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Ecosia : Le Moteur De Recherch

1 janvier 2008 2 01 /01 /janvier /2008 19:54

Reb Weisfish

 

 

 

   

 

Entretien réalisé par Avi Katzman
pour la revue israélienne en langue française Réalités (début des années quatre-vingt?).
La photo est de Yoram Lehmann.

   

 

 

 

Vendredi après-midi, au coeur de Méa Shéarim, sous les combles. Un vieux juif à la barbe grisonnante, la tête couverte d'une large kippa noire, habillé simplement comme le sont les juifs pieux. Derrière ses lunettes épaisses brillent des yeux intelligents et tristes. Il fabrique des téfilines qu'il doit terminer avant l'entrée du shabbat. Reb Arieh Leib Weisfish parle avec fougue et ses paroles s'écoulent à un rythme rapide qui va en s'amplifiant. Il est né à Jérusalem il y a 65 ans, issu d'une famille qui fait partie de celles qui fondèrent Méa Shéarim, au début du siècle dernier.

Vous êtes membre de la secte des Nétourei Karta ?


La question est de savoir d'abord ce que sont les Nétourei Karta. Une personne, c'est quelqu'un, une personnalité. A l'origine, on trouve Rabbi Yohanan Ben Zachaï, après la destruction du Temple. Et il dit: "Ce ne sont pas les gardiens qui sont les gardiens mais ceux qui étudient". Depuis, le judaïsme du corps s'est séparé du judaïsme de l'âme. L'âme et le corps. Mais la réalité est différente. En réalité, l'âme et le corps sont indissociables. Divisez-les, il ne reste plus rien. Losque la philosophie, c'est-à-dire l'observation des individus de l'intérieur vers l'extérieur, a fait faillite, elle a été remplacée par la psychologie, c'est-à-dire par une observation de l'homme de l'extérieur vers l'intérieur. Mais l'homme ne peut être partagé, classifié, ni par Bergson, Freud ou Jung, ni par le marxisme. Toutes les conceptions univoques de l'homme ne tiennent pas compte de ce qui a précédé la logique et l'intuition.

Je me considère comme le spécialiste mondial de Nietzsche. Ce qui est intéressant, c'est que Nietzsche était contre tout: anti-socialiste, anti-européen, anti-christique, anti-tout-le-monde. La seule chose que Nietzsche adorait, c'était le judaïsme et les Juifs. Jusqu'à sa fin, il a révéré le judaïsme. Il l'a compris mieux que les plus grands rabbins du monde: "Sans les Juifs, point de Salut... Les Juifs sont éternels". C'est lui aussi qui écrivait à propos des Allemands: "Une race irresponsable qui porte sur sa conscience les grands désastres de la culture".

Comment voit-on dans la société dans laquelle vous vivez, cette vénération que vous avez pour Nietzsche?

Le judaïsme, ce n'est pas quelque chose dans lequel on naît. C'est quelque chose que l'on crée en acceptant les critiques et sa propre autocritique. Si celles-ci ont pour but de vous aider à chercher la voie, la perfection, il ne s'agit plus alors de critique mais d'étude. Pour moi, Nietzsche et le Rabbi de Koutsk sont encore plus grands que Moïse. On m'a dit: "Weisfish des Nétourei Karta, comment oses-tu prononcer des mots pareils?" "C'est très simple", ai-je répondu: "Enlevez à Moshé Rabeinou les miracles et les dix plaies d'Egypte, il ne reste plus qu'un auteur de codes et de lois. Mais triompher de Spinoza, Kant, Hegel, Marx et de tous les réformistes des Etats-Unis ou de Wall-Street serait impossible sans Nietzsche. Et l'une des forces du Rabbi de Koutsk, c'est qu'il était contre les Hassidim et qu'il leur disait un peu comme Nietzsche: "Vous n'avez pas encore commencé à vous chercher vous-même et vous m'avez déjà trouvé?"

Il arrête son travail, se lève et ouvre une armoire. Il en tire un ouvrage vert, le feuillète et m'en fait lire un passage. Il retourne aux téfilines qui sont sur la table, reprend ses outils en mains et frappe de toutes ses forces. "Vous voyez, je n'arrive pas à discuter et à me concentrer sur mon travail". Il pose ses tenailles, ajuste le cuir, coupe et recolle.

On connaît surtout Nietzsche pour sa phrase...

