The Vanishing Face of Gaïa. A Final Warning
Par James Lovelock
Allen Lane, Février 2009
Préface de Martin Rees
Présentation et commentaires par Jean-Paul Baquiast
09/03/2009
James Lovelock est l’auteur de plus de 200 articles scientifiques et le père de
l’hypothèse Gaïa. devenue après de nombreuses vérifications expérimentales la théorie Gaïa.
Il a consacré trois livres à ce sujet, le dernier, présenté ici actualisant la théorie au vu des derniers travaux scientifiques.
James Lovelock est aussi un écologiste de terrain (c’est-à-dire ennemi des constructions idéologiques). En tant que scientifique, il a contribué en
proposant un instrument adéquat, à mesurer la destruction de l’ozone par les CFC.
Pour en savoir plus
James Lovelock international web site http://www.ecolo.org/lovelock/
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Nous pensons pouvoir affirmer que « The Vanishing Face of Gaïa » est la plus importante contribution parue à ce jour dans un domaine jusqu’ici
en proie aux polémiques et aux conflits d’intérêt. Le livre offre une nouvelle compréhension scientifique et philosophique de la Terre et de son avenir. Cet avenir sera aussi celui de tout ce que
notre planète porte avec elle, espèce humaine comprise. L’auteur, James Lovelock, aura sûrement beaucoup d’émules et de prolongements, comme il le mérite. Il aura aussi des contradicteurs,
représentant principalement ceux qui ne veulent rien entendre et continuer comme avant, « business as usual ». Mais le livre et l’œuvre dont il est le couronnement devraient
rester dans l’histoire de l’intelligence, si celle-ci dispose encore, elle aussi, d’un certain avenir, comme la première ébauche d’un modèle global permettant de comprendre la considérable
complexité des changements imposés à l’évolution biologique et physique de la Terre par l’apparition de ce que nous appelons ailleurs les systèmes anthropotechniques.
Rappelons que pour nous, ce terme désigne les systèmes sociaux évolutionnaires associant symbiotiquement des humains encore déterminés génétiquement pour se
comporter, selon l’expression de Lovelock, en prédateurs tribaux et des technologies qui augmentent hélas plus rapidement les capacités destructrices que les capacités cognitives de ces mêmes
humains. « The Vanishing Face of Gaïa », indiquons le en passant pour n’y plus revenir, offre à cette approche de l’évolution les bases méthodologiques indispensables à la
compréhension de l’origine et du futur des systèmes anthropotechniques. Ceci devrait être d’autant plus intéressant que James Lovelock, qui n’a pas pu tout dire en 170 pages, n’a pas développé ce
point particulier.
Mais revenons à Gaïa. Ce qui est d’abord admirable dans cet ouvrage véritablement révolutionnaire est qu’il vient d’être écrit par un homme presque centenaire, dont
la vie s’est en partie usée à faire admettre une hypothèse, celle de Gaïa, incomprise à ses débuts, voire dépeinte avec malveillance comme quasi mystique, prétendument empreinte de l’inspiration
des années 1970 dite New Age. Si James Lovelock ne rappelait pas de temps à autres son âge, nul ne pourrait le deviner, tant le livre est jeune, combatif dans son esprit, parfaitement lisible et,
bien entendu, richement documenté.
Mais au-delà de cet aspect anecdotique, il convient évidemment de s’arrêter sur l’hypothèse dite Gaïa, faisant l’objet du livre. En effet, cette hypothèse, depuis
quelques années seulement, deux ans au plus, se révèle être une théorie scientifique au caractère fondateur, que vérifient un nombre croissant de mesures expérimentales indiscutables. Elle est
évidemment encore discutée par les tenants de tous les intérêts qu’elle bouscule, mais crise climatique aidant, elle fera pensons nous irrésistiblement son chemin. Ce triomphe de l’esprit
scientifique arrive tard pour Lovelock, mais pas trop tard cependant pour qu’il ne puisse personnellement en recueillir la reconnaissance et l’admiration des esprits éclairés. Que le lecteur
considère cet article comme un premier hommage et marque de reconnaissance de notre revue.
