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Ecosia : Le Moteur De Recherch

28 juin 2009 7 28 /06 /juin /2009 11:56



Accueil du site || Asiatiques || Voix de l’Asie d’aujourd’hui || La nouvelle littérature vietnamienne

 

« Que ferai-je demain ? Je marche sans but sur le trottoir où on voit encore les traces de la dernière pluie. Très souvent, je ne sais pas ce que je ferai demain. »
Nguyễn Việt Hà, Une opportunité pour Dieu.
« Une technique romanesque renvoie toujours à la métaphysique du romancier. »
J.P. Sartre, Situations I.

Vingt ans après l’avènement du Đổi Mới, mouvement de renouveau économique et culturel lancé par le parti communiste sous l’influence de la perestroïka soviétique, les écrivains controversés d’alors - Bảo Ninh, Dương Thu Hương, Nguyễn Huy Thiệp, Phạm Thị Hoài - sont devenus classiques au regard d’une nouvelle génération d’auteurs qui prend forme. Ceux-ci sont jeunes : Khương Hà Bùi est née en 1985, Lynh Bacardi en 1981, Vi Thùy Linh en 1980, Nguyễn Thị Thúy Quỳnh en 1979, Bùi Chát en 1979, Lý Đợi en 1978, Nguyễn Ngọc Tư en 1976, Phan Huyền Thư, Nguyễn Hữu Hồng Minh, Văn Cầm Hải en 1972, Thuận en 1967, Nguyễn Bình Phương en 1965, Nguyễn Việt Hà en 1962, pour ne citer qu’eux. Ils sont les porte-parole des cinquante millions de Vietnamiens qui ont grandi loin des combats et des désillusions idéologiques. Diplômés d’université mais exerçant divers gagne-pain pour jouir d’une plus grande liberté, ils boycottent l’Union des écrivains [1]. Avec la ferme intention de franchir les frontières géographiques et idéologiques qui ont longtemps séparé le Nord et le Sud, l’intérieur et l’extérieur, ils lisent la littérature étrangère, les auteurs de la diaspora et débattent avec ceux-ci grâce à l’internet.
Leurs textes, précurseurs, tentent de renouer avec les valeurs artistiques que leurs devanciers ont souvent délaissées au profit des thèmes politiques - la véritable nature du conflit trop souvent réduit à la “guerre américaine”, la réforme agraire, la corruption des cadres, le déclin de la morale. Créer pour eux, c’est décrire le monde tel qu’il est et non tel qu’il doit être. Sans fermer les yeux sur les problèmes sociaux, ils parlent de leur vie, de leurs préoccupations, de leurs rêves, de leurs traumas. Le “moi”, autrefois rejeté par la littérature officielle, fait partie intégrante de leur univers.
Conscients de l’incapacité des modèles classiques à traduire la société, sa complexité, ses transformations croissantes, les jeunes auteurs quêtent la pluralité de l’expression littéraire. Comment écrire ? Telle est, à leurs yeux, la question capitale. Désormais, la qualité d’une œuvre dépend davantage de la musicalité, de la sensibilité, du style, que du sujet. À travers un monde opaque, les écrivains brouillent les frontières entre le réel et l’imaginaire, plongent le lecteur dans les zones troubles de l’inconscient et le déroutent. Plus qu’une arme idéologique, un simple véhicule de la pensée ou un espace de représentation, la littérature est un lieu de création, d’où la volonté chez certains d’accomplir consciemment l’acte d’écriture. Dans l’œuvre de Bùi Hoằng Vị, Nguyễn Việt Hà, Trần Vũ, Thuận, Nguyễn Bình Phương, Nguyễn Thị Thúy Quỳnh, elle se met en scène pour s’interroger sur sa propre aventure.
Le groupe Mở Miệng (Ouvrir la bouche), récemment fondé à Hô Chi Minh-Ville par Lý Đợi, Khúc Duy, Nguyễn Quán, Bùi Chát, jeunes poètes marginaux vivant sur le trottoir, dans les taudis, les marchés aux puces, les bars, les gargotes, au milieu de la violence et du sexe [2] est un témoignage vivant du nouveau dynamisme littéraire. Ce groupe, comme le suggère son nom, revendique la liberté d’expression et le désir de rendre à la poésie sa forme orale. Ils appellent leur poésie “thơ rác” (poésie-ordure), “thơ nghĩa địa” (poésie-cimetière), “thơ dơ” (poésie-saleté), pour désigner son caractère non officiel, anti-esthétique, de “récupération”, d’où le nom de leur propre maison d’édition “Giấy Vụn” (papier usagé). Leur œuvre qui n’existe que sous forme de photocopie et sur internet pour contourner la censure, recourt à des procédés techniques classiques tels le pastiche, la parodie, ou post-modernistes tels “copier-coller”, “mixer”, emploie un vocabulaire familier, brut, parfois vulgaire, composé de termes d’argot, de paroles courantes, d’un langage direct. Depuis sa naissance, Mở Miệng anime de manière formidable la vie littéraire au Viêt-nam et celle de la diaspora parce qu’il a proposé une nouvelle conception poétique, en s’opposant non seulement à la tradition qui veut que la littérature soit portée par un projet d’édification, mais aussi à la poésie contemporaine, ses règles, sa rhétorique et sa sentimentalité devenues académiques. Pour ces jeunes poètes, une œuvre artistique est avant tout un produit de consommation et d’information, d’où l’importance qu’ils accordent à l’usage et à l’appropriation du texte. À partir d’un poème connu ou des slogans, ils travaillent par exemple à en détourner l’émotion et l’objectif. Mở Miệng ne semble-t-il pas incarner la désinvolture de l’ancienne Saigon, métropole du Sud souvent sous-estimée par Hanoi, la capitale hautaine ? Rien d’étonnant donc à ce qu’une soirée autour de ce groupe prévue à l’Institut Goethe (Hanoi) le 17 juin 2005 en la présence des quatre poètes, ait été interdite par les autorités vietnamiennes.


Nguyễn Việt Hà, né en 1962, de confession catholique et ancien cadre d’une banque d’État à Hanoi, est considéré comme l’un des chefs de file de cette nouvelle génération en raison de sa recherche inlassable de nouvelles techniques narratives et de son regard aigu sur la jeunesse urbaine en ces années à la charnière de deux millénaires. Il domine la scène littéraire dès son premier roman paru en 1999, Une opportunité pour Dieu (Cơ hội của Chúa [3]). Son récent recueil de nouvelles, Objet perdu (Của rơi [4]), a été lui aussi reçu avec enthousiasme.
Le premier roman de Nguyễn Việt Hà constitue l’objet de notre étude. Écrit de 1989 à 1997, il met en scène de jeunes citadins intellectuels confrontés dans les années 1980 et 1990 à une impasse, non seulement matérielle mais aussi morale. Désespérés, ils se réfugient dans l’exil, l’argent ou la mort. Hoàng, catholique et fonctionnaire comme l’auteur, préfère la solitude et le retrait à l’action. Du, son ami le plus proche, poète et boat-people, se suicide en exil. Son amie Nhã, belle, intelligente mais déçue par l’amour et la société, se lance dans une course effrénée au dollar. Tâm, le frère cadet de Hoàng, abandonne ses études universitaires pour partir en Europe de l’Est comme des centaines de milliers de jeunes vietnamiens, pendant les années 1980, dans le cadre de la politique d’“exportation de la main-d’œuvre” vers les pays frères, programme destiné à régler les dettes du Viêt-nam. Souffrant du climat, des conditions de travail et de nostalgie, ils font de la contrebande, de tabac en particulier. De retour au pays en 1987, Tâm crée grâce à un capital accumulé en RDA, une entreprise privée que la bureaucratie corrompue fera échouer. Quant à Thủy, jeune étudiante et amante de Hoàng, elle suit le chemin de Tâm pour la Tchécoslovaquie en quête d’argent.
Depuis cinq ans, Une opportunité pour Dieu ne cesse de fasciner. Par son ampleur - alors qu’en général les écrivains vietnamiens s’essoufflent, ses cinq cents pages représentent un cas exceptionnel ; par la richesse des sujets qu’il exploite - l’amour, l’amitié, le rapport subtil entre le héros et son frère-, la corruption de l’homme par le pouvoir et l’argent ; par la diversité des domaines qu’il aborde - religion, politique, économie, culture ; par la variété des milieux sociaux dont il traite - citadins, étudiants, fonctionnaires, dirigeants, intellectuels, trafiquants ; par la complexité des temps qu’il décrit - passé, présent et futur ne cessent de s’y entrecroiser ; par le nombre impressionnant de lieux qu’il traverse - Hanoi, Haiphong, Đồ Sơn, Saigon, Huê, Berlin, Dresde, la Pologne, Prague.

Une pluralité de “je”