On ne connaît pas Nietzsche. Il n'est pas existentialiste parce qu'il murît et grandit sans cesse. Ce qu'on se rappelle de lui, c'est "Dieu est mort". Dieu est mort parce que nous l'avons tué. Il dit plus que cela. Un jour, j'ai rencontré un jeune arabe qui lit un peu Nietzsche et qui me l'a cité: "Si Dieu existe, alors qui suis-je? C'est la preuve qu'Il n'existe pas". Vous rendez-vous compte de la profondeur de cette phrase? Dans la Kabbale, il existe une science qui est celle du réductionnisme. Dire "Mon Dieu, Béni sois-tu", ce sont des choses qu'il faut apprendre, qu'il faut vivre, sur lesquelles on peut réfléchir à l'infini. Nietzsche lui-même écrit quelque part: "La philosophie n'existe pas. Ce qui existe, c'est l'expérience de la vie. Mon désir constant de changement et ma critique d'aujourd'hui sur ma vie d'hier". Dans le judaïsme, on considère que les plus grands des Justes doivent faire un retour constant à la religion. Qu'ils sont toujours sur la Voie... Lorsque vous lisez aujourd'hui un quotidien, ou que vous sortez dans la rue, vous n'en revenez pas: on vole, on pille, on tue, on viole. Rien n'est interdit. La seule interdiction est d'interdire. En dehors de cela, tout est permis. Alors, que nous soyons dans la jungle, à Babylone ou dans le ghetto allemand, aussi grande que soit notre science, si le sionisme avait pour but de changer la situation inconfortable qui est celle des juifs dans le monde, il a prouvé au contraire que nous sommes un peuple tellement fort que le monde entier nous craint.

Comment vous sentez-vous en Israël?

Menahem Begin était au mariage de ma fille. Elle s'est mariée avec un millionnaire, que Dieu nous préserve, et Begin était invité du côté du marié. "J'ai appris que tu lisais Nietzsche", m'a-t-il demandé. J'ai pensé: "Encore un avec ses questions." Et je lui ai répondu: "Si tu lisais Nietzsche, tu serais encore plus grand que Menahem Begin." J'espère que finalement les jeunes liront Nietzsche. Des kibboutznikim sont venus me voir et m'ont demandé: "Si nous lisons Nietzsche, cela fera-t-il de nous de meilleurs combattants sur le Golan?" Je leur ai répondu: "Si vous lisez Nietzsche vous trouverez un langage avec le monde qui n'a pas besoin de canons..." J'ai bien connu Ben-Gourion; j'ai beaucoup discuté avec lui. Le judaïsme, ce n'est pas de la politique. C'est bien plus que cela. Lorsque des gens viennent me voir et me demandent une définition du judaïsme, je leur réponds que jusqu'à l'avènement du sionisme, nous savions que, comme le christianisme et l'islam, il existe le judaïsme. C'est-à-dire qu'il peut y avoir un juif américain, un juif russe et que le judaïsme est une religion. Vient le sionisme et il dit: "Le judaïsme est une affiliation à une caisse de retraite, à des chansons patriotiques, à un drapeau, non plus une vie sainte mais une mort sainte. On me demande: "Que représentent les Nétourei Karta, combien êtes-vous?" Et je réponds: "La question n'est pas de savoir combien, elle est de savoir si nous avons raison ou tort. Si nous avons raison, ne serions-nous qu'un seul, et si nous avons tort, serions-nous cinq milliards". Vous savez quelle est la tragédie de Nietzsche? Bien qu'il soit à mes yeux un homme saint et juste, il est au-dessus de nos conceptions. Je n'ai pas encore rencontré une personne qui puisse dire qu'elle comprend vraiment Nietzsche. Autant Nietzsche m'émerveille, autant je suis encore loin d'être parvenu à saisir son immensité...

A qui appartient Jérusalem?

Un jour, à la radio, on m'a posé cette question. Si la question est de savoir à qui elle appartient, alors elle n'appartient à personne. La véritable question à se poser est celle-ci: "Est-ce que moi, individu, j'appartiens à Jérusalem?". Autant il y aura d'individus, sans différence de religion, de race, de couleur, de nationalité qui répondront individuellement: "J'appartiens à Jérusalem", autant il y aura de place pour eux à Jérusalem. Quand les gens se tiennent debout, ils sont tous serrés et il n'y a pas assez de place pour chacun d'entre eux. Lorsqu'ils se prosternent, il y a de la place pour tous. Jacob, le premier qui ait pris le nom d'Israël, disait: "Je ne savais pas que cet endroit était saint". Arrive Teddy Kollek, le maire de la ville, et il dit: "Je balaie les rues de la ville, donc elle m'appartient". Jérusalem, ce n'est aucun des mots grandioses qu'on dit sur elle; c'est bon pour les journaux et les livres, pour le sensationnel. Moïse n'a pas pu entrer en Eretz-Israël et nous nous y promenons. Si les Russes et les Arabes venaient et qu'ils voulaient donner tout Israël aux juifs, nous, Nétourei Karta, nous nous y opposerions. Quel titre de propriété les autorise-t-il à donner ou à ne pas donner? Je peux vivre au Yémen ou en Allemagne, manger une olive ou du pain sec et je continuerai vingt fois par jour à prier Jérusalem. Et je peux vivre en plein Tel Aviv et ne pas faire partie d'Eretz-Israël. Israël, ce n'est pas une tranche de pain ou du riz.