Malheureusement, le triomphe scientifique de Lovelock arrive trop tard pour l’humanité, en ce sens que celle-ci, à supposer qu’elle puisse se décider à changer les
comportements qui depuis au moins deux siècles ont détruit les équilibres naturels précédents, ne pourra plus désormais empêcher la survenue des conséquences catastrophiques de ces destructions,
le point de non retour (ou tipping point) semblant désormais non seulement atteint mais dépassé. Ce n’est pas le seul Lovelock qui l’affirme, mais un nombre croissant de
grands scientifiques, cités dans le livre. Pour notre part, nous n’avons pas trouvé de failles dans les arguments produits, mais seulement des points qui n’ont pas été abordés et que nous
évoquerons rapidement un peu plus loin. Si la prise en compte de la théorie Gaïa avait eu lieu 30 ans plus tôt, peut-être ne serions-nous pas aujourd’hui confrontés à ce point de non-retour. Mais
rien n’est certain car la volonté de continuer comme avant se serait peut-être, alors comme aujourd’hui, imposée aux décideurs de toutes sortes.
Que pouvons-nous pour notre part faire pour aider la thèse de Lovelock à mieux se diffuser, non seulement dans la communauté scientifique mais dans la société –
ceci d’autant plus que le livre n’étant pas encore traduit en français, il faudra quelques temps afin qu’il ne pénètre les esprits de nos compatriotes, trop souvent embourbés sur les questions
d’écosystèmes dans des préjugés non-scientifiques et inutilement polémiques?
Nous pensons que trois choses s’imposent en urgence : d’abord résumer la théorie de Lovelock, que nous continuerons comme lui à
désigner du nom de Gaïa pour éviter une longue périphrase – présenter les prévisions les plus probables ensuite - évoquer enfin les
solutions susceptibles de ralentir les changements profonds que prédit la théorie dans les prochaines décennies, ainsi que les considérations géostratégiques relatives à la mise
en œuvre effective de ces solutions.
Il conviendrait également de discuter de l’avenir des humains si comme le pressent Lovelock, émerge de la crise en cours une nouvelle
espèce biotechnique mieux adaptée biologiquement au monde futur que l’humanité actuelle et surtout capable de mettre sa future intelligence et ses outils au service non seulement de sa propre
survie mais de celle de la Terre, aussi longtemps du moins – 500 à 600 millions d’années - que celle-ci ne sera pas réduite en cendres par le soleil amorçant son déclin. Ces perspectives
paraîssent encore relever de la spéculation romanesque, mais elles se préparent peut-être déjà dans le monde rapidement évolutif de l’Intelligence artificielle et de la robotique autonome. Comme
cependant elles ne sont pas véritablement abordées dans le livre de James Lovelock, nous en reporterons la présentation à de prochains articles, en espérant rester fidèles à l’orientation
philosophique et scientifique proposée par James Lovelock. 1)
I. La théorie Gaïa
James Lovelock explique avec beaucoup de modestie comment et pourquoi ses premières hypothèses, qu’il avait regroupées sous le nom de Gaïa, avaient provoqué le
scepticisme du monde scientifique, voici plus de trente ans. Le nom de Gaïa, déesse mère, lui avait été suggéré par un certain Bill Golding, pour désigner ce qu’il avait évoqué dans ses premiers
articles par le terme moins spectaculaire de « Earth System Hypothesis » traduisible par « Hypothèse selon laquelle la Terre se comporte globalement comme un système intégré
évolutionnaire ». Baptiser ces hypothèses d’un nom de déesse, censée représenter la Terre nourricière, leur avait valu une indéniable notoriété mais beaucoup d’incompréhension. Nous y
reviendrons.
Il a fallu attendre une déclaration dite d’Amsterdam en 2001, signée par un millier de scientifiques appartenant à l’Union Géophysique Européenne pour que le
concept de Gaïa soit développé de la façon suivante : « Le système de la Terre se comporte comme un système intégré (unique) auto-régulé comportant des constituants (components) physiques,
chimiques, biologiques et humains ». Cette définition n’avait pas suffit à satisfaire Lovelock. Il explique en détail dans ses divers ouvrages concernant Gaïa que le terme d’auto-régulé n’a pas
de sens s’il n’est pas précisé par la finalité que tend à maintenir cette auto-régulation. L’auteur convient que le terme de finalité est dangereux car il tend à faire supposer un finalisme
d’ordre théologique. Pour lui, il désigne seulement le résultat global émergent qui résulte d’un certain état d’équilibre lui-même produit de l’autorégulation et qui s’impose comme contrainte
d’ensemble aux variations des facteurs, tant du moins que ces variations se font dans des limites compatibles avec l’équilibre de l’ensemble. La finalité que propose Lovelock à propos du système
Gaïa est ce qu’il nomme l’habitabilité. Mais habitabilité pour qui ?