Une opportunité pour Dieu séduit avant tout par son art. Le livre est un véritable laboratoire littéraire où se côtoient de multiples techniques narratives - récit à la troisième personne, journal fictif, pastiche, mise en abyme, essai. Avec des moyens très divers tels le dialogue, le monologue intérieur, le journal intime, la lettre, la création littéraire, ses personnages occupent incessamment la scène du roman, prennent tour à tour la place du narrateur omniscient traditionnel pour exprimer leur “moi”. S’ils font tout à cœur, que ce soit l’amour ou les affaires, c’est dans les mots qu’ils vivent avec le plus de passion. Pour déclarer son amour à Thủy, Bình écrit successivement trois lettres interminables, auxquelles elle répond par une missive non moins longue tout en le rejetant. Puis lors du rendez-vous qui suit, les deux jeunes gens vont longuement parler, l’un cherchant à convaincre l’autre. De la Tchécoslovaquie, Thủy envoie à Nhã des lettres “de quatre pages de grand format et remplies de sa petite écriture bien serrée” (p. 456). Pendant son séjour en Allemagne, Tâm en reçoit dix-sept de Huyền, sa petite amie. Les dialogues entre Nhã et Hoàng durent des nuits entières. Nombreuses sont les conversations sur la poésie ou la philosophie au cours desquelles le plus réservé se transforme en orateur.
Notre intérêt porte sur l’emboîtement de monologues intérieurs ou de journaux intimes de quatre héros et héroïnes du roman - Hoàng, Tâm, Nhã et Thủy. Précisons d’abord que chacun des extraits est d’une longueur de vingt pages, ce qui fait un total de deux cents pages, et que leur fréquence s’accroît à mesure que l’œuvre progresse. L’existence de ces “vies intérieures” explique pourquoi l’auteur accorde peu de place à l’apparence physique de ses personnages : pour lui, le langage révèle davantage. Alors que de Nhã, le lecteur sait seulement qu’elle est “une jeune femme d’une trentaine d’années, d’une grande beauté et d’une intelligence rare”, il peut lire jusqu’à soixante pages de son journal. De façon identique, Nguyễn Việt Hà, sans faire le portrait de Tâm, nous montre vingt-sept pages de son monologue.
Quelles sont donc les conséquences de ce procédé technique ?
Tenir un journal intime ou pratiquer des soliloques, faut-il le préciser, ne constitue guère une habitude ou un besoin partagés par la multitude. Cela implique l’attrait de la solitude, un certain niveau intellectuel et la conscience de soi, trois conditions difficiles à remplir au Viêt-nam dont les structures sociales et mentales sont encore aujourd’hui influencées par deux doctrines anti-individualistes, à savoir le néo-confucianisme et le marxisme-léninisme. Si l’individu apparaît déjà dans les “classiques” vietnamiens, il ne s’exprime que par métaphores et allusions. Souvent, les fonctions morales et sociales y triomphent des sentiments intimes. En témoigne le Chinh Phụ Ngâm, roman en vers [5] écrit en 1741 en caractères chinois par Đặng Trần Côn et traduit en caractères démotiques (nôm) par la poétesse Đoàn Thị Điểm, qui dit la souffrance d’une jeune épouse de guerrier. Ce texte pourtant novateur car présenté comme un long monologue dans lequel l’héroïne exprime incertitude, angoisse et amertume face à la séparation et la vieillesse, dissimule scrupuleusement ces troubles derrière l’amour conjugal. À partir du XIXe siècle, l’émergence du christianisme basé sur un dialogue entre l’homme et Dieu favorise l’essor de la subjectivité. Truyện thầy Lazao Phiền [L’histoire de Lazaro Phiên], paru à Saigon en 1887, dont l’auteur est le catholique Nguyễn Trọng Quản, est un récit en prose et en quốc ngữ, transcription alphabétique du vietnamien savant et populaire. Dans un langage proche du quotidien, rédigé à la première personne, il propose une analyse complexe de la vie intérieure de son héros passionnel. A l’aube du XXe siècle, sous l’influence de la culture occidentale, l’être humain, surtout dans les milieux urbains, prend plus conscience de son existence en tant que personne singulière. Les auteurs, particulièrement ceux du mouvement des années 1930 Tự Lực Văn Đoàn (Groupe littéraire autonome), réclament pour le sujet le droit légitime de vivre et d’aimer à travers une riche prose, apte à traduire l’actualité ainsi que les nuances psychologiques et sociales [6], sans que les fictions à la première personne ne soient nombreuses, à l’exception du Tố Tâm (1925) de Hoàng Ngọc Phách qui introduit l’échange épistolaire et le journal intime à l’intérieur d’une intrigue. Quant aux poètes, leur lutte ardente contre les règles tyranniques de la poésie de la manière des Tang qui domine depuis des siècles la littérature vietnamienne, a pour but d’affirmer la sensibilité individuelle. Elle inspire alors diverses tendances dont les plus prestigieuses sont Thơ Mới (Nouvelle poésie) et Trường Thơ Loạn (Ecole poétique de la révolte). Mais bientôt cette subjectivité sera condamnée par le réalisme socialiste, cadre officiel de l’art vietnamien à partir de 1954 où les sentiments s’effacent devant l’idéologie, le moi étant confondu avec un “nous” collectif. Cependant depuis le Đổi Mới qui accorde davantage de place à la création personnelle, la littérature vietnamienne explore de nouveau le “je”, fréquent aujourd’hui chez Dương Thu Hương, Phạm Thị Hoài, Phan Thị Vàng Anh, Nguyễn Huy Thiệp, Phan Triều Hải, Nguyễn Việt Hà, Thuận...

Cette brève analyse de la mutation du statut du “je” dans la littérature vietnamienne à travers quelques fictions représentatives permet de mieux apprécier la pluralité de “je” du roman de Nguyễn Việt Hà. Notre étude tente de montrer que c’est là son originalité. Ses protagonistes, au milieu des soucis matériels du quotidien, s’arrêtent de temps à autre pour interroger leur passé et leur avenir. Leurs journaux et monologues révèlent leur quête - pas forcément d’un idéal, mais d’une élévation morale ou spirituelle. Ces moments constituent pour eux un îlot, une mise en suspens. Si cette recherche est aisée à comprendre chez Hoàng et Thủy, des personnages de caractère “romantique”, elle ne l’est point chez Nhã et Tâm, prototypes même d’un esprit pragmatique, ce qui contribue d’ailleurs à souligner leur véritable nature.
Le journal de Nhã, rédigé aux moments clefs de sa vie, souvent lors de ses anniversaires - “L’été dernier, j’ai fêté mes trente ans” (p. 81) - ou de ses nouvelles passions - “Un après-midi d’averse, Sáng m’a déclaré son amour” (p. 435) - autorise une plongée dans la profondeur de son âme pour découvrir la lassitude, l’amertume et le désir d’être aimée chez cette femme trop souvent considérée comme “volontariste”, “sûre d’elle”, “orgueilleuse” :

« Je suis restée allongée chez moi les trois jours du Têt sans sortir une seule fois. Je n’ai pas quitté ma chambre quand quelques amis m’ont rendu visite, sous prétexte d’une maladie. Le plafond était d’une couleur blanchâtre. [...] Le quatrième jour, dans l’après-midi, j’ai décidé d’aller au dancing. [...] Je sortais ma moto. Derrière la grille du portail, un couple d’amants s’embrassait. Je suis retournée sur mes pas. Le visage contre le bureau, j’avais envie de pleurer. J’avais déjà trente-deux ans selon le calendrier lunaire. » (p. 227)

Une opportunité pour Dieu, à travers le journal intime ou le monologue, introduit le lecteur directement dans l’intériorité des personnages sans avoir recours au narrateur.

« J’ai vingt et un ans et dans deux mois, je terminerai mes études universitaires. Amoureuse depuis trois ans, j’ai connu beaucoup de bonheur et en garde de profonds souvenirs. Je regarde les choses de manière plus calme et me laisse parfois déranger par des soucis inexplicables. [...] Les jours se succèdent et me laissent un sentiment de vide sans que je comprenne pourquoi. » (p. 308)

Nguyễn Việt Hà respecte par ailleurs strictement la parole des personnages : Nhã copie avec minutie les lettres de Thủy, d’où l’emboîtement de deux “je”.
Cette technique narrative se singularise de celle de Phạm Thị Hoài dans La messagère de cristal (Phạm Thị Hoài 1990) ou de Nguyễn Huy Thiệp dans Un général à la retraite (Nguyễn Huy Thiệp 1990) qui sont de simples récits à la première personne. La différence réside d’abord dans le ton : il s’agit d’une écriture brute qui évoque souvent un sentiment flou, tandis que celle de Phạm Thị Hoài, par le biais d’un “je” unique, se veut claire, convaincante et bien structurée. Elle est aussi dans le fond : si le journal intime, centré sur son rédacteur, est un processus d’auto-analyse, une aventure dans sa propre intériorité, Un général à la retraite raconte l’histoire d’un père mais du point de vue du fils. Plus, dans Une opportunité pour Dieu, la première et la troisième personne existent parallèlement, ce qui permet d’observer le même personnage de différents points de vue. De “il” ou “elle” à “je”, le lecteur s’identifie au personnage, vit sa vie et découvre le monde à travers lui. En revanche, de “je” à “il” ou “elle”, il se trouve du côté du narrateur invisible qui reste souvent à l’extérieur pour avoir un jugement objectif. Ainsi, Une opportunité pour Dieu, composé de quatre journaux intimes, présente ses personnages avec davantage de finesse. Tracés à trois niveaux différents, leurs portraits sont souvent subtils, parfois contradictoires. Voici Hoàng, vu par le narrateur omniscient : “Hoàng s’approche d’une maison à deux étages puis appuie sur le bouton de la sonnerie” (p. 41) ; par sa maîtresse Thủy : “Il existe chez lui quelque chose d’étrange, une sorte de faiblesse assez courante chez les spiritualistes. [...] Il manque de virilité” (p. 152-163) ; par son frère Tâm : “Mon frère et moi n’avons pas les mêmes goûts. Cependant, depuis toujours il est mon idole. Aujourd’hui encore, il demeure l’homme le plus intelligent et le plus généreux que je connaisse” (p. 294) ; par son amie Nhã : “L’existence de Hoàng dans le monde où je vis est une chose étrange. Quelqu’un comme lui doit mourir jeune. Je ne l’ai jamais vu mentir” (p. 458), par Hoàng lui-même : “Je suis rongé par une lassitude mélancolique. Je ne m’en sors pas et dérange mon entourage. Pourquoi ?” (p. 430). Voilà deux portraits de Thủy dressés par Nhã à deux moments différents : “Je la trouve assez sympathique, un peu coquette [...] superficielle” (p. 75) et “Je sens qu’elle est douée pour les affaires. Le temps forgera sa personnalité. Dans six mois environ, elle gagnera suffisamment d’argent pour perdre toute sa douceur” (p. 457). Et deux portraits de Nhã brossés par Thủy à quelques mois d’intervalle : “Une jeune femme belle et hautaine” (p. 155), “Nous nous sommes brouillés, Hoàng et moi. Il prétextait alors une mission pour partir loin. Impatiente, trois fois par semaine je venais voir Nhã et me laissais consoler par elle” (p. 156). Pour prendre la mesure de la supériorité de la vision multiple choisie par Nguyễn Việt Hà, il suffit de rappeler que dans Un général à la retraite, le lecteur ne voit l’officier qu’à travers le regard de son fils, un regard sincère, tendre mais parfois ironique, sans jamais recueillir directement les secrets de son âme.
Tant la similitude que le contraste conduisent à regrouper quatre “je”. Hoàng, Tâm, Nhã, Thủy, deux hommes et deux femmes, s’éclairent comme des miroirs, les uns par les autres. Hoàng et Tâm, deux frères, incarnent deux caractères opposés : l’un irrésolu et l’autre opiniâtre, le premier méditatif et le second actif. Nhã et Thủy, deux femmes, deux types de beauté et deux personnalités opposées - l’une expérimentée et l’autre naïve - connaissent cependant l’une comme l’autre des échecs sentimentaux. Thủy et Hoàng sont deux amants malheureux malgré l’amour : la jeune fille veut “atteindre un idéal clair et net” (p. 214) tandis que l’homme pose sur le monde un regard dubitatif. Hoàng et Nhã, un homme et une femme, forment un couple idéal d’amis. Nhã et Tâm sont animés par la même adoration pour Hoàng et une passion identique pour les affaires. Alors que la femme préfère le trafic, l’homme rêve de gagner honnêtement son argent. Hoàng, Tâm, Nhã, Thủy forment quatre destins originaux qui aiment éperdument avant d’éprouver la désillusion. Dotés d’une vie intérieure sensible, profonde, mais égarés dans l’existence, ils sont les seuls à avoir le privilège d’exprimer ce “je” secret. Lâm, Bình, Sáng ne tiennent pas de journal intime : leur psychologie ne doit pas être complexe. Les lettres de Bình ne sont pas sincères. Il suffit de le voir comme une “copie des acteurs des feuilletons de Hong Kong. D’une peau claire. D’un nez droit qui va parfaitement avec des lunettes Made in Germany” (p. 13), le lecteur peut facilement deviner ce qui est caché derrière cette apparence. Pour Nguyễn Việt Hà, la meilleure façon de décrire ce personnage est de le faire jouer dans une pièce de théâtre de quatre sous ayant pour décor quelques “reproductions de tableaux de Picasso ou Matisse”. De même, Sáng, archétype de la réussite politique, intellectuelle et financière, n’apparaît qu’à travers le journal de Nhã et celui de Hoàng : le lecteur n’a pas besoin de fouiller les zones obscures de sa conscience. Son existence est d’ailleurs de courte durée : après une entrée tardive dans le roman, il est vite démasqué par Nhã.
Non seulement les personnages mais les faits sont vus sous des angles différents. Les informations fournies par le narrateur omniscient, les monologues ou les journaux intimes, se complètent, se confrontent, parfois se contredisent. Si la rencontre imprévue dans un bar est rapportée par Thủy en quelques lignes, elle occupe plusieurs pages du journal de Hoàng. Pareillement, la déclaration d’amour est deux fois décrite, d’abord par Hoàng (p.119) :