De quel camp politique vous sentez-vous le plus proche?

Pour vous dire la vérité, je suis loin de me sentir proche de moi-même. L'autocritique, avec ce qu'elle sous-entend de recherche de la perfection, est la perfection. Alors, lorsque tant d'idées et d'opinions se confondent et que vous cherchez la Voie, vous parvenez forcément à une situation sans issue, comme s'il n'existait pas de voie. Qu'est-ce que cela signifie? Que la recherche de cette voie est peut-être la meilleure des voies. La philologie de Jérusalem, c'est la crainte de la perfection qui est elle-même la voie de la perfection. Est-ce que vous comprenez ce que j'essaie de vous dire? Finalement, ce que nous disons, c'est que l'homme est un monde microcosmique. Le monde commence avec moi; pas demain ni là-bas, mais ici, maintenant et avec moi. Le judaïsme n'est pas une géographie sioniste. S'enfermer dans un ghetto avec un gouvernement polonais au Moyen-Orient ne résout aucun problème pour le peuple juif. Le judaïsme est bien plus important que ne le croient les fonctionnaires de l'appareil sioniste. Bien sûr, depuis que j'ai jeté un coup d'oeil dans le monde du savoir il m'est impossible d'être antisioniste comme il ne m'est pas possible d'être antichristique. Mais ces concepts n'évoluent pas dans ma sphère pour que je discute de leur "oui" ou de leur "non". Et si j'ai cru un jour que je savais et que les choses sont simples, je comprends mieux aujourd'hui, en vieillissant, que les choses deviennent encore plus complexes et compliquées, à tel point qu'il ne reste pas de temps à perdre pour les affaires publiques. L'éloignement permet une vision plus claire de ces questions. C'est ainsi que l'on parvient à un judaïsme plus réel, plus vivant. Je constate avec regret que la jeunesse israélienne, et plus particulièrement les étudiants, au lieu d'apprendre la connaissance, la nature, l'essence même du judaïsme et de l'homme, apprennent à connaître les boulons des tanks sur le Golan. C'est un dessèchement de l'esprit. C'est ne pas vouloir se connaître soi-même. Le judaïsme est un ensemble d'individus. Ce n'est ni un parti, ni une nationalité, ni rien d'autre. Nietzsche dit que c'est une race, la race supérieure. D'après Nietzsche, il n'existe aucun peuple qui soit destiné à vivre toujours en dehors du judaïsme. Si je possédais un amplificateur électronique universel, j'irais crier dans les universités aux étudiants qu'ils se lèvent, se saisissent de gourdins et cassent tout, tables, chaises et livres de cours. Ce qu'ont fait les Beatles, ce qu'a fait John Lennon, ce n'est encore rien à côté de ce que les jeunes doivent apprendre de l'insubordination, de ce qu'ils doivent se poser comme questions concernant leur vie.

 
   

 

 

 

 
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1 janvier 2008 2 01 /01 /janvier /2008 15:17


Avant-propos

Giorgio Colli

 

 

 