Le système Gaïa s’est développé à partir de l’action combinée et interagissante de trois catégories de changements : - changements physiques (géologiques,
océaniques, atmosphériques), - changements biologiques (apparition des premières cellules vivantes, bactéries et algues (2) puis des végétaux et animaux supérieurs), - changements
anthropologiques (ou mieux, selon notre vocabulaire, anthropotechniques enfin. L’habitabilité, que nous qualifierions plutôt de résultat émergent final que de finalité, résulte du fait que
ces différents constituants, évoluant selon leurs propres rythmes mais aussi influençant le développement des autres, ont fait apparaître un monde terrestre que peuvent non seulement habiter les
organismes vivants mais qui est régulé par les niches que produisent en s’y développant les différentes espèces d’organismes. Le système a pu se développer d’une façon régulée pendant près de 4
milliards d’années, y compris en fournissant des havres habitables par les premiers humains – ceci jusqu’au moment où la prolifération de ceux-ci et de leurs moyens de destruction massive (le
feu, les outils, les technologies modernes) ont empêché les autres constituants de continuer à jouer leur rôle d’auto-régulation.
L’auto-régulation du système est robuste. L’habitabilité de la Terre par les organismes biologiques a résisté pendant 3 milliards d’années à de multiples accidents
géologiques, astrophysiques ou provoqués par les organismes vivants eux-mêmes. Des extinctions plus ou moins massives se sont multipliées. Les hominiens eux-mêmes ont du à certaines périodes ne
pas compter plus de 2 à 3 milliers d’individus. Cependant l’habitabilité pourrait disparaître à la suite de perturbations trop fortes ou trop rapides ne permettant pas l’adaptation croisée des
divers facteurs. Ce pourrait être la chute d’un méga-astéroïde, une guerre nucléaire générale ou un réchauffement encore plus brutal que celui observé actuellement. Mais en fait, avant que les
éléments les plus fragiles, anthropologiques et biologiques, ne soient éliminés au profit d’un équilibre matériel stable mortel pour la vie, tel celui présenté par la Lune ou Mars, le système
pourra se rééquilibrer à des niveaux plus sélectifs, ne permettant la survie et le développement que d’espèces s’étant adaptées à de nouvelles conditions, notamment de température et d’humidité,
résultant de la généralisation de causes perturbatrices profondes mais non globalement destructrices. En ce sens, on pourra parler d’une auto-régulation conduisant à des modes différents de
fonctionnement, que les humains, s’ils ont survécu sous une forme ou une autre, qualifieront de dégradés, mais que les méduses ou les bactéries notamment thermophiles apprécieront.
L’erreur généralement induite par le concept de Gaïa, y compris jadis dans l’esprit de l’auteur du présent article, est qu’il pouvait laisser penser à un système
capable de survivre à n’importe quelles agressions, en puisant en lui-même des forces réparatrices. En ce cas, et concernant les pollutions et autres nuisances que l’humanité impose à la Terre,
il aurait été inutile de s’inquiéter. Gaïa y pourvoirait. Les premiers écologistes pouvaient donc se méfier de ce concept, quasiment théologique, car il aurait été démobilisateur au regard de
leurs efforts pour limiter la destruction des éco-systèmes. James Lovelock lui-même, à l’origine de sa thèse, n’avait pas assez mis en garde sur la rapidité de certains actions déstabilisatrices
et le caractère chaotique, c’est-à-dire en fait imprévisible et pouvant être catastrophique, de certaines évolutions. Autrement dit, il s’était pensons-nous illusionné sur les propriétés
auto-réparatrices et stabilisatrices du système Gaïa. Mais à sa décharge, seules les observations croisées très récentes de la Terre considérée comme un milieu global ont fait apparaître que
certains phénomènes, jusque là jugés comme se produisant à un rythme relativement lent, pouvaient brutalement engendrer des changements brutaux et destructeurs.
Dans les premiers chapitres du livre, James Lovelock fait état en ce sens de mesures toutes récentes montrant comment par exemple la fonte des glaciers terrestres
et des glaces de mer arctiques peut créer une fausse impression de sécurité, au sein du grand public et même chez beaucoup de scientifiques. Cette disparition rapide des glaces cache en effet le
phénomène global destructeur du réchauffement, car la chaleur ainsi utilisée à la fonte de la glace ne modifie pas sensiblement dans l’immédiat les températures globales. On peut donc se croire
tranquille, d’autant plus que des variations aléatoires entre saisons froides et saisons chaudes peuvent laisser penser que le réchauffement global est un mythe. Mais dans quelques années,
lorsque toutes les glaces seront transformées en eau, le poids de l’augmentation continue de température se fera sentir dans toute sa force, entraînant des phénomènes induits et divers
emballements destructeurs : remontée des océans, dégazage des chlarates de méthane, désertifications ici, inondations là et destruction d’un grand nombre de biotopes vitaux pour les
humains.
