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Ecosia : Le Moteur De Recherch

10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 15:26

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Pour Roger Munier, 21.12.1923 – 10.08.2010

 

Roger Munier a rejoint cette autre rive dont la mystérieuse proximité au long des jours n’a cessé de le fasciner. En toutes choses il en déchiffrait les signes comme les hiéroglyphes d’une langue magnifique et encore indéchiffrée. La silhouette d’un arbre, l’ombre d’un nuage, le moindre chant le guidaient dans sa quête inlassable de cette autre dimension du monde, imperceptible aux sens et partout présente. Il avait appris à la guetter sans impatience, sans faiblesse, avec la persévérance matoise du chasseur qui connaît tous les détours et les ruses de sa proie. Il ne se souciait pas tant de la saisir que de la contempler. Il avait trop de révérence et de pudeur pour espérer davantage que de s’en tenir à une distance respectueuse. Il n’aimait pas la familiarité, la facilité, la sentimentalité. Il lui importait seulement de scruter, analyser, noter, avec l’objectivité et la précision d’un entomologiste. Mieux valait la sècheresse d’une juste observation que le vague qui ne favorise que trop l’illusion. Il regardait de plus en plus loin le cortège énigmatique des lumières et des choses. Avec une tendresse grandissante, à mesure qu’il sentait s'ouvrir en lui la paix. Il savait d’une longue expérience qu’il n’avait rien à redouter de l’autre côté du monde et qu’il y avait toujours eu, en vérité, sa demeure.

 

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10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 12:33

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Cioran, mon ami !

 

 

 

Nous vivons tous comme si l’on ne devait jamais mourir. C’est l’oubli qui nous protège de la perte. La seule mémoire cellulaire est notre radeau.

 

Pourtant, il n’y a pas de violence dans la mort. Elle est le contraire de la violence. Elle est tout ce que la vie ne saura jamais être. Elle advient à son heure sans que rien ne la gène et ne l’altère. Elle coupe court à tout jugement, à tout excès.

 

Elle est, à mes yeux, l’absolu bonheur inabordable de l’existence. C’est le lieu de sérénité totale. Et, je comprends bien que la vie s’en méfie, qu’elle en soit sa plus grande peur. Sa hantise.

 

C’est la pendaison, le meurtre de nos pensées telles que nous les estimons. Elle est pourtant notre seul sauvetage. Elle est l’expression pure de la culpabilité enfouie qui érode nos chairs. C’est pour cela qu’on rêve, c’est pour cela qu’on croit, qu’on créé et qu’on aime. C’est pour cela qu’on vit. Sans doute.

 

La mort est le seul lieu commun existentiel avec le silence intégral. Y expire le raisonné de la conscience, la défaillance des sens, la compréhension déformée de soi-même. Elle nous renvoie à l’image de la vie : tout à la fois un don et une malédiction.

 

Sans doute parce qu’elle nous offre de voir ce que l’on craint le plus. Dans la perte réside, loge, habite, la paix que l’on a jamais connu. En arrivant au monde, nous sommes déjà veufs de nos histoires. Nous avons oublié notre vie fœtale, notre appartenance au monde des abîmes. Nous avons en nous la puissance de la conscience de l’instant. Nos marques reptiliennes, nos traces préhistoriques, les sens de l’algue marine qui danse sous la mer, tout c’est enfui. Tout est pourtant là imprimé à nos sangs. Nous crions jusqu’à plus soif. Nul écho pour nous répondre. Nulle capacité à nous délayer de nos gènes incrémentés à la douleur et à nos avaries élémentaires.

 

Au début du monde, l’embryon d’où nous venons. A la naissance, notre accouchement est cette première épreuve qui porte nos premières larmes, notre cri de désespoir, notre insuffisance à savoir nous défaire de nous-mêmes pour inventer d’autres chemins, d’autres destinés plus radieuses.

 

La mort n’est ni passé, ni futur. Parce que la vie est ce souffle fragile de l’instant. Parce que la mort occupe tous les lieux où l’immédiat se tait, où les formes sont dépossédées, où nous ne sommes plus que l’essentiel.

 

Nos pensées ne sont que des veilles latentes, des sentinelles du temps. L’amour nous sauve de la gangrène irrémédiable : notre appréciation du monde.

 

Sans la vie, la mort nous serait une merveilleuse escapade, le temple de notre débauche éternelle. Et, nous pourrions alors danser comme des flammes sans braise.

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9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 13:04

1845

L'Unique et sa propriété [1]

 

par Max Stirner (Johann Caspar Schmidt)

 

Extrait de « L'Unique et sa propriété

Je m'appartiens

L'État

Les esprits libéraux

 

Ma propriété sur les choses

Contre tout principe

Je suis l'Unique

L'association

 

* * *

 

Je m'appartiens [2]

 

Que je me propose pour idéal l'humanité, l'espèce, et que je tende vers ce but, ou que je fasse le même effort vers Dieu et le Christ, je n'y vois aucune différence essentielle ; ma vocation est tout au plus, dans le premier cas, plus indéterminée, plus vague et plus flottante.

 

De même que l'individu est toute la nature, il est toute l'espèce.