Que n’échoient aux philosophes ni les avantages ni les préjudices de la fortune populaire, c’est là une vérité connue de tout temps, et on peut sans difficulté en indiquer les raisons ; l’instrument expressif du philosophe, la pensée abstraite, est rebutant pour la plupart. Si le philosophe peut éprouver quelque désagrément à ce manque de popularité, ce désagrément sera compensé par son isolement même, dans la mesure où, de son vivant et même après sa mort, il est à la fois à l’abri d’une participation collective et n’est pas impliqué dans des passions qui ne sont pas les siennes.
     Mais parfois la pensée agit sur la vie, et Nietzsche a connu ce sort. Non pas au sens le plus fréquent, lorsque la pensée abstraite d’un philosophe intervient indirectement pour modifier la vie des hommes, comme cela arrive souvent dans l’histoire ; dans le cas de Nietzsche, la pensée atteint le tissu immédiat de la vie et se mêle à elle, suscitant chez les hommes des résonances immédiates et provoquant des passions que la sensibilité de chacun perçoit en affinité.
     Quiconque a lu quelques pages de Nietzsche se sera senti profondément scruté, incité à donner son approbation à propos de telle ou telle question brûlante : d’aucuns ne pardonnent pas cette intromission, d’autres rejettent cette impression, d’autres encore réagissent en y participant ardemment. Si bien qu’à la seule mention du nom de Nietzsche, rares sont les personnes, parmi celles dotées de quelque culture et sensibilité, qui ne ressentent un mouvement instinctif de l’âme, variable selon les caractères, difficilement définissable, et dans tous les cas étranger aux schémas conceptuels. Ainsi Nietzsche se révèle être un type paradoxal de penseur, pour lequel les limites entre les genres de l’expression s’estompent, et qui laisse son empreinte dans l’esprit bien avant que dans la raison.
     Dans la pensée de ces cent dernières années, cette condition exceptionnelle a donné à Nietzsche une place dont on pourrait dire qu’elle est unique et incomparable quant à ses implications. Mais cette condition entraîne nécessairement quelques conséquences. Il peut certainement arriver, pour un court laps de temps, que la musique de Beethoven embrase d’une noble ardeur l’âme d’un être violent ou d’un oppresseur ; si cette musique pouvait ensuite se traduire par des mots, qui affirmera que de ces mots ne pourraient être tirées des justifications de la violence et de l’oppression ? Voudrions-nous alors interdire la musique de Beethoven qui, précisément parce qu’elle est universelle, touche un grand nombre d’âmes que l’on ne peut qualifier de nobles ? Tel fut pourtant le sort de Nietzsche : être mis au ban à cause des hallucinations d’âmes basses ou pathologiquement dérangées. À partir du miroitement de phrases dont le contenu leur échappait, à partir d’exaltations momentanées se déposant ensuite dans les pensées quotidiennes, exsangues ou troubles, d’aucuns tentèrent de justifier un lien véritable avec l’impulsion dont elles avaient surgi et élaborèrent des interprétations forcenées. Nietzsche devint un fantôme, et c’est ce fantôme qui fut l’objet par la suite et encore aujourd’hui des réprobations de ceux qui ont succédé aux fanatiques exaltés.
     En réalité, Nietzsche n’a aucunement besoin d’être interprété, c’est-à-dire d’être déterminé conceptuellement selon telle ou telle direction, parce que son action sur la vie individuelle est directe. Il suffit simplement de l’accueillir, non pas à travers des fragments hasardeux, plus ou moins suggestifs, mais dans sa totalité et son unité. Cette voie plus laborieuse le privera d’une fausse popularité ; en compensation, son action — celle qu’il a voulue — se manifestera pour la première fois, et personne ne peut dire si elle sera salutaire ou dommageable.
     Cette personne a véritablement existé, et on peut dire que, par un hasard miraculeux, la totalité de ses expressions écrites a été préservée ; cet ensemble a l’apparence d’un fouillis multicolore, mais il possède une substance uniforme et compacte, puisqu’il peut être perçu comme sa véritable manifestation dans l’existence, équivalente à l’unité manifeste de sa personne. Pour Nietzsche, en effet, vivre signifiait écrire, et écrire c’était simplement dire avec sincérité, quasiment comme un reflet en un miroir, les élans de son imagination et les tourments de sa pensée. Il y a deux manières d’écouter et de lire : ou bien la parole d’un homme, dans son développement, se comprend à chaque fois comme quelque chose d’accompli et d’achevé — alors on ignorera le futur et on effacera le passé selon une perspective absolue, pour ne plus le considérer que selon une perspective historique — de façon à ce que chacun reste libre, à chaque occasion, de prendre ou de laisser, de s’enthousiasmer ou de détester ; ou bien on contemple l’individualité en question comme une " entéléchie ", pour laquelle le temps n’est autre que la condition de sa manifestation. L’apprentissage de cette idée — pour Platon, les âmes sont semblables aux idées — dont l’homogénéité est primordiale, se fait lentement à travers la reconstruction d’une totalité présupposée, où les expressions délimitées ont la valeur des fragments mélodiques et harmoniques d’une musique inconnue. C’est ainsi qu’il est opportun d’écouter Nietzsche.

 

 

 

 

 

 

 


Cet avant propos est extrait des Ecrits sur Nietzsche de Giorgio Colli (traduit de l'italien par Patricia Farazzi).
D'autres ouvrages de Colli (voyez ici ou ) et de Nietzsche (voyez ici) sont disponibles aux éditions de l'éclat.

Les italophones pourront visiter l'important site des Archivio Giorgio Colli.