La théorie Gaïa, comme toute bonne théorie scientifique, prévoit un grand nombre de phénomènes que les observations du passé, du présent et du futur pourraient
démentir ou vérifier. Or un nombre de plus en plus grand d’observations vérifient aujourd’hui les prévisions de la théorie. Si, pour les raisons que nous allons évoquer, les observations étaient
multipliées à l’avenir, tout laisse craindre que les prévisions les plus inquiétantes pour notre avenir sur la planète le seraient aussi.
Critique de la science appliquée à la Terre
Avant de présenter rapidement ces prévisions, il convient de s’interroger sur les défaillances des scientifiques dans l’analyse d’un phénomène dont on découvre
maintenant, mais trop tard, l’ampleur. Pourquoi, se demandera le lecteur, les sciences en général et celles de la Terre en particulier se sont-elles montrées si aveugles, jusqu’à ces derniers
temps ? Pourquoi les scientifiques n’ont-ils pas écouté Lovelock et ses rares disciples ? Pourquoi aujourd’hui le supposé très compétent IPCC (International Panel on Climate
Change) présente-t-il des projections linéaires relativement optimistes que démentent, selon Lovelock, tous ceux qui se livrent à la tâche ingrate des observations de terrain, aux
pôles et dans les océans notamment ?
L’auteur propose, outre l’explication évidente selon laquelle de telles prévisions heurtent trop d’intérêt pour être encouragées et diffusées, des raisons qui nous
conduisent à nous interroger à nouveau sur la fiabilité de la science quand il s’agit de comprendre le monde. Les critiques de la science actuelle, lorsqu’elle porte sur la climatologie et à ce
que l’auteur appelle la géophysiologie 3) sont multiples. Les unes remontent aux fondement même de la cognition : notre cerveau n’a pas été construit par l’évolution pour enregistrer des
changements lents, portant sur des objets de vastes dimensions et peu observables, comme l’atmosphère et les océans. D’autres mettent en cause la croyance un peu religieuse en la vertu des grands
modèles théoriques faisant appel à beaucoup de mathématiques et d’informatique – relativement faciles à établir mais plus difficiles à modifier – alors que, comme rappelé ci-dessus, les
observations de terrain sont coûteuses et demandent beaucoup d’énergie physique.
Mais James Lovelock évoque aussi ce qui est un thème récurrent des critiques qui, notamment dans notre revue, sont portées contre la science actuelle. Il s’agit de
l’enfermement disciplinaire. Une théorie comme Gaïa suppose que les théories portant sur l’évolution de la Terre résultent d’une coopération active entre disciplines dont les thèmes principaux
demeurent encore très éloignés : il s’agit des sciences physiques de la Terre auxquelles on peut ajouter la météorologie et l’océanologie, des sciences de la vie appliquées à l’histoire et à la
description du milieu terrestre et finalement des sciences des systèmes anthropotechniques ? Non seulement les domaines restent encore étrangers les uns aux autres, mais les paradigmes, les
méthodes, les concepts concernant l’évolution des systèmes et la façon de la modéliser sont également différents. Bien entendu enfin, les méthodes observationnelles et les instruments sont
rarement communs.
L’auteur montre très bien les incompréhensions et donc les erreurs de pronostic résultant notamment des divergences entre deux écoles de pensée radicalement
différentes, la géophysique et la biologie. Pour la géophysique, l’évolution du climat terrestre, entre autres phénomènes préoccupant, relève de causes matérielles telles que des éruptions avec
dégazage d’aérosols, impacts d’astéroïdes, dérives continentales ou modifications des interactions entre la Terre et le solaire. Pour la biologie, elle relève au contraire de la production par
les organismes vivants de différents sous-produits de leur activité, oxygène et CO2 notamment, sans mentionner d’autres déchets ayant des conséquences importantes non seulement sur le climat mais
sur d’autres grands équilibres vitaux . Pendant longtemps, les causes géophysiques furent les seules prises en compte pour évoquer les modifications du climat et les conséquences associées. Ce
fut bien plus tard que les biologistes, non sans difficultés, purent faire valoir leurs arguments, montrant notamment comment la production d’oxygène puis de CO2 par les organismes vivants
insérés dans les premiers sols avait contribué à modifier les climats 4)
Mais ce fut plus récemment encore que les tenants de chacune de ces deux disciplines ont enfin admis que les facteurs évoqués par l’une et l’autre pouvaient entrer
en jeu simultanément, en provoquant des effets croisés difficiles à analyser et plus encore à prévoir. La théorie Gaïa a convaincu beaucoup d’entre eux que c’était le système global Terre,
c’est-à-dire l’association de la vie et de son environnement, qui jouait le rôle de régulateur, notamment concernant l’adaptabilité dans certaines marges des espèces vivantes 5).