« Je lève la tête. Thủy me fixe. D’un regard limpide. Autour de moi, tout brille puis fond petit à petit. »

Ensuite par Thủy (p. 151) :

« Je lève lentement la tête. Mon corps tremble de froid. C’est Hoàng. [...] Tout tourne autour de moi. [...] Il lit avec attention. Une mèche tombe mélancoliquement. Oui, je l’aime. Pourquoi en avoir honte ? Je veux lui dire quelque chose. Avec calme, j’ouvre mon cahier puis enlève une feuille double sur laquelle j’écris : “Hoàng, pourrions-nous parler comme de vrais adultes ?” Hoàng me regarde. Ses yeux sont d’une beauté rare. Il écrit en grosses lettres : “Je t’aime.” »

Si les tristes retrouvailles entre Nhã et Lâm, l’amant infidèle, sont résumées en quelques mots par Hoàng - “Leur conversation a duré quatorze minutes” (p. 51), elles sont soigneusement décrites vingt pages plus tard par Nhã dans son journal où se mêlent mépris, haine et regret : “Je le fixe. Le visage a rendu douloureux mes rêves. [...] - Tu fumes trop...” (p. 70). De la même manière, la rencontre entre Hoàng et Tâm à cinq années d’intervalle se produit dès le début du roman, mais il faut attendre trois cents pages pour que l’on puisse se représenter Hoàng ce jour-là à travers les paroles de Tâm : “Hoàng est blafard et amaigri. Classique, son veston est propre et bien repassé” (p. 293). Par ce procédé, Nguyễn Viêt Hà détruit la linéarité du temps, caractéristique des œuvres classiques.
Dans Une opportunité pour Dieu, les souvenirs sont restitués non pas dans l’ordre chronologique mais en fonction de l’imagination du personnage. Dans la narration de Thủy, le passé et le présent alternent sans mot de liaison ni transition. Ainsi le bar de Haiphong surgit soudain entre deux souvenirs de Hoàng à deux moments différents (p. 316) :

« Je ne reproche rien à Hoàng surtout en ce qui concerne l’argent. Cependant peut-on continuer à vivre comme ça, mon chéri ? Un gars à la table d’à côté entreprend de m’inviter à danser. Une seule fois Hoàng m’a entraînée sur la piste de danse. Un de ses amis avait été adjudicataire lors de la construction de cette salle. »

D’autre part, c’est en fonction du contenu de ce qui est raconté que l’auteur détermine l’ordre chronologique. La narration de Tâm, enflammée et pleine d’espoir, se tourne donc vers l’avenir : les années en Allemagne (p. 208), le retour (p. 292), la construction de la maison (p. 297), les retrouvailles avec la jeune fille qu’il épousera (p. 297), la création d’une entreprise (p. 306). En revanche, le monologue de Hoàng, en particulier le deuxième extrait, mélancolique, remonte le temps : le départ de Thủy (p. 385), leur dernière entrevue (p. 402), leur avant-dernière rencontre (p. 418).
Ainsi, le temps d’Une opportunité pour Dieu éclate : il s’arrête, recule puis avance sans cesse. C’est aussi le cas de l’espace, composé de lieux juxtaposés sans aucun principe directeur. La vie, selon Nguyễn Việt Hà, n’est pas un fil droit ou une succession de faits régis par la loi de cause à effet, mais c’est un ensemble d’éclats, de vides, d’échos. Les personnages donnent souvent l’impression de perdre non seulement leur maîtrise de soi mais aussi celle des situations : la narration à la première personne produit une vision limitée et ils ne peuvent parler que de ce qu’ils ont vu ou entendu. D’autre part, le lecteur découvre des informations qu’ignorent certains personnages. Jamais Hoàng n’accédera aux missives de Bình à Thủy ni ne connaîtra les véritables sentiments qu’éprouve cette dernière depuis leur séparation. Si “une technique romanesque renvoie toujours à la métaphysique du romancier” comme le dit Sartre, les regards subjectifs de différents “je” permettent à Nguyễn Việt Hà d’exprimer un monde hétérogène, ouvert, plein de mystères, d’insécurité et d’incertitude. “La vérité est une notion radicale. Une notion vide, juste pour les uns et fausse pour les autres. Où se trouve alors la vérité absolue ?”, écrit Hoàng (p. 214). C’est aussi la tendance générale de la philosophie contemporaine, influencée par la relativité d’Einstein.

Lorsqu’un personnage est écrivain

Présent au début et à la fin du roman, lors des retrouvailles émouvantes avec son frère cadet et son amie intime - l’un revient après cinq années d’exil, l’autre au terme de plusieurs jours d’arrestation par la police, Hoàng est de loin le personnage le plus cher à l’auteur. Très souvent, le regard du narrateur omniscient correspond au sien. Lisons les premières pages qui le mettent en scène attendant Tâm à l’aéroport (p. 6) :
[Dans le bar] Hoàng boit et regarde d’un œil distrait lorsque son voisin se retourne. Un homme d’une quarantaine d’années vêtu d’une veste militaire au col crasseux. [...] Puis l’homme se lève. Il est assez comique par sa petite taille, surtout quand il trottine vers l’autre bout du couloir.
Les descriptions fines et attrayantes de Saigon et Haiphong ne sont-elles pas narrées à travers le regard de Hoàng :

« Hoàng arrive à Haiphong vers neuf heures. [...] Cette petite ville cherche à grandir. [...] Ses jeunes filles sont brutes et leur voix a un timbre légèrement mat. » (p. 194)
« Sous le ciel de Saigon aéré, peu nuageux, éclairé par une faible lumière de l’après-midi. [...] Hoàng quitte la place devant la Poste centrale et entame une ballade à pied. » (p. 242)

Mais la richesse intérieure de ce personnage est sans conteste la plus grande recherche de Nguyễn Việt Hà.
Hoàng est un jeune solitaire. En dehors de son travail de fonctionnaire qui lui permet d’avoir une position sociale, il est musicien et écrivain. Hoàng est aussi croyant. De mère catholique, élevé dans le quartier catholique de Hanoi à proximité de la cathédrale, il a reçu une éducation chrétienne tout en allant à l’école socialiste, du primaire à l’université. La religion est devenue chez lui une obsession. Il va de temps en temps à la messe, fréquente les prêtres avec qui il débat de questions métaphysiques. Les références bibliques émaillent ses réflexions : il assimile sa lâcheté à celle de saint Pierre qui renie par trois fois son maître lors de la Passion (p. 106).
Esprit critique, Hoàng est un croyant sceptique. Ses convictions chrétiennes sont sujettes à remise en cause. Ne dit-il pas en lisant le Nouveau Testament (p. 407) :

« Dans une certaine mesure, en tant que lecteur, je pense que beaucoup de messages de Dieu doivent être prouvés de manière scientifique. Pourtant mon oncle, le père Đức, m’a conseillé d’adopter un esprit intuitif. »

Cependant, persuadé de la valeur salvatrice de la religion, il continue à y chercher un idéal. La culture vietnamienne le pousse vers d’autres religions et pensées orientales. Ainsi chez Hoàng, le catholicisme se confond avec le bouddhisme et le taoïsme. Dans une nouvelle, il met en scène Zhuangzi [7] (p. 185-186). Hoàng s’intéresse également au zen vietnamien - à travers la figure de Tuệ Trung Thượng Sĩ, un maître du XIIIe siècle, dont le mode de vie, la vision du monde, l’éthique le fascinent [8] - et japonais - incarné par Suzuki, un maître contemporain [9] (p. 114). De même, il discute du Classique du changement (Yijing) et des questions spirituelles avec des amis (p. 411). À la fin du roman, conscient que le catholicisme, comme toute religion, ne peut résoudre ses problèmes, Hoàng s’enferme davantage dans la solitude.

Le texte de Nguyễn Việt Hà évoque le déclin du marxisme-léninisme et du confucianisme. La déception de Hoàng quant au catholicisme montre que celui-ci n’est pas non plus un remède au mal, d’où l’essor d’un individualisme teinté de nihilisme. Une opportunité pour Dieu marque un tournant dans la littérature vietnamienne : il est un des tout premiers romans à décrire un héros “anti-héroïque”. Attiré par l’alcool, seulement apte au rêve et à la méditation, il voit échouer successivement ses amours et ses ambitions : “Que ferai-je demain ? Je marche sans but sur le trottoir où on voit encore les traces de la dernière pluie. Très souvent, je ne sais pas ce que je ferai demain...”, se dit Hoàng (p. 430). La foi, au cœur de la littérature officielle, en une double émancipation, sociale - par le marxisme-léninisme - et nationale - par la guerre, a fait place ici à l’absence d’idéal dans la jeunesse de l’après-guerre. Vingt-cinq ans après la fin du combat contre les Américains, le Viêt-nam est en effet aussi “pauvre en héros qu’en événements” pour reprendre une expression de Marx (Marx 1852).
Hoàng est aussi le personnage qui va le plus loin dans l’écriture : il compose des textes littéraires. Et c’est justement le seul domaine où il ne connaît pas d’échec, comme si l’insuccès amoureux était indispensable à la réussite artistique. Il est clair que la littérature a creusé un peu plus le fossé qui séparait déjà Hoàng et Thủy.
“Est-il vrai que tu écris des nouvelles ? - Oui, mais il y a longtemps déjà. - Tu ne me les as pas montrées. Pourquoi ? - Elles ne te plairont pas. [...] - Tu ne m’aimes pas”, note Thủy dans son journal avant de conclure :

« J’étais triste sans raison apparente. Maintenant je comprends pourquoi : Hoàng ne m’appartient pas, aujourd’hui et sans doute jamais. L’orchestre continue. Le visage de Hoàng devenait flou. Lointain. » (p. 323)

On peut lire dans le roman deux nouvelles intégrales où Hoàng trace avec dérision et tendresse les portraits de sages : Zhuangzi, Huizi, Tuệ Trung Thượng Sĩ. Par ailleurs, à travers les récits de son personnage de l’écrivain, Nguyễn Việt Hà semble vouloir développer ses réflexions originales sur la religion et le rapport de l’intellectuel au monde.
L’écriture comme thème littéraire continue à obséder Nguyễn Việt Hà. Son récit Révélation tardive (Khải huyền muộn, 2003 [10]) a pour protagoniste un roman en cours de rédaction. Dès le début, une jeune fille dont on ignore le nom, ancienne “miss de beauté”, précise qu’elle est l’héroïne du roman en question dans lequel elle s’appellera Cẩm My et aura un amant nommé Vũ. Avec cette mise en abyme, l’histoire devient plus complexe : très souvent, le lecteur ne réussit pas à distinguer le vrai du faux, les personnages de Révélation tardive de ceux du roman fictif. Le passage portant sur la conversation entre Cẩm My et Vũ sur le personnage de l’écrivain - auteur du roman en question - en est un exemple :

