande Loge nationale française. Une aventure au cours de laquelle l'être se transformerait lui-même, ici et maintenant. Sagesse et promesse d'un bonheur ici-bas, mise en valeur de l'individu: l'ésotérisme, tout comme le bouddhisme, satisfait le besoin de vérité et de vie intérieure, devenu si impérieux aujourd'hui. Mais c'est sans doute en raison de sa puissance ludique et poétique qu'il fascine. «Tout à l'idée que l'Univers est plein de signes, l'ésotérique voit des coïncidences significatives partout, tel André Breton qui croisait et recroisait Nadja sans la chercher, commente le philosophe Pierre Riffard. Il vit dans un esprit d'enchantement.»

Sevré de rêves et de mythes, trahi par le progrès qui s'est retourné contre lui, l'homme d'aujourd'hui trouve dans l'ésotérisme de quoi renouer avec sa part d'imaginaire. Comme le dit le sociologue Jean-Pierre Laurant, ce vagabondage fantasmagorique ouvre «un espace de liberté dans notre société bloquée». Une nouvelle forme de spiritualité est-elle en train de naître? Une spiritualité qui redonnerait toute sa place à l'individu, sans l'enfermer dans une rationalité technique et réductrice? «Il faut se défaire de l'héritage d'un rationalisme naïf qui nous a conditionnés à faire égaler retrait de la religion et disparition de toute espèce de détours par l'invisible, note le philosophe Marcel Gauchet dans Un monde désenchanté? (L'Atelier). Mais le quelque chose qui subsiste n'organise pas notre monde et l'action des individus. Donc, pas de naïveté symétrique consistant à prédire la faillite de notre scientisme desséchant pour cause d'horoscopes et de tables tournantes!»

Ce «quelque chose qui subsiste» - Marcel Gauchet en convient par ailleurs - montre pourtant que les hommes ne se contentent pas de la Raison raisonnable. Qu'ils croient toujours en l'existence d'un absolu. Un absolu qui les dépasse et sur lequel ils se leurrent, peut-être, mais qu'ils ressentent comme nécessaire au plus profond d'eux-mêmes. Vouloir découvrir l'envers des choses, c'est tenter de donner corps à ce sentiment indéfinissable. Une très vieille histoire, en somme.

Post-scriptum
En 2003, l'ésotérisme représentait 9,7 millions d'euros (0,4% du marché éditorial), d'après les derniers chiffres du Syndicat national de l'édition. Les ouvrages classés dans cette catégorie se sont vendus à 1 467 millions d'exemplaires. Mais c'était avant la déferlante Dan Brown.
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C
je me nomme corine âgée de 32 ans j'habite dans le 59139 wattignies . J'étais en relation avec mon homme il y a de cela 4 ans et tout allait bien entre nous deux puis à cause d'une autre femme il s'est séparé de moi depuis plus de 5 mois . J'avais pris par tout les moyens pour essayer de le récupéré mais hélas ! je n'ai fais que gaspiller mes sous.Mais par la grâce de dieu l'une de mes amies avait eut ce genre de problème et dont elle a eut satisfaction par le biais d'un ... nommé ishaou au premier abord lorsqu'elle m'avait parlé de ce puissant je croyais que c’était encore rien que des gaspillages et pour cela j'avais des doutes et ne savais m'engager ou pas. Mais au fur des jours vu ma situation elle insiste a ce que j'aille faire au moins la connaissance de ce puissant en question et c'est comme cela que je suis heureuse aujourd'hui en vous parlant.c'est à dire mon homme en question était revenu en une durée de 7jours tout en s'excusant et jusqu'à aujourd'hui et me suggéré a ce qu'on se marie le plus tot possible.je ne me plein même pas et nous nous aimons plus d'avantage. La bonne nouvelle est que actuellement je suis même enceinte de 2 mois. Sincèrement je n'arrive pas a y Croire a mes yeux qu'il existe encore des personnes aussi terrible , sérieux et honnête dans ce monde, et il me la ramené, c'est un miracle. Je ne sais pas de quelle magie il est doté mais tout s'est fait en moins d'une semaines.(pour tous vos petit problème de rupture amoureuses ou de divorce ,maladie ,la chance , les problèmes liés a votre personnes d'une manière, les maux de ventre, problème d'enfants, problème de blocage, attirance clientèle, problème du travail ou d'une autres) Vous pouvez le contacter sur: son adresse émail : maitreishaou@hotmail.com ou appelé le directement sur whatsapp numéro téléphone 00229 97 03 76 69 son site internet: www.grand-maitre-ishaou-13.webself.net
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J
REVIVRE : J'AI RECONQUÉRIR MON EX MARI APRES 11 MOIS DE RUPTURE. <br /> <br /> <br /> <br /> Bonjour a tous <br /> <br /> <br /> Je me nomme Adriane ,suite au problème vue sur le site je viens pour intervenir et faire <br /> <br /> comprendre a toute personne ayant été déçue comme moi que rien est encore tard .<br /> <br /> Car quand on veux on peu , après un moment de déception avec mon ex qui est <br /> <br /> actuellement redevenu l’Élu de mon cœur j'ai du faire appelle a une maître marabout vaudou qui a vraiment fait un miracle <br /> <br /> dans ma vie .Il m'a permis de retrouver la paix du cœur en faisant revenir l'homme que j'ai toujours aimer .<br /> <br /> Alors ne guise de remerciement je voudrais lui rendre hommage et conseiller a toute personne ayant de problème a bien <br /> <br /> vouloir faire recours a ce homme car il est vraiment un envoyer pour résoudre tout genre de problème. <br /> <br /> <br /> Je remercie ce PAPA ALI MARABOUT qui a faire de moi la femme la plus heureuse du monde,<br /> <br /> tout ce qui ont des probleme comme moi je vous conseil de contacter ce mr qui fera des miracles dans votre vie. <br /> <br /> <br /> Son mail : ali.marabout@live.fr Ou alimarabout@live.fr <br /> <br /> <br /> NB : IL A DES RITUELS POUR GUÉRIR AUSSI UNE MALADIE<br /> <br /> Je suis vraiment heureuse<br /> <br /> merci et bonne chance a vous aussi.
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