En dehors des questions génétiques, une des causes de la difficulté à rapprocher les modèles d’évolution respectifs, spécifiques de la géophysique et de la
biologie, tient à la nécessité de passer de modèles mathématiques prévoyant des évolutions linéaires relativement déterministes (hors la météorologie et l’océanologie), à des modèles qui,
comme l’imprévisibilité des interactions entre 3 corps signalée pour la première fois par Poincaré, imposent le recours systématique à la théorie du chaos déterministe. Or de tels modèles
chaotiques, comme on le sait, ne permettent de prévisions à peu près fiables que pour les grands nombres et les très longues durées. Ils ne peuvent exclure la survenue à tout moment de phénomènes
paroxystiques pouvant être destructeurs, sur le court comme le long terme. C’est le cas des vagues dites scélérates en océanologie.
Concernant enfin l’évolution des systèmes anthopotechniques, que ce soit sous l’angle anthropologique proprement dit ou sous l’angle géopolitique, nous avons dit
qu’elle n’est guère évoquée par James Lovelock. Il se borne à critiquer, non sans de bons arguments, les tenants du « business as usual » et la plupart des mouvements
écologistes, fondant sur des arguments non scientifiques de véritables croyances religieuses devant être acceptées sans discussion ni murmure. Cette absence d’approfondissement des facteurs
anthropotechniques constitue l’une des lacunes de l’ouvrage, à laquelle nous pourrions porter remède le cas échéant. Mais elle n’entache en rien d’invalidité le reste de ses constatations.
II. Les prévisions
Nous pouvons passer très vite sur les prévisions concernant l’avenir proche des sociétés humaines proposées par James Lovelock. Nous en avons déjà fait une
présentation rapide dans l’éditorial référencé en note. Un nombre de plus en plus grand de scientifiques, dont beaucoup malheureusement semblent encore réticents à s’exprimer craignant des
retombées négatives pour leur carrière, disent qu’il est désormais trop tard pour compter sur la réduction de la production des gaz à effets de serre afin d’éviter une hausse de 4° C des
températures moyennes d’ici 2050-2090. La réduction des émissions, pour être efficace, devrait être, tous facteurs confondus, de 75% par an vers 2015. Or, malgré les mesures à grand peine
entreprises aujourd’hui, la courbe des émissions restera croissante d’environ 5% par an. Malheureusement, une hausse apparemment bénigne de 4° centigrade des températures moyennes détruira les
civilisations tels que nous les connaissons.
Une carte des prévisions d’occupation de la Terre par les hommes à échéance de quelques décennies est effectivement effrayante. De nombreuses zones littorales, les
plus peuplées et les plus riches, seront submergées par la montée des eaux. Les pays pauvres seront les premières victimes, par exemple les côtes du Bangladesh et de l’Inde. Mais les pays
émergents ou riches seront aussi frappés. Shanghai, New York, Londres, une partie du delta du Rhin et de l’Escaut seront recouverts par la mer. A l’inverse, toute la ceinture intertropicale de la
Terre sera soumise à la désertification, les glaces alimentant les grands fleuves permettant encore aujourd’hui l’irrigation ayant disparu. Le désert, selon les continents, remontera assez haut
vers les pôles, entre le 45 et le 55 parallèle dans l’hémisphère nord. En Europe, seules les pays du grand Nord et les îles océaniques (dont la Grande Bretagne) conserveront un climat quelque peu
tempéré. Les vraies bénéficiaires, si l’on peut dire, du changement seront les terres arctiques et polaires, notamment la Sibérie, le Nord Canada ainsi que, à l’autre extrémité du monde, la
Nouvelle Zélande, l’Australie côtière et le continent antarctique.
Ces changements produiront très rapidement un accroissement ingérable sans conflits ni guerres des réfugiés climatiques : au moins plusieurs milliards d’hommes
provenant de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique centrale. Ceux-ci, irrésistiblement, se dirigeront vers ce que les nouveaux climatologues appellent des oasis ou radeaux de sauvetage permettant
la survie de quelques centaines de millions d’humains mais aussi d’un minimum d’éco-systèmes naturels indispensables à la protection de ce qui restera du système Gaïa.