« Il [Vũ] est couché sur le ventre, contre moi. Nous sommes seuls sur une plage de Phú Quốc au sable d’une blancheur déconcertante. Le temps est ensoleillé mais doux. Comme d’habitude, je m’endors paisiblement à ses côtés. Il lit avec attention le livre que l’écrivain m’a offert. [...] - Alors, ce livre te plaît-il ? demandé-je d’un air distrait. - Je ne l’ai pas encore achevé. Il est vieux, cet écrivain ? - Non, il est très jeune. Il a le même âge que toi. »

Nguyễn Việt Hà décrit d’autre part de manière subtile le rapport délicat, d’égal à égal et plein de complicité entre l’écrivain et son modèle - le terme “modèle” est utilisé ici à double sens car Cẩm My, mannequin professionnel, lui sert de modèle pour son héroïne. La jeune fille est d’ailleurs parfaitement consciente de l’ambiguïté de la démarche : si le “je” romanesque lui permet d’exprimer son intériorité trop souvent masquée sous les apparences vestimentaires, elle risque de ne pas se retrouver dans cette fiction littéraire. De même, au milieu des monologues, s’intègrent des conversations interminables entre l’écrivain et son modèle :
« Nous étions d’accord sur ce point : je dis ce que je pense tandis qu’il écrit ce qu’il veut. En conséquence, je dois accepter mon personnage tel qu’il l’imagine. »

La mise en scène d’un personnage de l’écrivain est le point commun de nombreux romans vietnamiens contemporains, signe d’un phénomène nouveau. Citons en premier lieu Le Chagrin de la Guerre (Nỗi buồn chiến tranh) de Bảo Ninh [11]. Comme le Marcel de Proust, son héros a trouvé sa vocation littéraire dans une “recherche du temps perdu”. Cet ancien vétéran, torturé par des souvenirs de combats, décide en effet d’écrire son premier roman pour raconter la guerre telle qu’il l’a vécue. Le lecteur assiste donc à ses instants mystérieux et uniques, parfois ses révélations. Le texte nous transmet constamment ses tensions, ses vibrations, ses passions :

« Kiên posa son stylo. [...] Il faisait froid, pourtant il étouffait de chaleur, se sentait mal à l’aise, comme pris sous l’oppression d’un ciel orageux d’une nuit d’été. Il se sentait amer, déçu. [...] Il écrivait, puis attendait, et de nouveau écrivait et attendait, brûlant, tendu, bouleversé, seul avec ses sensations [...] il vieillissait à vue d’œil. » (p. 67-68)

L’œuvre avance et le lecteur s’aperçoit que le roman qu’écrit Kiên est justement celui qu’il est en train de lire, d’où cette interrogation inéluctable : “Kiên est-il Bảo Ninh ?”
Le Prêtre (Giáo sĩ), un récit de Trần Vũ [12] (2002), imagine la double passion de Tuyết, l’héroïne d’Une vie orageuse (Đời mưa gió), roman célèbre du Tự Lực Văn Đoàn, mouvement littéraire vietnamien des années 1930, pour les écrivains Khái Hưng et Nhất Linh - ses créateurs. Entre les déclarations et les scènes d’amour, s’insèrent nombre de discussions, parfois hardies, entre Tuyết et ceux-ci :

« - Tu te comportes comme un voyou avec les femmes ! lui dit-elle en poussant des injures. [...] - Tu n’as été inventée que pour servir ma thèse, la sermonna-t-il d’une voix cruelle. Tu n’as donc pas de droit d’exiger quoi que ce soit ! C’est déjà une chance pour toi d’être prostituée ! C’est quand même un gagne-pain, d’être pute ! Sinon, je peux très bien te faire Vietminh ! Arrêtons désormais de nous voir ! J’ai réussi à démontrer ma thèse et rempli ainsi mon devoir à ton égard. Alors va-t’en ! »

Le récit met en lumière les rapports mystérieux et complexes entre l’artiste et son œuvre, entre celle-ci et le public. Dans une écriture parodique, Trần Vũ pousse le plus loin possible l’imaginaire romanesque et le fantasme sexuel :

« Elle avait pour lui [Nhất Linh] ce qu’éprouve une lycéenne pour son professeur, une enfant pour son père, une sœur pour son frère, une héroïne pour son auteur. L’ensemble de tous ces sentiments sublimes constitue ce qu’on appelle l’amour. »

Dans Quête de personnage (Đi tìm nhân vật), roman de Tạ Duy Anh (Tạ Duy Anh 2002), le héros et narrateur, journaliste de profession, rencontre par hasard Bân, un écrivain qui compose alors un roman portant le même nom Quête de personnage. Plus, le protagoniste du roman en cours et le journaliste ont des traits identiques : “L’écriture a été pour moi un choix douloureux [...] une façon de me délivrer”, déclare le “romancier” ; « Mes idées commencent à s’embrouiller. Votre apparition m’oblige à revoir mon plan initial [...] à refaire mon enquête », avoue le personnage de l’écrivain à celui qui est devenu son modèle malgré lui. Il importe de remarquer que si cette rencontre est essentielle pour l’artiste, elle marque un tournant dans la vie du journaliste : avec Bân, il revient dans son village natal pour faire face au passé qu’il a fui depuis de longues années.
Made in Vietnam, un roman de Thuận (Thuận 2003) explore avec humour et finesse le rapport qu’entretient son héroïne, la journaliste Phượng, avec l’auteur d’un roman précisément nommé “Made in Vietnam” dont la protagoniste s’appelle aussi Phượng. À la différence des textes de Nguyễn Việt Hà ou Tạ Duy Anh, leur lien n’est ni étroit ni intime : elles ne communiquent entre elles que par fax et téléphone et très souvent l’une ignore l’autre. Mais c’est là l’originalité de Thuận : s’affranchir de toute analyse psychologique, fondement du roman traditionnel. Le texte s’obscurcit d’autant plus qu’à la fin, l’auteur déclare : “Tous les personnages de Made in Vietnam sont réels” avant de “remercier ceux qui sont restés pendant deux mois dans cette histoire et ont créé des situations imprévues : Dương Tường, traducteur vivant à Hanoi, dans le rôle du traducteur célèbre, soixante-dix ans ; Phương Thanh, chanteuse, dans le rôle de Madonna ; six millions d’habitants de Saigon dans le rôle des six millions d’habitants de Saigon, etc.”, en particulier “Phạm Thị Hoài, dans le rôle de l’auteur de Made in Vietnam”.
Tout récemment, L’Origine (Thoạt kỳ thủy), roman de Nguyễn Bình Phương (Nguyễn Bình Phương 2004), reprend dans son “annexe” le manuscrit de “Et l’herbe” - une nouvelle inédite de Phùng, le personnage de l’écrivain qui meurt juste avant la fin du récit. Solitaire, d’origine citadine, celui-ci se résigne à vivre dans un monde rural et sauvage. En vain espère-t-il que l’écriture littéraire le mènera à la gloire. La présence de motifs similaires (la lune et les rêves) et d’un personnage commun (celui de la vieille folle qui chante une mélodie sur “l’herbe blanche” et “l’oiseau brun”) font de “Et l’herbe” une sorte d’écho de L’Origine, une extension des méditations de Nguyễn Bình Phương sur le lien étroit entre la création, le rêve et la folie. Il est important de souligner que Nguyễn Bình Phương ne cherche jamais à idéaliser son personnage de l’écrivain. Phùng est décrit avec beaucoup de dérision, et il s’agit là de la particularité de L’Origine : lorsque la jeune héroïne le rejoint après avoir été insatisfaite par son mari dès la nuit de noces, Nguyễn Bình Phương le laisse impuissant face à ses désirs :

« Hiền s’abat sur le lit à plancher. Malgré tous ses efforts, Phùng reste impuissant : “Que je suis vieux”, se plaint-il. Déçue, Hiền se rhabille. Sur le chemin de retour, elle ne cesse de faire des faux pas. »

Conclusion

Ainsi, faisant montre d’une imagination fertile, les écrivains vietnamiens ont transformé la littérature en un tour de magie. Pour eux, plus qu’un besoin, un devoir, une délivrance ou un défi, la littérature doit être un jeu, un divertissement. L’atelier d’écriture, entrouvert pour la première fois au lecteur, semble plus intéressant que le contenu du récit lui-même : amour, guerre, religion ou encore enquête policière.
Du journal intime à l’atelier d’écriture en passant par le postmodernisme, cet itinéraire des jeunes auteurs vietnamiens révèle une prise de conscience des fonctions premières de la création littéraire : expression subjective et recherche artistique. Est-ce à dire qu’ils restent captifs d’une pure quête esthétique ? Ce serait oublier que dans un pays tel que le Viêt-nam, revendiquer la subjectivité et l’invention est aussi un engagement, un acte politique.

ps: Bibliographie :
Bảo Ninh 1990 - Nỗi buồn chiến tranh [Le Chagrin de la Guerre], Hanoi, 285 pages, [trad. française Phan Huy Đường, 1994, Arles, Éditions Philippe Picquier ; rééd. coll. poche 1997].
Bùi Xuân Bào 1972 - Le roman vietnamien contemporain. Tendances et évolution du roman vietnamien contemporain 1925-1945, Sài Gòn, Tủ sách nhân văn xã hội, 440 pages.
Chinh Phụ Ngâm 1741 [trad. française Lê Văn Chất 1963, Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre, Hanoi, Éditions en langues étrangères, 150 pages].
Dictionnaire du Bouddhisme 1999 - Albin Michel, 657 p.
Đoàn Cầm Thi (trad., éd.) 2005 - Au rez-de-chaussée du paradis, récits vietnamiens 1991-2003, Arles, Éditions Philippe Picquier, 236 pages.
Lê Mạnh Thát 2002 - Lịch sử phật giáo Việt Nam, volume 3, Hô Chi Minh-Ville, Nhà xuất bản Thành phố Hồ Chí Minh, 829 pages.
Marx, Karl 1852 - Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte [rééd. 1976, Paris, Éditions sociales, 156 pages].
Nguyễn Bình Phương 2004 - Thoạt kỳ thuỷ [L’Origine], Hà Nội, Hội Nhà Văn, 162 pages.
Nguyen Huy Thiep 1990 - Un général à la retraite, nouvelles traduites du vietnamien par Kim Lefèvre, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 164 pages.
Nguyễn Việt Hà 1999 - Cơ hội của Chúa [Une opportunité pour Dieu], Hà Nội, Văn Học, 467 pages. 2003 - Khải huyền muộn [Révélation tardive], Californie, revue Hợp Lưu, n° 74 (décembre 2003) pp. 135-143 [trad. française in Đoàn Cầm Thi 2005]. 2004 - Của rơi [Objet perdu], Hà Nội, Éditions des Femmes, 201 pages.
Pham Thi Hoai 1990 - La Messagère de cristal, traduit du vietnamien par Phan Huy Duong, Paris, Des Femmes, 210 pages.
Tạ Duy Anh 2002 - Đi tìm nhân vật [Quête de personnage], Hà Nội, Văn Hoá Dân Tộc, 330 pages.
Thuận 2003 - Made in Vietnam, Californie, Éditions Văn Mới, 193 pages.
Trần Vũ Giáo sĩ [Le Prêtre], Californie, revue Hợp Lưu, n° 68 (décembre 2002) pp. 226-261 [trad. française in Đoàn Cầm Thi 2005].
notes:

[1] Association officielle, placée sous le double contrôle de l’État et du Parti.

