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Ecosia : Le Moteur De Recherch

5 janvier 2008 6 05 /01 /janvier /2008 15:13
«La libération de la femme est une révolution anthropologique»
Pour le Centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir, Julia Kristeva a répondu aux questions des internautes de Libération. Pour cet anniversaire un "Colloque international Simone de Beauvoir 2008" se déroulera à Paris, du 9 au 11 janvier, à l'Université Paris 7, au Réfectoire des Cordeliers.
LIBERATION.FR : vendredi 4 janvier 2008
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Maquis: pourquoi organiser un colloque sur Simone de Beauvoir, que peuvent nous apporter aujourd'hui ses écrits, ses réflexions?
Julia Kristeva: cela fait 100 ans qu'elle est née, c'est toujours sympathique de fêter les anniversaires des personnes qui nous ont aidé à vivre. Ce n'est pas n'importe quelle personne, c'est quelqu'un qui dans ce monde menacé, de plus en plus sécuritaire, a écrit ceci: "la fin suprême que l'homme doit viser c'est la liberté, qui ne sera jamais donnée, mais toujours à conquérir". Voilà sur quoi on doit réfléchir, que l'on soit homme ou femme.

Novice: selon vous que reste-il de fondamental de la pensée de Simone de Beauvoir?
Il reste d'abord une libération de la femme, en tant que capable d'égalité avec l'homme, à tous les niveaux de la vie, à commencer par le plaisir, et jusqu'à toutes les fonctions de la pensée, de la politique, de la vie sociale. Ceci a souvent été considéré comme une nouveauté, une révolution politique, je crois que c'est beaucoup plus que cela, c'est une véritable révolution anthropologique. Cette liberté donnée aux femmes change la donne de la procréation, cela devient un choix possible. On a cru que ce choix allait déconsidérer la maternité, il n'en est rien. Les femmes peuvent aborder la fonction maternelle avec plus de lucidité et de créativité.
Simone de Beauvoir pensait que chaque personne doit se "transcender". Ce terme a toujours évoqué, et évoque aujourd'hui encore la religion. Nous savons combien l'expérience religieuse et les heurts des religions sont essentiels aujourd'hui. Simone de Beauvoir est celle qui a su dire aussi que "nous sommes libres de transcender toute transcendance", et ceci n'est possible qu'en assurant la liberté de chacun et de chacune au sein de la condition humaine. Voilà un projet politique, nous sommes encore loin, n'est-ce pas!

Gaelle: en quoi la philosophie de Simone de Beauvoir se différencie-t-elle de celle de Sartre?
Je pense d'abord qu'elle était plus combative et plus radicale en ce qui concerne le "deuxième sexe", mais comme elle le dit elle-même, elle est moins créative en philosophie. Elle écrit ses romans à partir de son expérience personnelle.

Bloch: Simone de Beauvoir aura eu plus d'importance, sur le plan de l'Histoire des idées...
D'une certaine façon je suis d'accord avec vous, si on juge une philosophie par ses réalisations sociales et politiques, on peut en effet considérer que sans Le Deuxième sexe (1), il n'y aurait ni avortement, ni parité, ni femmes ministres et présidente, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. Quant aux romans, tout en appréciant beaucoup ceux de Beauvoir, je trouve que La nausée (2) de Sartre, est inégalée.

Macla: que penserait Simone de Beauvoir de cette féminisation du monde, cette absence de distance entre vie publique et vie privée? de la sursexualisation de la sphère privée?
Je trouve très obscène que certaines femmes, qui adorent Simone de Beauvoir, se mettent à sa place pour nous dire ce qu'elle penserait sur tel ou tel sujet, mais je veux bien jouer le jeu avec vous. Je trouve qu'elle n'est pas une "féministe comme les autres". Loin de vouloir "féminiser le monde", elle tenait beaucoup à des relations avec l'autre sexe, c'est-à-dire le masculin. Ses amours avec Nelson Algren en particulier, sont d'une grande intensité, et d'un grand respect pour l'homme. Elle a réussi avec Sartre un exploit difficile qui consiste à maintenir le couple à travers toutes ses difficultés pour en faire un espace de pensée et de respect de la liberté d'autrui.

La Fontaine1984: Simone de Beauvoir et Julia Kristeva, points communs et différences sur les parcours de deux combattantes d'exception? Pouvez-vous en dire plus?
Tout me sépare de Simone de Beauvoir. Elle est une aristrocrate française, moi je suis un sombre sujet balkanique, émigrée d'un pays communiste. Elle est une amoureuse révoltée, et fort exhibée, moi je suis une maman dévouée, une épouse discrète, et une amante très secrète. Ceci dit, ce que j'apprécie surtout chez elle, c'est qu'elle a fondé le seul mouvement libertaire du 20ème siècle, dont le coeur est la personne. Que ce soit le "communiste" ou le "tiers mondiste", ils ont tous voulu libérer, "tous les prolétaires", "tout le tiers monde". Au contraire la réflexion du Deuxième sexe est fondée sur des cas exceptionnels de femmes exceptionnelles. Par exemple, la Sulamite du Cantique des Cantiques, Sainte Thèrèse d'Aliva, Théroigne de Méricourt, ou Colette. C'est le génie de la personne qui lui semble être la valeur suprême, qu'une communauté se doit à rendre possible, non pas toutes les femmes, mais chaque femme. C'est pourquoi j'ai dédié mon tryptique Le Génie féminin (3), à Simone de Beauvoir.