 

isbn 2-84162-011-5. 1996. 192 p. 80 ff. 12,20 euros.
© Adelphi Edizioni S.P.A., Milano, 1980
© Ediitons de l'éclat, Paris, 1996 pour la traduction française

 

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1 janvier 2008 2 01 /01 /janvier /2008 13:42
 Hommage
 à Friedrich Nietzsche

dans toute cette entreprise, l'aspect "hommage à Nietzsche" est pour moi essentiel, comme est essentielle l'idée de "favoriser l'action de Nietzsche sur le présent".

 

Giorgio Colli à Mazzino Montinari  
Lettre du 5 octobre 1967  

 
 
 
- La philosophie, telle que je l'ai toujours comprise et vécue, consiste à vivre volontairement dans les glaces et sur les cimes, - à rechercher tout ce qui dans l'existence dépayse et fait question, tout ce qui, jusqu'alors, a été mis au ban par la morale. Je dois à la longue expérience acquise au cours d'une telle incursion dans les contrées interdites, d'avoir appris à envisager, tout autrement qu'on ne le souhaiterait sans doute, les raisons pour lesquelles on a jusqu'ici « moralisé » et « idéalisé » : l'histoire cachée des philosophes, la psychologie de leurs plus grands noms, m'est apparue sous son vrai jour. - Quelle dose de vérité un esprit sait-il supporter, sait-il risquer ? Voilà qui, de plus en plus, devint pour moi le vrai critère des valeurs.Friedrich Nietzsche   
Ecce homo, préface, 3   
 

 

 

  SOMMAIRE : 
 
Philosophie

 

Polémiques

Liens

     



Webmestre :
Eutéhène / Etienne
curiositas@free.fr
http://www.nietzsche.fr.fm

 

 
 

Les écrits de Nietzsche, sauf indication contraire, sont cités d'après la version française de l'édition Colli-Montinari : Oeuvres philosophiques complètes (Paris, Gallimard, 1968-1997). Pour Ainsi parlait Zarathoustra, les citations seront celles de la traduction de Marthe Robert (Paris, 10/18, 1958).
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1 janvier 2008 2 01 /01 /janvier /2008 13:30
Rebonds
Fumée, la fin d’une époque
HENRI-PIERRE JEUDY sociologue au CNRS et écrivain.
QUOTIDIEN : mardi 1 janvier 2008
36 réactions  
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On se demande comment les propriétaires de cafés et de restaurants vont pouvoir appliquer du jour au lendemain une interdiction absolue de fumer. Avant ce jour J, jamais la permission de fumer n’avait été aussi grande. Dans certaines villes, cette interdiction de fumer devient applicable dans la rue, il ne sera plus possible d’aller sur le trottoir «en griller une». L’espace du dehors ne restera pas longtemps le symbole de la liberté puisque l’air doit être pur partout, même si d’autres pollutions persistent. Et, sans l’ombre d’un doute, ce sera au tour de l’espace privé d’être un jour contrôlé pour que plus personne ne fume, même chez soi. Dans bien des condominiums, il n’est déjà plus possible d’acheter un appartement quand on se déclare fumeur. Nous vivons les derniers jours d’une archéologie des temps modernes : les volutes de fumée deviennent aussi «rétro» que les décors des vieux cafés.

 
  Sur le même sujet  
   
 

La «fin d’une époque», c’est aussi l’atmosphère qui règne dans les lieux publics. Celle-ci semble être la mesure des impressions communes ressenties, l’effet d’une appréhension partageable de l’espace public. On parlera alors du climat politique ou social comme l’expression d’un rapport physique avec l’espace public. Quand dans un lieu, je dis : «j’étouffe», j’exprime bien un manque d’air, lequel devient aussitôt un manque de liberté d’être. Pareille exclamation se dispense de toute justification rationnelle. Alors quel sens donner aujourd’hui à un «air purifié» si l’atmosphère «sociale» est «sous tension» ? Une fois requises les procédures de légitimation de notre survie commune, l’application radicale d’une interdiction présente l’avantage de supprimer la délation elle-même. Elle purifie les rapports sociaux en les évacuant. Les non-fumeurs peuvent être satisfaits de leur victoire, mais ils ne peuvent tout de même pas oublier que le rejet de la courtoisie consacre l’arbitraire de l’interdiction.

On n’en est plus, hélas, à l’heure des civilités. Face aux menaces qui pèsent sur la bonne gestion de la santé publique, seules les interdictions sont efficaces. Du coup, il est impossible d’isoler la mise en place d’un interdit et de ne pas tenir compte des interférences que celle-ci provoque. Il s’agit bien de la création d’une nouvelle atmosphère sociale que déterminera la transparence hygiéniste des rapports humains.