[2] Ces jeunes poètes vivent dans le bidonville de Gò Vấp, dans le quartier Cây Trầm.

[3] Ce roman a été publié la première fois aux éditions Văn Học à Hanoi en 1999. Nos citations renvoient à cette édition.

[4] Hanoi, Éditions des Femmes, 2004.

[5] Ce texte, traduit en français par Lê Văn Chất sous le titre “Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre”, a paru aux Éditions en langues étrangères à Hanoi en 1963.

[6] Voir Bùi Xuân Bào 1972.

[7] Ou Maître Zhuang, environ 370-300 avant notre ère, considéré comme le second père du taoïsme après Laozi.

[8] Sur Tuệ Trung Thượng Sĩ, voir Lê Mạnh Thát 2002, 749-788.

[9] Sur Suzuki, voir Dictionnaire du Bouddhisme 1999, 135.

[10] Traduction française in Đoàn Cầm Thi 2005.

[11] Bảo Ninh [1990]. Nos citations renvoient à l’édition de poche de la traduction française (1997).

[12] Traduction française in Đoàn Cầm Thi 2005.

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27 juin 2009 6 27 /06 /juin /2009 16:35
De la causerie comme une foire à la brocante

La consultation du néologue

Par Mona Ozouf

 

La langue française a eu son Bonaparte. Il s'appelait Mercier et mit autant d'audace à codifier les mots que le Premier consul à gouverner les choses.

 

D'une femme qui aime les arts, peut-on dire qu'elle est une «amatrice» ? Le débat sur la féminisation des noms faisait déjà rage au XVIIIe siècle. Pour bannir les amatrices, on trouvait de sourcilleux grammairiens - ils y voyaient un barbarisme -, des esprits mal tournés - ils y entendaient un assemblage de syllabes déshonnêtes -, et l'Académie française, trop timorée pour leur ouvrir son dictionnaire. Pour les accueillir, en revanche, il y avait Jean-Jacques Rousseau, et Louis Sébastien Mercier, qui leur consacre un long développement de sa «Néologie». «Amatrice», pour lui, est «frappé au coin des meilleurs mots français». «Autrice» serait impropre, «puisqu'une femme qui fait un livre est une femme extraordinaire». Mais comme toutes les femmes sont sensibles à la beauté des arts, «et qu'à l'empire des charmes elles ajoutent des connaissances en tout genre, il faut un mot doué de l'inflexion féminine pour rendre cette nouvelle idée». Amatrices, donc.

 

 

 

A temps nouveaux, il faut un langage neuf; telle est l'idée-force de cette «Néologie», parue en 1801, jamais rééditée depuis, et que Jean-Claude Bonnet a eu la bonne idée de ressusciter, d'annoter et de présenter, à sa manière savante et subtile. Mercier, que deux ouvrages, «l'An 2440» et «le Tableau de Paris», avaient rendu célèbre, passe désormais pour un vieux fou. Sa «Néologie» n'en développe pas moins une idée promise à un bel avenir romantique : que la langue française s'est appauvrie, affadie, refroidie. Les coupables ? L'Académie, la Cour, les pédants, le gaufrier des alexandrins, la monotonie de l'hémistiche. Le remède ? Récolter des mots énergiques auprès des ouvriers et des dames de la Halle, dans les tavernes, au fond des provinces, au creux des patois, à l'étranger même. En dédicaçant son livre à Bonaparte, Mercier ose comparer son entreprise à celle du Premier consul : tous deux agrandissent le territoire, de la République pour l'un, de la langue pour l'autre.

 

Dans la brocante de vocables que déballe Mercier, que trouve-t-on ? Parfois de très vieux mots oubliés, égarés, ensevelis, auxquels il suffit de dire : «Lève-toi et marche.» Ainsi, l'adjectif «pers», pour peindre l'incertaine nuance entre bleu et vert, si séduisante dans les yeux pers; ou le substantif «étreinte», démodé bien que toujours pratiqué. Parfois encore des mots d'usage local, destinés à se généraliser : tel «capitaliste», en vogue seulement à Paris - on peut en savourer la définition : «Monstre de fortune, homme au coeur d'airain, qui n'a que des affections métalliques.» Et toujours les mots frais éclos de la Révolution : «citoyen» a désormais remplacé bourgeois, «élire» est d'emploi courant, «encachoté», un sort commun. Et comme après les affreuses journées de septembre «septembriser» est devenu synonyme de massacrer, pourquoi ne pas créer «juillettiser», tellement plus pimpant et propre à séduire les peuples en mal d'abattre leurs Bastilles ?

 

Saint-Just avait écrit qu'«en des temps d'innovation, tout ce qui n'est pas nouveau est pernicieux». Tout néologue qu'il soit, Mercier se garde d'adhérer à ce propos péremptoire : proche de la Gironde, emprisonné après la journée du 2 juin, il a eu tout loisir d'éprouver à ses dépens le pouvoir meurtrier de la langue révolutionnaire. L'usage intempérant des mots n'a pas été étranger à la Terreur : le «brailler» des Montagnards a donné le signal de la barbarie. Voyez ce qu'il est advenu du beau mot de modération, rhabillé par les Jacobins en «modérantisme» : inventé pour punir la modération, et expédier les modérés à l'échafaud. Telle est l'intuition profonde de cet ouvrage léger : les mots peuvent contribuer à «barbariser» les êtres.

 

Des mots «doux à l'oreille»

 

Mais ils peuvent aussi les civiliser. Passe dans les pages de Mercier le regret des manières, du temps heureux où on pouvait «muser», où on savait «galantiser», et l'espoir de rajeunir «la courtoisie, qui vieillissait». Il souhaite remettre à l'honneur des mots «doux à l'oreille», comme «quiet», ou «tantinet», ou «naguère». A longueur, dépourvu d'e muet, il préfère «longuerie», qui s'attarde joliment. Bien avant Nietzsche, Mercier regrette que la langue soit avare de mots pour désigner les sentiments sur le point d'éclore, ou prêts à disparaître, et les états intermédiaires. Il plaide donc pour les diminutifs : la «bergerette» ajoute à la bergère jeunesse et vivacité. Il s'applique à distinguer le souvenir de la souvenance, le désespoir de la désespérance, la causette de la causerie, et celle-ci, «rêverie parlée», de la conversation. Là réside le charme de l'ouvrage : la subtilité de Mercier vient à chaque pas corriger l'entreprise volontaire et brutale du forgeur de langue nouvelle.

 

M.O.

 

«Néologie», par Louis Sébastien Mercier, Belin, 592 p., 26 euros.

 

Toutes les critiques de l’Obs

 

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Source: "le Nouvel Observateur" du 25 juin 2009.

mercier.jpg
Louis Sébastien Mercier (1740-1814), écrivain prolifique s’il en fut, s’était décerné à lui-même le titre de «plus grand livrier de France». Encore un néologisme!

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27 juin 2009 6 27 /06 /juin /2009 08:50
Les Grands philosophes
Sud Quotidien - Senegal
C'est à un voyage dans les grandes pensées philosophiques que la revue convie les lecteurs. .... Jean-Paul Sartre affirme l'irréductible liberté de l'homme. ...



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26 juin 2009 5 26 /06 /juin /2009 19:16
Un bel exposé de la philosophe Gaelle Bernard qui ,pour moi , évoque notamment la question importante de l' éthique
de la pensée .

Bien amicalement,
Dominique Giraudet

______________________________________________________________________________________



Levinas et l’antihumanisme
Gaëlle Bernard (philosophe)

[28 avril 2006 à 08h00]

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26 juin 2009 5 26 /06 /juin /2009 16:46

COMMUNIQUE A LA PRESSE, le 18 juin 2009

Pour Regards de Femmes la stratégie de prise de contrôle sur le corps des femmes

par l’obéissance à un code vestimentaire céleste de bonne conduite est inacceptable.

La stratégie de prise de contrôle sur le corps des femmes par l’obéissance à un code vestimentaire céleste de bonne conduite est inacceptable. Le voile des femmes, stigmate de discrimination, de séparation, de fantasmes sexuels considère les femmes comme propriétés de leur mari et intouchables par les autres. L’affichage ostensible du marquage archaïque possessionnel et obsessionnel du corps féminin est le cheval de Troie de l’islam politique pour montrer sa capacité d’occupation des espaces et des esprits.

Dans l’espace public, de plus en plus de fillettes portent le voile islamique, ce marqueur archaïque et « claustrant » de l’oppression des femmes. Comment construire le principe d’égalité en droit entre les hommes et les femmes? De plus en plus de femmes sont enveloppées dans une « burqa» qui les couvre entièrement afin que même dehors, elles restent « dedans ». C’est leur voler leur identité puisqu’elles ne doivent pas être identifiables.

 

Les machocrates ont besoin de l’assujettissement volontaire des femmes. Leur stratégie manipulatoire est simple : faire croire aux femmes que leurs dieux ont les yeux fixés sur elles. Imbues de leur importance, en attendant de rencontrer les divinités dans l’au-delà, celles-ci acceptent d’obéir aux diktats des hommes, représentants des dieux sur terre.

Tolérer qu’il s’impose à des femmes, sous prétexte religieux, de se dissimuler dans l’espace public contrevient gravement au principe d’égalité en droits, devoirs et dignité des femmes et des hommes et à la laïcité.

La commission Stasi, les rapports des inspecteurs généraux, ont montré les troubles à l’ordre public engendrés par les demandes dérogatoires aux principes républicains.

Regards de femmes a pris l’initiative d’une adresse aux parlementaires (www.regardsdefemmes.com) pour demander d’étendre la loi de 2004 sur les signes religieux
• à l’université et dans les établissements publics d’enseignement supérieur
• à certaines catégories de la population, en situation de faiblesse, notamment les fillettes,
• à des tenues, qui dissimulent entièrement les femmes, telles la burqa.

Parmi les parlementaires signataires, Pascale Crozon, Marc Dolez, Nicolas Dupont-Aignan André Gerin, Françoise Hostalier, Catherine Quéré,

Françoise Hostalier est l’auteur d’une proposition de loi visant « à interdire le port de signes ou de vêtements manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, politique ou philosophique à toute personne investie de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou y participant concurremment », signée par plus de 60 députés.

André Gerin, demande la création d’une commission d’enquête sur le développement du port de la burqa par des femmes en France. Il a été rejoint par 57 parlementaires,

Il est indispensable de légiférer pour faire respecter nos principes fondamentaux de laïcité et d’égalité des sexes, garants de la paix civile.