Il faut bien comprendre en effet que si le système global de la Terre pouvait se rééquilibrer autour d’une température moyenne accrue de 4° centigrade, avec les
conséquences décrites ci-dessus, il ne s’agirait que d’un équilibre précaire supposant le fonctionnement à plein régime des processus biologiques producteur de photosynthèse. Autrement dit, il
faudrait encourager le développement d’une végétation suffisamment complexe pour peupler les terres nouvellement découvertes. Or les hommes seront en compétition avec ces végétations afin de
continuer à exploiter ce qui restera d’eau et de terrains cultivables. S’ils faisaient l’erreur de céder à leur ubris, ce qui demeurerait d’habitabilité, même réduite, disparaîtrait
rapidement, au détriment en premier lieu des organismes complexes tels que les nôtres. Un nouvel équilibre pourrait sans doute s’installer, les humains ayant enfin disparu, mais cet équilibre se
situera à un niveau encore plus dégradé. La Terre redeviendrait ce qu’elle était un peu avant l’ère dite du pré-Cambrien.
Nous avons dit que James Lovelock ne s’étend pas sur les conséquences politiques et humaines de tels mouvements de population. Il se borne à envisager comment les
Iles Britanniques, sa patrie, pourraient accommoder 100 millions d’immigrés. Mais il est évident que cette question dépasse ses compétences de scientifique. Sans doute considère-t-il que la
disparition plus ou moins rapide de milliards d’hommes serait bénéfique pour l’écosystème Gaïa et par conséquent pour les survivants. Ceux-ci, pour lui, ne seront pas nécessairement des habitants
des pays riches, en l’espèce pour ce qui le concerne immédiatement des citoyens britanniques. Ce seront ceux qui, tels les réfugiés actuels de la misère qui affrontent l’océan sur des barcasses,
prendront le risque de mourir pour survivre. Nous reviendrons plus loin sur cette question difficile.
III. Solutions possibles
Nul ne voit clairement, en l’état actuel des technologies comment les émissions, et autres causes de réchauffement associées, pourraient être réduites, ni dans la
décennie ni plus tard. On se trouve en face, comme nous l’avons souligné par ailleurs, de mécanismes anthropotechniques échappant à tout contrôle par ce que l’on croit encore nommer la volonté
humaine. Chacun défend son petit intérêt et la maison, selon le mot plus que jamais valable de Jacques Chirac, continuera à brûler. Néanmoins, des réactions doivent dès maintenant être
envisagées. Pour les scientifiques, qui s’évertuent à nous alerter, James Hansen, Paul Crutzen, Peter Cox, et bien évidemment James Lovelock, il est n’est que temps de préparer deux types de
solutions aussi hasardeuses les unes que les autres.
La géoingénierie
Les premières consisteront à envisager sérieusement les méga-projets dits de géoingénierie visant à diminuer l’ensoleillement de la Terre et accélérer les processus
d’absorption des gaz à effet de serre. Ces projets étaient considérés jusqu’ici comme des tentatives émanant de divers lobbies politico-industriels pour ne pas réduire la consommation de
pétrole ou pour faire financer des programmes technologiques plus faciles à vendre dorénavant que les grands programmes d’armement des décennies précédentes. Les approches envisagées (et parfois
testées à petite échelle), n’apparaissaient pas convaincantes. Elles étaient grosses de risques mal étudiés susceptibles d’être pires que le mal. Mais pour les plus sérieux des experts, si
l’humanité se trouvait confrontée à une destruction proche, elle devrait sans doute envisager de tels programmes. Avec beaucoup d’argent et une grande prudence scientifique, les nouvelles
technologies pourraient sans doute apporter des solutions au moins temporaires.
Celles-ci, on le sait, sont de plusieurs types. James Lovelock les étudie en détail mais nous ne nous n’y attarderons pas ici : abriter la Terre des rayonnements
solaires par des nuages artificiels (sans créer cependant l’effet inverse dit de serre), ensemencer les océans pour les rendre plus biologiquement productifs, séquestrer le carbone industriel
mais surtout enfouir le carbone produit par la végétation, modifier les espèces pour les rendre plus tolérantes à l’absence d’eau… On enregistrerait certainement des retombées négatives, mais
celles-ci ne seraient pas pires que ce qui se passera si rien n’est fait. Cependant ces investissements ne pourront pas éviter de préparer dès aujourd’hui l’adaptation à un monde profondément
différent.