Quand on entre dans un célèbre café à Saint-Germain-des-Prés où il est désormais interdit de fumer, on se souvient des artistes et des intellectuels qui étaient là, assis à leurs tables, avec leurs cigarettes ou leurs cigarillos. On voudrait nous faire croire, depuis que sur la photographie de Jean-Paul Sartre, on a retiré la cigarette qu’il tenait dans sa main, combien ce siècle passé, pourtant si riche en inventions de la pensée, pourrait laisser le souvenir d’une certaine décadence.

Le nouvel ordre sanitaire de la société semble bel et bien s’imposer sur les ruines d’une époque où le goût de la liberté et de la vie, représenté par des volutes de fumée, est aujourd’hui devenu le symbole d’une erreur malsaine. La nostalgie de cette décadence caractérise ceux ou celles qui ne comprennent pas combien les risques d’autodestruction constituent le fléau de notre société. Heureusement, les pouvoirs publics sont là pour les sauver malgré eux. Mais la répression actuelle contre le gaspillage de la vie sera-t-elle commémorée par les générations futures ?

Cette impression de vivre «la fin d’une époque» coïncide curieusement avec le constat d’une disparition ostensible ou sournoise des libertés, au nom d’une optimisation de la gestion de la société. Pareille disparition est bien organisée puisqu’elle doit être rendue acceptable publiquement par la prise de conscience de chacun : les libertés que nous connaissons nous conduisent à notre perte. La déstructuration de notre société viendrait autant d’un excès de tolérance à l’égard des insoumis que du flottement des libertés qui menacent notre survie collective. Accepter les interdictions, la ségrégation par le contrôle, c’est en quelque sorte se protéger de soi-même des penchants que nous avons à abuser de tout ce qui nous détruit. Le raisonnement moral est clair : le nouvel ordre sanitaire, fondant sa légitimité sur une économie toujours plus saine de la gestion de la santé, s’impose comme un bienfait pour tous. Il n’y a pas que pour l’usage du tabac que les nouvelles normes établies au nom de la survie prennent un sens moral inattaquable.

L’économie de la santé publique justifie un contrôle de plus en plus coercitif de la vie privée, le corps appartient de moins en moins à chaque individu qui se voit obliger de le considérer comme une marchandise dont il a la responsabilité. Ainsi se multiplient des conseils diététiques, sanitaires, biologiques qui sont destinés à devenir des normes applicables. Celles-ci représentent les seules conditions objectives pour assurer un avenir commun. Et elles semblent d’autant plus déterminantes que toutes les décisions prises aujourd’hui sont irréversibles, elles portent cet avenir comme le triomphe d’une humanité capable de se protéger contre les risques de sa déchéance mortelle.

Nul ne peut ignorer que, derrière l’interdiction de fumer dans l’espace public, se cache une véritable stratégie de l’interdit. C’est tout de même un test fondamental pour voir jusqu’où une communauté peut se résigner à accepter les règles imposées pour sa survie. Même si la démultiplication des pollutions révèle bien des contradictions dans la gestion sanitaire des sociétés contemporaines, il n’empêche que tout traitement prophylactique d’une pollution prend valeur d’exemple. Sa mise en place est le moyen d’apprécier les prédispositions à la résignation collective.

Dans une atmosphère sociale où chacun peut être stigmatisé comme un pollueur, le pouvoir politique a beau jeu d’exercer son autorité en prenant des mesures qui paraîtront toujours salutaires. Mais on sait aussi que l’alcool et le tabac sont des armes traditionnelles contre le stress. Leur usage, parfois abusif, a sans doute permis d’empêcher bien des révoltes collectives. Leur interdiction va-t-elle produire des mouvements de rébellion ? Faut-il croire que, plus la pression du contrôle sur la vie sociale est grande, plus l’envie de boire et de fumer devient irrésistible ?

C’est là un paradoxe : l’ampleur du refoulement social se mesure-t-elle à la quantité d’alcool absorbé, à la quantité de cigarettes fumées ? C’est triste d’en arriver à se demander si l’équilibre d’une société tient à la capacité qu’auraient ses membres à accepter leur propre refoulement. Au nom de la majorité, la résignation collective aux nouvelles figures de l’assujettissement, rendues légitimes par les impératifs de la santé publique, deviendrait alors une mesure idéale des progrès de la démocratie.

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30 décembre 2007 7 30 /12 /décembre /2007 23:35

Autrement que dire...

 

Emmanuel Lévinas est né à Kovno, en Lituanie, le 30 décembre 1905 selon le calendrier julien (12 janvier 1906 selon le calendrier grégorien) et décédé le 25 décembre 1995.