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25 juin 2009 4 25 /06 /juin /2009 16:58
Donald Woods Winnicott (1897-1971)

Sa vie

Pédiatre et psychanalyste anglais, Donald Woods Winnicott occupe une place à part dans la psychanalyse infantile du fait de son originalité, de son non-conformisme et de sa position en marge des deux écoles britanniques d'Anna Freud et de Mélanie Klein. Ses émissions radiophoniques à la B.B.C. ont eu un impact considérable sur les parents. La plupart des textes de ces émissions sont publiés. Il s'agit essentiellement d'entretiens destinés aux mères de famille. Ses recherches théoriques et ses observations cliniques s'attachent toutes à reconstruire la dynamique de la petite enfance, celle du narcissisme primaire où la relation de la mère et du nourrisson est essentielle. Il essaie de raccorder la connaissance analytique aux notions héréditaires, biologiques, physiologiques indispensables pour comprendre les phénomènes de l'enfance. Son sens de l'humour donne un côté très agréable à ses écrits.

Ses théories

Son approche thérapeutique et ses travaux théoriques ne peuvent être dissociés de sa personnalité singulière. Sa technique du "squiggle game" ou "griffonnage" par exemple est restée célèbre : l'adulte et l'enfant proposent et interprètent tour à tour des "gribouillis" librement dessinés sur une feuille blanche. Winnicott a surtout marqué l'histoire de la psychologie infantile pour ses contributions à deux thèmes : l'objet transitionnel (pouce, bout de couverture, ours en peluche) et la notion de "self". Par ce dernier mot, le psychanalyste désigne une fonction tout à fait originale, qui n'est ni tout à fait le "moi", ni le sujet, ni encore la personnalité. Ce terme s’interprète par contraste avec le "faux self" qui correspond à tout ce qui, chez une personne, est en "toc" ou faux-semblant. Le faux self fonctionne comme protection contre l'angoisse et les agressions mais est aussi révélateur d'un déséquilibre profond. Le vrai "self" représente par opposition la part vivante, spontanée, inventive de l'individu.

Winnicott apporte un éclairage nouveau sur le fonctionnement mental du très jeune enfant. Il considère que le bébé est une personne dès les premiers jours. Il estime que le bébé sait plus de choses sur sa mère qu'elle en connaît sur lui car il a partagé durant 9 mois sa vie intime. Il est persuadé qu'une mère qui aime "normalement" son enfant est une bonne mère. Winnicott s'est aussi penché sur les soins prodigués aux nourrissons. Il donne beaucoup d'importance à la manière dont la mère porte son enfant (holding), la manière dont elle le soigne (handling) et la manière qu'elle a de lui présenter les objets nouveaux (objet presenting). Il estime que les soins doivent posséder des caractéristiques de continuité, de fiabilité et d'adaptation progressive aux besoins de l'enfant. Le "holding", difficilement traduisible, est l'ensemble des attitudes adoptées inconsciemment par la "mère suffisamment bonne " (good enough mother) qui offre à son bébé une sorte de nidation extra-corporelle après la vie intra-utérine. C'est un moyen de le préserver contre l'angoisse, la rupture, la perte. Winnicott insiste sur le fait qu'aucun traumatisme n'est irrémédiable, qu'il existe toujours une possibilité de le réparer. C'est la raison pour laquelle on oppose souvent les conceptions "optimistes" de Winnicott à la vision tourmentée de Mélanie Klein.

"Pour commencer, je pense que vous serez soulagée d'apprendre que je n'ai pas l'intention de vous indiquer ce que vous devez faire. Je suis un homme et, par conséquent, je ne peux pas savoir réellement ce que c'est que de voir là, emmitouflé dans un berceau, un petit morceau de ma personne, un petit morceau de moi ayant une vie indépendante et qui, peu à peu, devient une personne. Seule une femme peut vivre cette expérience. (...). Parmi les choses courantes que vous faites, vous accomplissez tout à fait naturellement des choses très importantes. Ce qui est beau ici, c'est qu'il n'est pas nécessaire que vous soyez savante ; vous n'avez même pas besoin de penser si vous ne le désirez pas. Peut-être avez-vous été désespérément mauvaise en arithmétique à l'école, peut-être toutes vos amies ont-elles eu des bourses, mais vous n'aimiez pas la vue d'un livre d'histoire, ce qui fait que vous n'auriez pas réussi même si vous n'aviez pas eu la rougeole juste avant l'examen. Peut-être encore êtes-vous vraiment savante. Peu importe toutefois, cela n'a rien à voir avec le fait que vous soyez ou non une bonne mère. Si un enfant peut jouer avec une poupée, vous pouvez être une mère normalement dévouée et je suis persuadé que vous êtes cela la plus grande partie du temps. N'est-il pas étrange qu'une chose d'une aussi grande importance dépende si peu d'une intelligence exceptionnelle !"

Ses principaux ouvrages

  • De la pédiatrie à la psychanalyse.
    Payot éd., Paris, 1969 ( Petite Bibliothèque Payot n°253)
  • L'enfant et le monde extérieur.
    Petite Bibliothèque Payot n°205
  • L'enfant et sa famille. P.B.P. n°182
  • La consultation thérapeutique et l'enfant.
    Gallimard, coll.Tel, Paris
  • Processus de maturation chez l'enfant.
    Développement affectif et environnement.
    Payot éd., Paris, 1970 (PBP n° 245)
  • Fragments d'une analyse. P.B.P. n°355
  • La petite "Piggle". Traitement psychanalytique d'une petite fille
    Collected papers, London, 1958, Tavistock
  • The family and individual development.
    London, 1965, Tavistock

Dr Lyonel Rossant et Dr Jacqueline Rossant-Lumbroso





Forum Psychothérapies



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25 juin 2009 4 25 /06 /juin /2009 14:32
le blog jcitoyen.canalblog.com

Le vrai visage de Daniel Cohn-Bendit

Les éco-Tartuffe - Daniel Cohn-Bendit

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25 juin 2009 4 25 /06 /juin /2009 10:46
La fin de l'Orient - Généalogie d'une illusion (fin)
Courrier International Blogs - France
... occidental avec la nature : simple usage du monde, provocation fonctionnelle de la nature et enfin consommation par l'exploitation (Heidegger [4]). ...


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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 18:32
Sonecrit

 

 

Le site de JEAN  CHARMOILLE

 

 

  Psychanalyste Psychologue Psychiatre Ténor lyrique

 
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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 09:58
decroissance

Derrière le masque médiatique
Le vrai visage de Daniel Cohn-Bendit

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Article paru dans La Décroissance n°56-février 2009 (reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur)

Sous des dehors de garçon rebelle à la mèche folle, les options politiques de Daniel Cohn-Bendit, telles qu’il les a exposées dans un livre paru en 1998, sont dans la droite ligne du néo-libéralisme financier. L’ex-leader de Mai 68 milite au Parlement européen pour l’entrée des entreprises dans les écoles, la privatisation des services publics et le travail le dimanche. Cohn-Bendit dans le texte.

Alors que Daniel Cohn-Bendit lance avec José Bové la liste Europe Écologie, que la tête de liste des Vert en Ile-de-France se pique d’employer de temps en temps le terme de « décroissance », il est bon de se replonger dans les écrits de l’ex-leader de Mai 68, et plus particulièrement dans un livre paru en 1998 : Une envie de politique (La Découverte). Ce livre d’entretiens servira de profession de foi pour le candidat lors de sa campagne pour les élections européennes de 1999. À l’époque, il était déjà élu au Parlement à Bruxelles par le biais des Grünen (Verts) allemands.

Une envie de politique (1998) est le cri de ralliement de l’enfant de Mai 68 à l’économie de croissance néo-libérale. « Je suis pour le capitalisme et l’économie de marché », confesse Daniel Cohn-Bendit. La société est à ses yeux « inévitablement de marché ».

 

Privatiser la Poste

Ce credo économique se décline dans tous les domaines. Daniel Cohn-Bendit défend la course au moins-disant social : « Si Renault peut produire moins cher en Espagne, ce n’est pas scandaleux que Renault choisisse de créer des emplois plutôt en Espagne, où, ne l’oublions pas, il y a plus de 20 % de chômage. » Sur la culture, Daniel Cohn-Bendit défend la vision selon laquelle « l’artiste doit trouver lui-même son propre marché », sans subventions. « Eurodisney, avoue-t-il, je m’en fiche. Cela relève de la politique des loisirs. Je suis allé à Eurodisney avec mon fils, je ne vais pas en faire une maladie. Eurodisney, c’est un faux problème. »
L’ex-étudiant de Nanterre n’a rien contre le fait que les jeunes soient payés moins que le SMIC « si en échange d’un salaire réduit pendant trois ou quatre ans, on leur donne la garantie d’accéder ensuite à un emploi ordinaire ». Daniel Cohn-Bendit se déclare pour l’autonomie des établissements scolaires, pour qu’ils fassent sans l’État leurs propres choix de professeurs et d’enseignements. Il n’est pas opposé à l’appel aux fonds privés pour ces établissements afin de créer de « véritables joint-ventures avec les entreprises » et ajoute que « naturellement, l’industrie participerait aussi à la définition des contenus de l’enseignement, contrairement à ce que nous disions en 1968 ». « Mieux qu’Allègre !, résume l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur (26-11-1998). Avec Cohn-Bendit le mammouth  n’aurait plus que la peau sur les os. »

Daniel Cohn-Bendit ne conçoit pas l’économie autrement que l’économie des multinationales, de la pub, de la globalisation et des TGV. Il le dit lui-même avec franchise : « Je suis persuadé que si on dit non à l’économie planifiée socialiste, on dit oui à l’économie de marché. Il n’y a rien entre les deux » (Libération, 6-1-1999). Il reprend à son compte la litanie des ultra-libéraux contre la dépense publique : « Je suis très ferme sur le déficit public. Par principe, tout écologiste conséquent doit être pour une limitation des dépenses publiques. » Les marchés publics doivent être ouverts à la concurrence. « Des services comme le téléphone, la poste, l’électricité n’ont pas de raison de rester dans les mains de l’État. » Il insiste : « Il n’y a pas de raison qu’il existe un service public de télévision. »

Travail le dimanche

Alors que Sarkozy a dû lui-même reculer sur cette question fin 2008, dix ans plus tôt, Daniel Cohn-Bendit se déclare pour le travail le dimanche. « Il faut admettre que les machines travaillent sept jours sur sept, donc admettre le travail du week-end. » La légalisation du travail le dimanche est avant tout profitable aux multinationales contre les entreprises de type familial. Mais l’eurodéputé met sur le même plan ces deux économies différentes, argument connu et honteux pour faire avaler cette destruction du droit au repos : « J’ai toujours été hostile aux horaires obligatoires d’ouverture des magasins (…) Tout le monde est scandalisé par le travail le dimanche, mais un Français serait aussi scandalisé de ne pouvoir faire son marché ou acheter son pain le dimanche. » Au travers de son argumentation sur le travail le dimanche, on comprend mieux la logique « libérale-libertaire » de Cohn-Bendit et l’immense danger qu’elle comporte sous couvert de modernité et de rébellion. Dans l’extrait suivant, le côté « libertaire » prend appui sur la critique de la famille traditionnelle et le désir du « jeune » de s’amuser pour mieux avancer ses pions ultra-libéraux : « Les parents ont besoin d’être avec leurs enfants, mais il ne faut pas réduire les besoins des gens à ceux de la famille traditionnelle, parents avec enfants (…). Bien des jeunes, qui n’ont pas de contraintes ou de besoins familiaux sont prêts à travailler en VSD (vendredi-samedi-dimanche) comme on dit, pour être libres à un autre moment, voire travailler sept jours d’affilée s’ils ont ensuite une semaine de congés pour aller faire de la marche, de l’escalade ou toute autre chose dont ils ont envie. »