Caro: pour vous, est-elle un modèle ?
J'imagine que Beauvoir n'aurait jamais voulu être un modèle, au sens de quelqu'un qu'on répète, auquel on se soumet. Elle nous a appris à penser librement, ce qui veut dire aussi penser avec elle, mais aussi éventuellement contre elle.

Dilan: Simone de Beauvoir nous manque, sur quoi elle se batterait -elle aujourd'hui?
Il reste beaucoup de choses qui ne sont pas réalisées dans les démocraties avancées concernant les libertés des femmes. Sous le couvert de la parité, il reste beaucoup de mépris, sous-estimation, dévalorisation des femmes. Mais surtout l'inégalité au niveau du travail, emploi, rémunération, promotion, voire retraite. La question de l'avortement est en régression, et le sens de la vocation maternelle, comme une grande tâche de civilisation est loin d'être comprise. Mais ce qui reste surtout à faire c'est de faire passer le message de Beauvoir dans les pays en voie de développement. Nous sommes en train de créer autour du Colloque un Prix international Simone de Beauvoir qui pourrait récompenser ceux ou celles dont l'oeuvre et l'action contribuent à la liberté des femmes partout dans le monde. J'aimerais que nous puissions l'attribuer à des femmes qui risquent leur vie sous de nouvelles formes de menaces et d'oppression.

Romeo: Il n'y a plus vraiment d'intellectuels engagés politiquement comme l'étaient Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, comment vous l'expliquez?
Les temps ont changés, l'ère du "spectaculaire intégré" rend toute action politique difficile, problématique, en tout cas impossible à comparer avec les actions politiques dans le siècle passé. Cependant, je comprends votre inquiétude et je trouve que les intellectuels, tout en tenant compte du nouveau contexte, trouvent de nouvelles formes d'action et d'engagement. J'essaye pour ma part de le faire, par exemple en créant le Conseil national handicap, ou lorsque j'ai reçu le prix international "Hannah Arendt pour le pensée politique", en l'offrant aux femmes afghanes qui s'immolent par le feu pour protester contre la privation totale de liberté dont elles sont victimes.

Camille: avez-vous l'impression que les femmes d'aujourd'hui ne sont plus assez féministes ?
Le mouvement féministe qui a obtenu beaucoup de résultats me semble enlisé dans un certain sectarisme qui l'a coupé des préoccupations quotidiennes des femmes. Par ailleurs, l'illettrisme galopant, la fascination pour la peopolisation et autre opium médiatique font que très peu de jeunes femmes se souviennent des luttes de la génération antérieure et connaissent le combat de Beauvoir. J'espère que cet anniversaire pourra être une occasion pour attirer leur attention sur ce passé pas si lointain, dont elles profitent néanmoins et qui pourrait être rénové.

DP: Sartre et Beauvoir n'étaient pas un couple ordinaire comment définiriez-vous leur relation?
Ils ont su maintenir le mythe du couple, essentiellement parce qu'ils avaient un respect infini de la liberté de l'autre et de sa pensée. Cependant, il semble avec le recul que Beauvoir, beaucoup plus que les féministes des générations suivantes, valorisait le "grand homme" et souhaitait s'égaler à lui dans une sorte de fraternité universelle, plutôt que d'accentuer sa différence. Ceci lui permettait de se rendre complice "des amours contigents" de Sartre, sans jamais mettre en cause la dépendance érotique que ses comportements révélaient de la part de son "cher petit être".
Une autre contemporaine de Beauvoir, Colette, qu'elle a d'ailleurs beaucoup admiré, et qui figure dans Le Deuxième sexe, n'avait aucun respect pour la psychanalyse, contrairement à Beauvoir, laquelle avait fait d'une psychanalyste, l'héroïne des Mandarins (4). Colette disait qu'elle "n'avait jamais rencontré un de ces hommes que les autres hommes appellent grands". Il y a là une dépressivité bovarienne qui côtoie sa grande vivacité, qui est due évidemment à cette surestimation de l'homme mais qui n'a pas moins l'avantage de préserver une certaine harmonie du lien homme femme. Pour le dire autrement, la guerre des sexes, ils l'ont connue, Beauvoir en a profité et en a pâti, mais ils ont su construire avec cela un espace de vie et de pensée.

Colloque international Simone de Beauvoir 2008

(1) Le Deuxième sexe, tome 1 et 2, Simone de Beauvoir, Folio essais, 9,40 euros.
(2) La Nausée, Jean-Paul Sartre, Folio, 5,30 euros.
(3) Le Génie féminin, tryptique, Folio essais, 9,40 euros.
(4) Les Mandarins, tome 1 et 2, Simone de Beauvoir, Folio, 7,40 euros.
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