Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Ecosia : Le Moteur De Recherch

29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 17:30

Clément Rosset

CLEMENT ROSSET

L'homme joyeux se réjouit certes de ceci ou de cela en particulier ; mais à l'interroger

davantage on découvre vite qu'il se réjouit aussi de tel autre ceci et de tel autre cela, et

encore de telle et telle autre chose, et ainsi de suite à l'infini. Sa réjouissance n'est pas

particulière mais générale : il est "joyeux de toutes les joies".

Il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l'objet particulier qui l'a

suscitée pour affecter indifféremment tout objet et aboutir à une affirmation du caractère

jubilatoire de l'existence en général. La joie apparaît ainsi comme une approbation

inconditionnelle de toute forme d'existence présente, passée ou à venir.

L'homme véritablement joyeux se reconnaît paradoxalement à ceci qu'il est incapable de

préciser de quoi il est joyeux. Il n'est aucun bien du monde qu'un examen lucide ne fasse

apparaître en définitive comme dérisoire et indigne d'attention, ne serait-ce qu'en

considération de sa constitution fragile, de sa position à la fois éphémère et minuscule dans

l'infinité du temps et de l'espace. L'étrange est que cependant la joie demeure, quoique

suspendue à rien et privée de toute assise... La joie constitue ainsi toujours une sorte d'"en

plus", et c'est cet en plus que l'homme joyeux est incapable d'expliquer et même

d'exprimer... Perdue entre le trop et le trop peu à dire, l'approbation de la vie demeure à

jamais indicible ; toute tentative visant à l'exprimer se dissout nécessairement dans un

balbutiement.

La joie, telle la rose dont parle Angelus Silesius dans le Pèlerin chérubinique, peut à

l'occasion se passer de toute raison d'être... c'est même peut-être dans la situation la plus

contraire, dans l'absence de tout motif raisonnable de réjouissance, que l'essence de la joie

se laissera le mieux saisir... L'accumulation d'amour en quoi consiste la joie est au fond

étrangère à toutes les causes qui la provoquent, même s'il lui arrive de ne devenir manifeste

qu'à l'occasion de telle ou telle satisfaction particulière... Elle apparaît ainsi comme

indépendante de toute circonstance propre à la provoquer (comme elle est aussi

indépendante de toute circonstance propre à la contrarier).

Aucun objet ne saurait à lui seul rendre joyeux. Ou plutôt, il arrive bien à un objet

quelconque de rendre joyeux : mais le sort paradoxal d'un tel objet est de donner alors plus

qu'il n'a effectivement à donner, plus que ce qu'il possède objectivement... La joie est un

plein qui se suffit à lui-même et n'a besoin pour être d'aucun apport extérieur... Elle ne se

distingue en aucune façon de la joie de vivre, du simple plaisir d'exister : un plaisir plutôt

pris au fait qu'il y ait de l'existence en général qu'au fait de son existence personnelle.

La saveur de l'existence est celle du temps qui passe et change, du non-fixe, du jamais

certain, inachevé ; c'est d'ailleurs en cette mouvance que consiste la meilleure et plus sûre

permanence de la vie... Le charme de l'automne, par exemple tient moins au fait qu'il est

l'automne qu'au fait qu'il modifie l'été avant de se trouver à son tour modifié par l'hiver.

file:///Macintosh%20HD/Site/fichiers%20source%20PDF/rosset.html (1 of 2) [3/12/2003 10:12:48]undefined

Partager cet article
Repost0

commentaires