L’adaptation prévisionnelle
D’autres types de solutions devront effectivement être conduites, y compris en parallèle des premières car la géoingénierie ne serait certainement pas efficace à
100%. Il s’agira d’organiser dès maintenant la survie des humains sur une Terre dont les régions habitables et productives actuelles seront détruites par le réchauffement. Les problèmes à
résoudre seront immenses. Nous les avons déjà évoqués. Il faudra d’abord abandonner les zones les plus peuplées et les plus fertiles, qui auront été soit inondées soit désertifiées. On les
évacuera au profit de zones encore inhospitalières aujourd’hui, mais qui deviendraient vivables, aux pôles et dans les régions de toundra qui s’étendent au nord des continents américain et
eurasiatique. Dire que ces régions seraient vivables est excessif. Elles permettront tout juste la survie. Les milliards ( ?) d’humains concernés seront obligés de s’entasser dans des mégapoles
verticales destinées à libérer le maximum de terres cultivables et d’aires industrielles consacrées à la production d’énergies renouvelables. L’alimentation sera principalement végétale ou
artificielle. La vie sauvage sous ses formes actuelles disparaîtra totalement, sur terre et dans les mers. Ne survivront que les parasites et bactéries.
Concernant l’énergie, James Lovelock, ancien militant écologiste, s’est récemment reconverti. Ceci lui a fait beaucoup d’ennemis chez les idéologues mais suscite
l’admiration de ceux qui mesurent comment une véritable approche scientifique peut simplifier les problèmes. Pour lui, et nous l’approuvons à 100%, l’énergie dans le monde de demain ne pourra
qu’être électrique. Continuer l’exploitation des combustibles fossiles ne sera acceptable que dans le cas des populations les plus déshéritées, et à court terme. Or il faudra énormément
d’électricité pour survivre, même si les consommations de luxe sont sévèrement réglementées. L’électricité ne pourra donc qu’être nucléaire.
L’énergie solaire représentera cependant un appoint non négligeable, à condition de ne pas occuper trop d’espace. Les autres sources dite renouvelables (qui ne sont
renouvelables pour lui que de nom) seront soit marginales soit sans issue. Lovelock s’en prend en particulier à l’énergie éolienne, dans laquelle il voit un nouveau piège dans lequel certains
industriels relayés par les idéologues voudraient enfermer les sociétés. En ce qui concerne l’atome, il balaie en quelques phrases les arguments des anti-nucléaires : l’uranium ne manquera
jamais, les déchets pourront être stockés puis transformés, le risque technologique est infiniment moindre que celui des autres sources. Il salue en particulier la France pour sa clairvoyance et
l’exemple qu’elle donne au monde, en ayant su installer avec une compétence industrielle et scientifique sans égale la plus forte densité au monde par habitant de centrales atomiques. Ce
compliment fait plaisir aux « nucléocrates » que nous sommes, nucléocrates par conviction car ni Areva, ni EDF ni Siemens ni RosAtom n’assurent nos fins de mois.
Mais malgré ces mesures, à supposer qu’elles puissent être décidées et appliquées dans l’ambiance de guerre que provoquera la crise climatique, l’avenir sera en
fait si sombre, les plaisirs et joies attachés à la vie d’aujourd’hui se seront tellement raréfiés que l’humanité traversera certainement des crises morales profondes, avec augmentation des
suicides et refus de la reproduction. Si à cela s’ajoutent les guerres et affrontements, ainsi que des pandémies inévitables, la population pourrait tomber en deux ou trois générations, comme le
pronostique James Lovelock, à un petit milliard d’humains. Mais cela serait suffisant pour assurer la survie de l’espèce.
Les spécialistes de la gestion des grands systèmes collectifs mettent de toutes façons en garde. Les solutions esquissées ici, évacuation et réimplantation, gestion
nécessairement autoritaires des ressources subsistantes, contrôle des affrontements entre les mieux dotés et les autres, conflits ethniques et religieux, nécessiteront des appareils
d’administration publique et de gouvernement mondial dont les organisations nationales et internationales contemporaines se montrent incapables. Rien ne prouve que les grands systèmes
anthropotechniques de demain en soient capables.
De toutes façons, les scientifiques, climatologues ou ingénieurs qui envisagent ces solutions ne sont pas encore très nombreux. Apparemment, beaucoup préfèrent
faire ce qui a jusqu’ici toujours été fait : se fier à la survenue d’événements ou de découvertes qui modifieraient le diagnostic. Ainsi peut-on continuer à mener le train actuel, même si la
survenue de crises de plus en plus violentes, comme nous allons en vivre prochainement, dément la pertinence d’un tel optimisme.