"L'Autre n'est ni une tentation ni un problème ; ce n'est pas un objet ni de savoir ni de plaisir: "la proximité de l'autre en tant qu'autre" est une enigme, insoluble, qui m'est imposée dans une responsabilité-pour-l'autre que je n'ai pas désirée, que je subis dans une mise en retrait de moi-même, dans une inquiétude pour sa vie matérielle quotidienne.

"Je suis à toi": phrase impronoçable puisque je n'ai pas choisi d'être pour-l'autre, phrase que j'aimerais te dire comme un aveu, comme un "je t'aime", mais cela est impossible car exprimer la responsabilité-pour-autrui sous la forme d'un voeu dévoilé neutraliserait la force concrète de ces mots, "être-responsable-pour-l'autre" qui est leur signification même. La responsabilité-pour-autrui - Désir insatiable, Exigence infinie - est une contrainte et non un divertissement."

François Poirié, Emmanuel Lévinas. Essai et entretiens

Au début de l'année 2007, l'Europe accueillait 2 nouveaux pays membres (Bulgarie et Roumanie). En mars, l'Union célébrait la signature du Traité de Rome. Le 21 décembre 2007, l'espace Schengen est passé à 24 membres. Derrière ces dates et ces chiffres se cachent l'histoire de peuples en quête d'une paix durable et d'une justice sociale.

Dire presque la même chose

Espacethique se veut un espace qui invite à lire et relire les oeuvres de Levinas. Même si les publications au sujet de la philosophie de l'auteur n'étaient de loin pas aussi nombreuses que lors de l'année du jubilé, les commentateurs et traducteurs s'attachent à chaque fois de manière nouvelle à saisir l'insaisissable dans le dire de l'auteur.

L'expérience de lecture et une expérience de traduction et d'interprétation (voir le billet d'humeur à ce sujet), d'entrée dans la symbolique d'une langue qui, chez Levinas, ne se laisse pas enfermer par une seule culture. Ici, l'hébreu côtoie le grec, et le français, le russe, l'allemand ou le lithuanien. A chaque traduction, à chaque présentation de l'eovure de l'auteur dans une nouvelle langue, c'est tout un ébranlement des certitudes qui survient.

Comment traduire la notion de "visage"? Comment comprendre les droits de l'autre être humain? Qu'est-ce que cela veut dire qu'au pays de la liberté la responsabilité est première? C'est pourquoi, il est heureux que même dans les traductions françaises de certaines oeuvres, l'éditeur ajoute la traduction de la préface dans une autre langue (ex. préface à l'édition allemande dans l'édition française de Totalité et Infini).

2008 "Année européenne du dialogue interculturel"

A l'occasion des fêtes de fin d'année, permettez-moi de vous présenter mes meilleurs voeux pour 2008, à vous et à vos amis et familiers.

Puisse la lecture des écrits de Levinas participer à donner de la "hauteur" au dialogue avec l'autre humain, proche ou lointain.

Merci à tous pour votre fidélité sur le site.

Meilleurs voeux,

Gérard Schaefer
Espacethiqueundefined

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30 décembre 2007 7 30 /12 /décembre /2007 11:53
« Entre deux individus, l’harmonie n’est jamais donnée,
elle doit indéfiniment se conquérir.»
Simone de Beauvoir
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29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 18:37
Ranjit Maharaj - Extraits d'entetiens en Bretagne

Les méthodes engendrent d'innombrables frustrations et ne donnent aucune satisfaction réelle. La réalité est sans méthode. L'illusion dispose de nombreuses méthodes, de nombreux problèmes, et de nombreaux concepts. Pour vaincre l'illusion, ou les concepts, il faut se demander d'où proviennent toutes ces pensées. Penser concerne toujours des objets. Pour connaître la réalité dépourvue de pensée, il n'est nul besoin de penser.

L'éveil n'est rien d'autre qu'une profonde et totale compréhension. La réalité n'a pas à être atteinte, elle est déjà là. Rien n'est necessaire au-delà de cette compréhension totale.

Les gens ne comprennent pas que l'illusion n'est rien. Comment peut-elle vous empêcher? Comment 'rien' peut-il vous empêcher?

Ce que vous voyez et percevez est en vous et non à l'extérieur. Vous n'êtes pas le corps. Si le mental se saisit d'une pensée et s'y attache, toute chose sera alors vue comme "autre" qu'elle (la réalité).

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29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 18:18
Trois expositions publiques

Les trois expositions sont visibles dans l’atrium et le hall d’entrée de la Grande Loge de France à Paris jusqu’au 18 décembre prochain, de 10 heures à 17 h 30, accès libre.

