Voilà un homme qui a posé toute sa vie l’une des plus passionnantes questions du siècle révolu : “qu’est-ce qui rend la haute culture si vulnérable aux sirènes de la barbarie ?” Une sélection de ses articles parus de 1967 à 1997 pour le magazine de référence The New Yorker fait l’objet d’une publication chez Gallimard.
Cet homme né en France en 1929 de parents juifs viennois a mis le nez pour notre bonheur dans tout ce que la littérature, la poésie et la philosophie ont compté de grand au cours du siècle : le grand et non moins polémique philosophe allemand Martin Heidegger sur lequel il a écrit un ouvrage aussi précis que concis (Martin Heidegger), Kafka et l’école de Prague, Karl Kraus et l’école viennoise (Vienne étant selon lui la ville qui a le plus marqué le siècle, lieu d’invention de la satire anti-bourgeoise, de la psychanalyse, du roman déconstructionniste et du nazisme), Philippe Ariès et l’histoire française structuraliste, Louis-Ferdinand Céline (”C’est dans le Voyage que détonent pour la première fois dans la langue le rythme du rock”), André Malraux (dont il moque le biographe, notre stakhanoviste Jean Lacouture, en rappelant qu’un certain John F. Kennedy disait de l’ancien ministre de la Culture :”il nous laisse loin derrière”), la philosophe Simone Weil (”il n’y a eu dans la tradition occidentale qu’une femme philosophe de rang”), Michel Foucault et la french philosophy qui dialoguait avec les maîtres allemands (”tout se passe comme si l’occupation de la France par les ALlemands avait laissé de profondes cicatrices qui se transformèrent en autant de sillons”), etc.
Il ressort de ses articles écrits avec un humour et une curiosité sans égal une morale et une esthétique que nous résumerons comme suit. 1. Apprends les langues étrangères pour réaliser que chaque langue possède son propre imaginaire. 2. Oriente ta libido sur des activités créatives (littérautre, peinture, cinéma, jardinage, etc.) plutôt que sur les stagiaires en jupe. 3. Préfère l’amitié, l’insoumission et le débat au drapeau, à l’autorité et au Grand Soir qui ont déjà fait beaucoup de morts.
Nous parlons tout de même d’un homme qui apaise un soir son ami Arthur Koestler, privé de retour dans son pays natal la Hongrie, en lui affirmant que sa plus grande récompense littéraire consistait à figurer sur la liste noire du KGB pour avoir écrit Le zéro et l’infini. Etre intelligent pour George Steiner, c’est préparer son entendement à effacer une inquiétude sur le visage des êtres qu’on aime.
George Steiner, Chroniques du New Yorker, Arcades Gallimard, 18 euros
Dix raisons (possibles) à la tristesse de pensée - George Steiner - Albin Michel, Paris, France - 00/00/0000
15.00 €
«Si nos processus de pensée étaient moins pressants, moins crus, moins hypnotiques, nos déceptions constantes, la masse grise de la nausée nichée au coeur de l'être, nous désempareraient
moins. Les effondrements mentaux, les fuites pathologiques dans l'irréalité, l'inertie du cerveau malade peuvent, au fond, être une tactique contre la déception, contre l'acide de l'espoir
frustré. Les corrélations manquées entre pensée et réalisation, entre le conçu et les réalités de l'expérience, sont telles que nous ne (...)
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