Le moderne contre l'archaïque

Daniel Cohn-Bendit reprend la rhétorique connue du modernisme contre l’archaïsme : la protection sociale doit « évoluer », la gauche défend « une vision bloquée de la société », l’extrême-gauche est « une forme de réaction conservatrice »
Concernant l’Europe, il faut savoir que Daniel Cohn-Bendit a été un grand défenseur de l’euro et de l’indépendance de la Banque centrale européenne, qui empêche tout contrôle des États membres sur leur politique monétaire. En 1998, avec Olivier Duhamel, professeur à Sciences-Po Paris, il publie un Petit Dictionnaire de l’euro (Le Seuil). On peut y lire : « Chacun demeure libre de rêver d’un monde sans marchés financiers internationaux, sans libéralisation des échanges, sans globalisation de l’économie. Mais que gagnerait l’Europe, et chacun de ses peuples, à s’inscrire dans cette nostalgie ? »

Les contempteurs de l’Union européenne seraient des nostalgiques. Dans une tribune publiée dans Le Monde du 26 novembre 1998 « Pour une révolution démocratique », Daniel Cohn-Bendit s’en prend aux « antieuropéens » : « Selon eux, l’Europe organiserait le démantèlement des États-providence et servirait de marchepied à la mondialisation sauvage, caractérisée par la libre circulation des marchandises, des capitaux et par le pouvoir absolu des marchés financiers. Face à une Europe qui ne serait qu’un facteur de régression sociale, le cadre national resterait le plus approprié pour défendre les droits des salariés menacés par le capitalisme. »  L’ex-rebelle choisit son camp : « Les pro-européens (…), pour qui l’Europe rend possible le progrès social dans le cadre d’un espace d’intégration supranational. Pour nous, elle agit comme un bouclier face au libre-échangisme, prend progressivement la place des États-nations traditionnels dans le domaine social et, à leurs faiblesses, substitue une nouvelle capacité d’action économique et financière. » Ici encore, le côté libertaire – l’attaque de l’État-nation – sert avant tout à permettre de déposséder les peuples de leur destin politique.

BHL a tout compris

En somme, si l’on me permet cette comparaison publicitaire, Daniel Cohn-Bendit, c’est le Canada Dry de la politique : ça a la couleur de la rébellion, l’odeur de la rébellion, le goût de la rébellion, mais ce n’est pas de la rébellion ; c’est juste l’idéologie capitaliste classique sous une face souriante et décoiffée. Un produit marketing redoutable.

L’éditorialiste Bernard Guetta ne se trompe pas quand il voit en lui l’image d’une génération « radicale dans le ton mais consensuelle et modérée dans ses solutions »(Le Nouvel Observateur, 26-11-1998). Bernard-Henri Lévy, lui, résume le phénomène Cohn-Bendit de manière lumineuse : « Il tient à peu de chose près le discours des gentils centristes, mais de façon tellement plus séduisante et convaincante. Il dit ce que les centristes disent depuis des années. Il tient sur l’euro des propos qu’eux-mêmes hésitent parfois à tenir. Et, miracle de la musique politique : les mêmes mots qui, dans leur bouche sonnaient économiste, marchand... apparaissent dans la sienne ludiques, sympathiques, généreux » (Le Point, 21-11-1998).

Sur la scène politique française, Daniel Cohn-Bendit servira de fait à affaiblir les alliés de la gauche traditionnelle dans le gouvernement de Lionel Jospin : les communistes et les chevènementistes. Georges-Marc Benamou l’explique le 26 novembre 1998 : « [Cohn-Bendit] est-il à même de gagner son second pari : dépasser le Parti communiste, son rival de trente ans ? Ce serait un véritable séisme pour la gauche qui gouverne (…) En introduisant son libéral-libertarisme, son anti-étatisme, son réformisme économique, Cohn-Bendit fendille le bloc des certitudes de la gauche social-démocrate frileuse. »
Les éditorialistes parisiens oublient un détail : les Verts avaient déjà devancé les communistes en 1989, lors de la candidature d’Antoine Waechter aux élections européennes. Les écologistes avaient obtenu 10,5 % contre 7,7 % pour le PCF. Mais Robert Hue était repassé à nouveau devant les Verts à la présidentielle de 1995 (8 % contre 3 % pour Dominique Voynet). Le 13 juin 1999, Daniel Cohn-Bendit change une deuxième fois le rapport de force entre les Verts et le PCF, en obtenant 9,7 % des voix, contre 6,7 % pour Hue. L’ex-leader de 68, avec tout son arsenal médiatique, fera moins qu’Antoine Waechter. Un détail que les journalistes ne mentionnent pas.

Au vu des options politiques de Daniel Cohn-Bendit, il faut inscrire sa victoire dans la lutte interne du parti socialiste entre les tenants d’une politique sociale véritable et les défenseurs du « socialisme moderne ». Alain Madelin, président de Démocratie libérale, résume très bien cette perspective politique : « Il est clair que sur certains sujets, comme les privatisations d’EDF ou des chemins de fer, la retraite par capitalisation, la concurrence et la sélection dans les universités, l’autonomie des établissements scolaires, Daniel Cohn-Bendit développe une approche libérale en contradiction avec le PS et les Verts. Puisse cette évolution permettre l’arrivée d’un libéralisme de gauche dans ce pays » (Le Figaro, 1-12-1998). Lionel Jospin, et Ségolène Royal après lui, choisira la voie du social-libéralisme en 2002. Avec le succès que l’on sait.

 

Enrichissez-vous !

« Centriste » revendiqué, Cohn-Bendit signe avec François Bayrou (UDF) dans Le Monde du 14 juin 2000 un texte intitulé « Pour que l’Europe devienne une démocratie ».  La lune de miel entre le centriste béarnais et le vert allemand continue en 2005, lorsque les deux hommes feront des meetings communs pour défendre le traité constitutionnel européen (TCE). Cohn-Bendit ne nous étonnera pas sur ce point : il avait déjà été favorable au traité de Maastricht treize ans plus tôt.

Mais le couronnement de Dany-le-Jaune se fera, avec tribunes, journalistes et petits fours, lors de la deuxième université du Medef, alors dirigé par Ernest-Antoine Seillière. Les 1er et 2 septembre 2000, les patrons se réunissent sur le thème très chabaniste « Nouvelle économie, nouvelle société » et invitent l’eurodéputé à débattre. L’ex-rebelle accourt. Je vous livre des extraits du compte rendu du Figaro du même jour : « Ils étaient tout contents, les trois mille patrons en chemisettes réunis hier sur le campus HEC de Jouy-en-Josas, de s’être offert pour leur université d’été du Medef l’insaisissable Dany qui, quelques jours plus tôt, boudait ses amis les Verts (…) “Votre question, commence Dany, le capitalisme est-il moral ?, ne m’intéresse pas. Arrêtez ! laissez ça aux curés ! Le souci des capitalistes, c’est de gagner et ils ont raison.” »

Sophie Divry

« L’enfant chéri des médias »

La campagne européenne de Daniel Cohn-Bendit pour les élections de juin 1999 est l’occasion d’un déferlement médiatique considérable autour de sa personne sur le thème « le retour en France du rebelle de Mai 1968 ». Cette occupation médiatique commence au printemps 1998 alors que les médias commémorent avec la légèreté qui est la leur les 30 ans de Mai 68. Elle se poursuit à l’automne. Le 15 novembre 1998, Le Monde fait un portrait du candidat en pleine page, « Cohn-Bendit, l’euro-enthousiaste ». Deux jours plus tard, en une, le quotidien vespéral remarque que « Daniel Cohn-Bendit fait une entrée fracassante dans les médias ». Ensuite c’est Voynet qui prend la parole dans ce journal pour dire à quel point elle le trouve « fascinant » et « émouvant (1) ». Le Figaro suivra sa campagne d’un œil très favorable. Ce quotidien montre son affection à Daniel Cohn-Bendit par deux pleines pages le 10 et le 13 novembre 1998. L’idée principale qui réjouit Le Figaro, c’est que Dany va tailler des croupières au PCF. Le 26 novembre 1998, Le Nouvel Observateur titre en couverture : « Le pavé Cohn-Bendit : il séduit près d’un Français sur trois ». La tête de liste des Verts est décrite en pages intérieures comme « un coup de jeune pour l’Europe », l’hebdo finit son article sur le candidat en rendant grâce à « son talent, qui est grand ». La même semaine, avec ce sens de l’originalité et de la concurrence qu’ont les newsmags, L’Événement du jeudi fait sa une sur : « L’emmerdeur. Enquête sur l’effet Cohn-Bendit. Jusqu’où ira-t-il ? »


Médias, revue de célébration du système médiatique, 12-2008.

Pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir fait un décompte à charge, je laisse ce soin au Parisien, qui, dans son édition du 15 décembre 1998, résume la situation : « En vingt-sept jours, Cohn-Bendit a été l’invité vedette de cinq émissions de télévision et de cinq radios. Il a donné onze interviews à des quotidiens ou des magazines, et fait la “cover” à huit reprises d’hebdomadaires ou de mensuels. Résultat : on voit Cohn-Bendit partout. Le secrétaire national [Jean-Luc Bennahmias] n’a-t-il pas tiré un premier bilan médiatique : “Si on avait dû se payer une campagne d’image équivalente aux passages de Dany dans les télés, les radios et les magazines, ça nous aurait coûté 20 millions de francs” ? »

Malgré tout cela, lorsque le journal Libération interviewe le candidat le 6 janvier 1999, la première question est : « La chasse au Dany est ouverte. En ce début d’année, on dirait que Cohn-Bendit est l’homme à abattre. Ça vous plaît ? » Dans l’édito du jour, Jean-Michel Thénard se pose sérieusement la question : « Daniel Cohn-Bendit est-il le candidat anti-mode ? »
Le candidat « anti-mode » remet son costume au mois de janvier 1999 pour, en trente jours, honorer la une du Point et de La Vie, faire publier à son sujet quinze articles dans Le Monde et une tribune à son nom, ainsi que cinq articles et deux interviews dans Le Figaro. Chaque semaine les quotidiens lui consacrent un ou deux articles au minimum. Les hebdos ressortent en février 1999 les articles à peine recyclés de novembre 1998, ainsi de suite ad nauseam. Je vous évite le décompte des interventions radio et télé. Ce qui est sûr, c’est que, selon les termes du Journal du dimanche, « depuis Bernard Tapie, la télévision n’avait pas tenu un tel bon client » (6-12-1998).
Alors, j’ai un défi pour les éditorialistes parisiens : trouver en 2009 de nouveaux vocables pour définir Daniel Cohn-Bendit sans employer les termes « trublion » et « poil à gratter » que l’on retrouve sous toutes les plumes du parti de la presse et de l’argent. Pourront-ils y parvenir ?