Nous pensons pour notre part qu’il est devenu désormais indispensable d’adopter les versions les plus pessimistes des projections. Certes, les grands dégâts prévus
par les prévisionnistes n’affecteront que les enfants ou les petits enfants des adultes d’aujourd’hui. Pourquoi s’en inquiéter déjà ? Par ailleurs, nombre de personnes plus âgées dont certaines
détiennent les leviers de commande, se rassureront, si l’on peut dire, en se disant qu’elles ne verront pas tout cela. Mais ce serait, pour les uns comme pour les autres, se comporter avec un
aveuglement et un égoïsme bien contraire à l’esprit scientifique. Il nous semble qu’il faut au contraire dès maintenant se préparer au pire, non seulement en élaborant des modèles théoriques
réalistes, mais aussi en réduisant fortement des trains et modes de vie qui, quoiqu’il arrive, sont déjà condamnés. Les esprits les plus jeunes et les plus aventureux y trouveront peut-être des
stimulants que n’offrent plus les sociétés de consommation.
Notes
1) Nous avons déjà publié
sur l’ensemble de ces questions un premier éditorial daté du 3 mars 2009, repris en partie ici « La fin certaine des civilisations telles que nous les connaissons ? http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2009/95/edito.htm .
Des lecteurs nous ont demandé à quel titre nous pouvions parler de « fin certaine ». C’est toute la question. Pour nous, elle apparaît certaine, au sens de très hautement probable. Les certitudes
absolues n’existent pas en science.
2) A une toute autre échelle, le fonctionnement co- et auto- régulé des différents constituants d’une ruche contribuent à son habitabilité non seulement par les
abeilles mais par tous les micro-organismes qui y vivent. Pour le regard du biologiste évolutionnaire, cette habitabilité peut être présentée comme la finalité de la ruche. Ou, comme indiqué
ci-dessus, d’état émergent final (temporaire et fragile) intéressant non seulement la ruche, mais l’espèce « abeille » et plus généralement l’éco-système local où elle se développe, lequel inclus
les apiculteurs et les agriculteurs, comme nul n’en ignore. Cet état se maintient jusqu’à ce qu’un pesticide que la ruche ne peut pas éliminer soit déversé dans son environnement.
3) La géophysiologie correspond pour les sciences de la Terre à ce que notre regretté ami Gilbert Chauvet avait inauguré sous le nom de physiologie intégrative du
vivant en matière de biologie.
4) Hypothèse de l’endosymbiont (ce terme désigne n’importe quel organisme vivant dans les cellules du corps – en l’espèce des roches colonisées par des protobactéries)
présentée par Lynn Margulis. Celle-ci se rapprocha très vite de James Lovelock dans la promotion de l’hypothèse Gaïa.
5) Lovelock s’en prend à juste titre à la rigidité des néo-darwiniens, bien illustrée selon lui par l’objection de Dawkins selon laquelle les espèces vivantes
s’adaptent aux changements du milieu et ne peuvent les provoquer afin d’en faire des facteurs d’évolution globale. Dawkins avait donc ridiculisé l’hypothèse Gaïa à son apparition. Les gènes «
égoïstes » se battent pour survivre dans un milieu donné. Si les phénotypes modifient ce milieu, cette aptitude à modifier ne peut se transmettre par la voie héréditaire. Mais le néo-darwinisme a
été obligé d’admettre récemment le concept de sélection de groupe, selon lequel les groupes d’animaux (ou phénotypes) constituent des super-organismes capables d’évoluer par mutation/sélection
comme des individus, de construire des niches et d’en faire de nouveaux milieux au sein desquels se poursuit, ou ne se poursuit pas, l’évolution des génotypes.
* Sur la sélection de groupe, on pourra relire notre article de 2007
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2007/nov/groupselection.html
* On lira également un articlé récent de Bob Holmes dans le NewScientist du 7 mars 2009, p. 36, The Selfless gene, qui nuance la théorie du gène égoïste de Richard Dawkins.
Le concept de sélection de groupe parait aujourd’hui difficilement applicable à de vastes écosystèmes comportant de nombreuses espèces et moins encore à l’ensemble des espèces constituant le
biotope de Gaïa.
http://www.newscientist.com/article/mg20126981.800-the-selfless-gene-rethinking-dawkinss-doctrine.html.
6) Cette hypothèse ne fut vérifiée qu’en 2008, par l’analyse de prélèvement de carottes glaciaires montrant l’autorégulation de la quantité de CO2 et des températures pendant des centaines de
milliers d’années (Zeebe-Caldera). Sans attendre, Lovelock avait établi en 1981 un modèle informatique dit du Daisyworld illustrant cette hypothèse de l’autorégulation par l’action conjuguée
des facteurs géophysiques et des facteurs biologiques (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Daisyworld )