 

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O’NEILL :
La peintre Marie-Hélène O’NEILL a choisi d’orienter ses dernières toiles sur le thème de l’enfermement : on y retrouve déclinés au travers de tons sombres ou exaltés des visions de cellules ou de femmes voilées dont le libre arbitre semble totalement asservi. Vivant d’ordinaire en Normandie et peignant régulièrement des paysages et des effets maritimes, l’artiste présente dans son exposition de la Grande Loge de France des toiles exprimant un ressenti personnel très fort aux contrastes saisissants.

 

 

 

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DUPONT :

Nicole DUPONT est une artiste sculpteur qui travaille autant sur bois que sur pierre et elle a choisi de présenter à la Grande Loge de France des travaux essentiellement orientés sur l’Égypte antique ou le symbolisme. La matière est toujours travaillée dans un esprit minimaliste aspirant à la pureté initiale de la création et les tons uniques ou simplement doubles renforcent encore plus l’aspect unitaire de son œuvre dont les connotations calmes et sereines entraînent le spectateur à la méditation.

 

 

 

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VERON :

Bernadeth VERON est une artiste à part entière qui a choisi d’orienter ses dernières créations sur un clin d’œil à l’appartenance maçonnique. Elle a créé des objets dérivés à partir de la symbolique purement maçonnique, plus ou moins dévoilée, et propose à chacun un éventail de « petits plaisirs » avant les fêtes de fin d’année.

 

 

 
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29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 17:30

Clément Rosset

CLEMENT ROSSET

L'homme joyeux se réjouit certes de ceci ou de cela en particulier ; mais à l'interroger

davantage on découvre vite qu'il se réjouit aussi de tel autre ceci et de tel autre cela, et

encore de telle et telle autre chose, et ainsi de suite à l'infini. Sa réjouissance n'est pas

particulière mais générale : il est "joyeux de toutes les joies".

Il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l'objet particulier qui l'a

suscitée pour affecter indifféremment tout objet et aboutir à une affirmation du caractère

jubilatoire de l'existence en général. La joie apparaît ainsi comme une approbation

inconditionnelle de toute forme d'existence présente, passée ou à venir.

L'homme véritablement joyeux se reconnaît paradoxalement à ceci qu'il est incapable de

préciser de quoi il est joyeux. Il n'est aucun bien du monde qu'un examen lucide ne fasse

apparaître en définitive comme dérisoire et indigne d'attention, ne serait-ce qu'en

considération de sa constitution fragile, de sa position à la fois éphémère et minuscule dans

l'infinité du temps et de l'espace. L'étrange est que cependant la joie demeure, quoique

suspendue à rien et privée de toute assise... La joie constitue ainsi toujours une sorte d'"en

plus", et c'est cet en plus que l'homme joyeux est incapable d'expliquer et même

d'exprimer... Perdue entre le trop et le trop peu à dire, l'approbation de la vie demeure à

jamais indicible ; toute tentative visant à l'exprimer se dissout nécessairement dans un

balbutiement.

La joie, telle la rose dont parle Angelus Silesius dans le Pèlerin chérubinique, peut à

l'occasion se passer de toute raison d'être... c'est même peut-être dans la situation la plus

contraire, dans l'absence de tout motif raisonnable de réjouissance, que l'essence de la joie

se laissera le mieux saisir... L'accumulation d'amour en quoi consiste la joie est au fond

étrangère à toutes les causes qui la provoquent, même s'il lui arrive de ne devenir manifeste

qu'à l'occasion de telle ou telle satisfaction particulière... Elle apparaît ainsi comme

indépendante de toute circonstance propre à la provoquer (comme elle est aussi

indépendante de toute circonstance propre à la contrarier).

Aucun objet ne saurait à lui seul rendre joyeux. Ou plutôt, il arrive bien à un objet

quelconque de rendre joyeux : mais le sort paradoxal d'un tel objet est de donner alors plus

qu'il n'a effectivement à donner, plus que ce qu'il possède objectivement... La joie est un

plein qui se suffit à lui-même et n'a besoin pour être d'aucun apport extérieur... Elle ne se

distingue en aucune façon de la joie de vivre, du simple plaisir d'exister : un plaisir plutôt

pris au fait qu'il y ait de l'existence en général qu'au fait de son existence personnelle.

La saveur de l'existence est celle du temps qui passe et change, du non-fixe, du jamais

certain, inachevé ; c'est d'ailleurs en cette mouvance que consiste la meilleure et plus sûre

permanence de la vie... Le charme de l'automne, par exemple tient moins au fait qu'il est

l'automne qu'au fait qu'il modifie l'été avant de se trouver à son tour modifié par l'hiver.

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28 décembre 2007 5 28 /12 /décembre /2007 17:39
Le vrai point de vue sur les choses est celui de
l'opprimé.Sartre.
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