Le « moderne » contre le « ringard »

Comment s’explique un tel engouement du système médiatique pour la campagne Cohn-Bendit ? Daniel Cohn-Bendit se définit lui-même à plusieurs reprises comme « une bête des médias ».  Dans une interview donnée au magazine Médias en décembre 2008, il déclare avoir « une relation naturelle avec les journalistes » et une « connivence objective avec eux » : « Comme je n’arrive pas à me taire et que je raconte tout, ça plaît. C’est aussi simple que ça. »

En fait, c’est encore plus simple : Daniel Cohn-Bendit a un discours propre à plaire aux oligarchies qui détiennent les médias. Replaçons-nous dans la chronologie de cette année 1998. Lionel Jospin est au pouvoir depuis 1997, c’est encore les débuts du gouvernement de la gauche plurielle. Le PCF et les Verts ont des ministres au gouvernement, mais l’avantage est numériquement aux communistes de Hue. Dans ce contexte, en avril 1998, Daniel Cohn-Bendit sort, en coédition avec Le Monde, son livre d’entretiens (2) intitulé Une envie de politique, cri de ralliement aux thèses du néo-libéralisme triomphant.

Le parti de la presse et de l’argent est ravi. Dans notre société du spectacle, les médias comprennent très vite que Daniel Cohn-Bendit est l’outil idéal pour faire passer un message de soumission aux lois du marché. Les médias vont donc répartir les rôles : face au trublion Daniel Cohn-Bendit, Jospin incarnera la figure du ringard encore empêtré dans le socialisme de papa, avec comme boulet à son pied d’« archaïques » communistes. Cette grille d’analyse sera appliquée sans ménagement. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur de l’époque, quand il aura le tort de critiquer l’invasion médiatique par Cohn-Bendit, sera taxé très vite d’« antisémite ». Une mécanique bien huilée.

Les médias savent en outre qu’il ne soulèvera jamais la question de l’inféodation des médias aux groupes capitalistes et aux publicitaires. En 1983, il déclarait : « Toute réglementation des médias est absurde. Je trouve absurde qu’on n’ait pas la télévision pendant 24 heures. Je suis sûr que le problème de la télévision se résoudrait par la concurrence (3). » Quinze ans plus tard, dans Une envie de politique, il persiste en disant que la privatisation de TF1 était « nécessaire » en 1987. Deux ans après l’arrivée au pouvoir de Sarkozy, Daniel Cohn-Bendit est obligé de mettre un peu d’eau dans son vin : « Il existe des interventions politiques de propriétaires de médias : on ne peut pas le nier. Dassault, l’affaire Genestar, plusieurs cas démontrent que le pouvoir ou une force politique peuvent intervenir. Mais c’est l’exception qui confirme la règle. La manipulation des médias relève du fantasme » (Médias, décembre 2008). Concernant sa position sur l’invasion publicitaire, je n’ai rien trouvé d’autre que cet échange avec Karl Zéro (4) :
« – Tu aimes la pub ?
– Ça m’est égal. »

Cela me semble un blanc-seing donné aux pubards, mais sans doute je fantasme.
Ne pas fatiguer les journalistes

Enfant de la société du spectacle, Daniel Cohn-Bendit entretient cette servilité des hommes politiques face aux groupes de presse. « En politique, lorsque le message ne passe pas dans les médias, c’est de notre faute, pas celle des journalistes. » Conformément à ce raisonnement, il concède que les Verts français ont longtemps eu « une approche, un look, une manière d’être qui fatiguent les journalistes (5) ».

Le look, la manière d’être de Cohn-Bendit se veulent différents de ces écolos pénibles qui ne parlent que de politique et de crise. Cohn-Bendit sait plaire aux journalistes : il leur demande de l’accompagner quand il mange le 31 janvier 1999 avec Robert Hue, secrétaire national du PCF. Le candidat vert traite devant eux le communiste de « traditionnaliste » parce qu’il conteste l’autonomie de la Banque centrale européenne. Ce dîner mondain et ses échanges flamboyants donneront lieu à deux articles dans Libération, le lendemain et le surlendemain. Du haut journalisme. La méthode de Daniel Cohn-Bendit, c’est d’être ainsi dans un registre anti-politique. Il le dit clairement : « Je crois qu’aujourd’hui la majorité plurielle néglige l’urgence et l’émotion (6). »

Pour mettre un peu d’émotion, Daniel Cohn-Bendit se plie à tous les jeux médiatiques. Il commente la Coupe du monde de football de 1998 dans le Journal du dimanche. Avant Olivier Besancenot et avec moins de scrupules, il estime que « pour un homme politique, se rendre dans une émission de divertissement n’est pas honteux (7) ». Il déclare à VSD qu’il est « amoureux de sa femme (8) », que Carla Bruni « n’est pas [son] genre même [s’il a] bien aimé son premier disque (9) ». Il se définit lui-même comme un « narcisse », une « pipelette », un « concierge ». On reste cependant frappé par sa confondante immodestie. Ainsi raconte-t-il à Médias : « Quand je me balade avec ma femme à Paris, elle est toujours fascinée – parfois énervée aussi – parce que des gens, souvent des femmes, m’abordent en disant : “Ah vraiment, tu m’as sauvé la vie !” »

Le plus frappant dans cette omniprésence médiatique est certainement son unilatéralisme : jamais aucun article ne critique Daniel Cohn-Bendit ni ne le met en danger sur ses positions. Tous sont à genoux devant lui comme devant une vache sacrée. La Décroissance arrivera-t-elle à rompre ce sortilège ?

S. D.

1 - Le Monde, 1-12-2008.
2 - Tous les « livres » de Daniel Cohn-Bendit sont en fait des livres d’entretiens retranscrits.
3 - Libération, 22-3-1983.
4 - Le Vrai Journal, 27-11-1998.
5 - Médias, hiver 2008-2009.
6 - Libération, 6-1-1999.
7 - Le Monde, 28-11-1999.
8 - VSD, 11-11-1998.
9 - Médias, n°19, hiver 2008-2009.

 

Décroissance : une idée pas raisonnable
« Si vous voulez aujourd’hui vous atta…. une décroissance de l’énergie du pétrole etc. il faut une croissance des énergies renouvelables ! Donc c’est pas c’est pas zéro zéro hein ?! Si vous voulez aujourd’hui par exemple que on consomme moins d’énergie dans l’habitat y faut concevoir des maisons y’a des exemples c’qu’on appelle les maisons passives où vous avez besoin au aucun besoin d’énergie. Si vous vous décidez que dans les 30… les 20 années à venir vous réduisez de 80% l’énergie nécessaire dans l’habitat vous créez un programme une croissance une croissance heu de travail parce qu’y faut le faire inimaginable parce que y’a une réforme une transformation absolument nécessaire donc ça veut pas dire la décroissance qu’on va vers plus et plus de chômage c’est le contraire ! »
Daniel Cohn-Bendit, France 3, « Ce soir ou jamais », 28 janvier 2009.

Daniel Cohn-Bendit n’a rien compris à la décroissance. Le vert allemand est contre tout ce qui ralentit, tout ce qui relocalise ou tout ce qui va dans le sens du « moins ». Son imagination est celle de la croissance, dans sa toute-puissance et sa grandeur. Et d’insulter ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Ainsi, dans le domaine de l’urbanisme, il déplore dans Une envie de politique qu’« il y [ait] plusieurs tendances chez les Verts sur cette question. Certains défendent une idéologie petite-bourgeoise qui fait du small is beautiful l’idéal urbanistique, avec au fond le rêve du retour au village ou à la petite ville. Moi je trouve cela terrifiant. D’autres, justement, essaient de repenser la ville, non pour détruire les gratte-ciel mais avec l’idée de restaurer un équilibre entre les constructions et les espaces verts. » Là, c’est sûr, personne n’est terrifié : ce sera la ligne défendue par le Grenelle de l’environnement dix ans plus tard.

Certains ont néanmoins voulu croire que Daniel Cohn-Bendit et la liste Europe Écologie défendraient la décroissance. Sous le couvert de parler à un moment de « décroissance des flux », Daniel Cohn-Bendit ressort le bon vieux discours sur la croissance verte, la croissance immatérielle… bref, du capitalisme vert. « Dans les années 1970, on plaidait pour la croissance zéro contre la croissance forte. La situation a changé (…) Aujourd’hui l’idée raisonnable, c’est plutôt de s’attacher à la qualité de la croissance », dit-il en préambule dans Une envie de politique, en 1998. Face à la crise écologique et sociale mondiale, Daniel Cohn-Bendit pense donc que la croissance économique infinie est une idée « raisonnable ».  Les Américains, premiers consommateurs de pétrole au monde, seraient quant à eux, pour cette croissance qualitative, des leaders et « nous sommes en retard par rapport aux États-Unis ».

En 2008, il reprend cette même idée de croissance durable lors d’un entretien paru dans le blog Rue89 : « La reconversion de l’économie est non seulement concevable mais nécessaire. Dans cette reconversion, il y a décroissance d’une certaine économie et croissance de l’autre. Croissance de l’énergie renouvelable et décroissance du pétrole et de l’énergie nucléaire. Il y a décroissance de la mobilité simplement organisée autour de l’automobile productrice de CO2 et croissance d’une mobilité publique autour de transports en commun et d’une mobilité individuelle produisant de moins en moins de CO2. Décroissance destructrice et croissance du renouvelable et du durable vont de pair » (26-8-2008).
En somme,  Daniel Cohn-Bendit pense que l’on peut prendre le capitalisme sur son propre terrain… Mais on ne s’en sortira pas en remplaçant les avions par des TGV, ni l’électricité nucléaire par celle issue des énergies renouvelables. Il faut ralentir, réduire, changer de mode de vie, bref, faire décroître l’économie des pays riches, faire baisser la productivité.

Car qu’est-ce que cette croissance qualitative si ce n’est la relance par la consommation ? Ah non, nous dit Daniel Cohn-Bendit : « Si je dis qu’il faut provoquer, inventer de nouveaux besoins, de nouveaux désirs, j’ajoute il faut aussi pouvoir faire le tri entre ces besoins. Dans ce que le marché nous propose, il faut que nous puissions choisir. » C’est là qu’intervient un extraordinaire, très important, crucial et « meilleur exemple » pour Daniel Cohn-Bendit : « les programmes de télévision ». « Aujourd’hui en France, en Allemagne ou en Italie, il est inimaginable d’avoir seulement deux chaînes de télévision. Mais l’offre actuelle – trente, trente-cinq chaînes – est surabondante. Il faut donner aux individus le moyen de savoir choisir. Ce n’est pas évident. » On comprend mieux sa mise en garde selon laquelle « la critique de la société de consommation menée [dans les années 1960] est restée incomplète ». La voilà dûment complétée !

La Décroissance/Casseurs de pub - 11, place Croix-Pâquet - 69001 LYON

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