 

Ce que je suis détermine nécessairement tout ce que je fais, pense, etc., bref toutes mes manifestations. Le Juif, par exemple, ne peut vouloir que telle chose, ne peut « se montrer » que tel et non autre ; le Chrétien, quoi qu'il fasse, ne peut que se montrer et se manifester chrétien. S'il t'était possible d'être Juif ou Chrétien, tu ne produirais plus que du juif ou du chrétien ; mais cela n'est pas possible, toute ta conduite est celle d'un égoïste, d'un pécheur contre les concepts juif, chrétien, etc., car tu n'es pas = Juif. Comme le bout de l'oreille de l'égoïsme dépasse toujours, on s'est informé d'un concept assez vaste et assez compréhensif pour exprimer réellement tout ce que tu es, d'un concept qui, étant ta vraie nature, impliquât toutes les lois qui règlent ton activité. Ce qu'on a trouvé de plus parfait dans ce genre est l' « Homme ». En étant Juif tu es trop peu, et le juif n'est pas ton devoir ; être un Grec, être un Allemand ne suffit pas. Mais sois un Homme, et tu auras tout ; choisis l'humain comme ta vocation.

 

Nous savons désormais où est le devoir et nous pourrions rédiger le nouveau catéchisme. De nouveau le sujet est subordonné au prédicat, et le particulier immolé au général ; la domination est de nouveau assurée à une Idée, et le sol est préparé pour une nouvelle religion. Nous avons progressé dans le domaine de la religion et particulièrement du Christianisme, mais nous n'avons pas fait un pas pour en sortir.

 

Ce pas franchi nous conduirait à l'indicible, car la langue indigente n'a pas de mot pour Me dire, et le « verbe », le logos, n'est, lorsqu'il s'applique à Moi, qu'un « vain mot ».

 

On cherche mon essence. Ce n'est pas le Juif, l'Allemand, etc., c'est — l'Homme. « L'Homme est mon essence. »

 

Je me suis désagréable ou antipathique, je me répugne, je me dégoûte et me fais horreur, ou bien ne suis jamais assez et ne fais jamais assez pour moi. De tels sentiments naît soit l'autonégation, soit l'autocritique. La religiosité commence avec l'abnégation et finit par la critique radicale.

 

[...]

 

L'Égoïste qui s'insurge contre les devoirs, les aspirations et les idées qui ont cours commet impitoyablement la suprême profanation : rien ne lui est sacré !

 

Il serait absurde de soutenir qu'il n'est point de puissances supérieures à la mienne. Mais la position que je prendrai à leur égard sera toute différente de ce qu'elle eût été dans les âges religieux : je serai l'ennemi de toute puissance supérieure, tandis que la religion nous enseigne à nous en faire une amie et à être humbles envers elle.

 

Le sacrilège concentre ses forces contre toute crainte de Dieu, car la crainte de Dieu lui enlèverait tout empire sur ce dont il laisserait subsister le caractère sacré. Que ce soit le Dieu ou l'Homme qui exerce en l'Homme-Dieu la puissance sanctifiante, que ce soit à la sainteté de Dieu ou à celle de l'Homme que nous adressions nos hommages, cela ne change en rien la crainte de Dieu : l'Homme devenu « Être suprême » sera l'objet de la même vénération que le Dieu, Être suprême de la religion sensu strictiori ; tous deux exigent de nous crainte et respect.

 

La crainte de Dieu proprement dite est depuis longtemps ébranlée et la mode est à un « athéisme » plus ou moins conscient, reconnaissable extérieurement à un abandon général des exercices du culte. Mais on a reporté sur l'Homme tout ce qu'on a enlevé à Dieu, et la puissance de l'Humanité s'est accrue de tout ce que la piété a perdu en importance : l'Homme est le dieu d'aujourd'hui et la crainte de l'Homme a pris la place de l'ancienne crainte de Dieu.

 

Mais comme l'Homme ne représente qu'un autre Être suprême, l'Être suprême n'a subi en somme qu'une simple métamorphose, et la crainte de l'Homme n'est qu'un aspect différent de la crainte de Dieu.

 

Nos athées sont de pieuses gens.

 

Si durant les temps dit féodaux nous recevions tout en fief de Dieu, la période libérale nous a mis dans le même état de vasselage vis-à-vis de l'Homme. Dieu était le Maître, à présent l'Homme est le Maître ; Dieu était le Médiateur, à présent, c'est l'Homme ; Dieu était l'Esprit, et l'Homme aujourd'hui est l'Esprit. Sous ce triple rapport, la vassalité s'est transformée : en premier lieu, nous tenons de l'Homme tout-puissant notre puissance, et cette puissance, émanant d'une autorité supérieure, ne s'appelle pas puissance ou force, mais s'appelle le Droit : le « droit de l'Homme ». En second lieu, nous tenons de lui notre situation dans le monde, car il est le médiateur qui ordonne nos relations et celles-ci ne peuvent par conséquent être qu' « humaines ». Enfin nous tenons de lui nous-mêmes, c'est-à-dire notre valeur propre ou tout ce dont nous sommes dignes, car nous n'avons aucune valeur s'il n'habite en nous et si nous ne sommes pas « humains ». — La puissance est à l'Homme, le monde est à l'Homme et je suis à l'Homme.

 

Mais en quels termes déclarer que Je suis mon Justificateur, mon Médiateur et mon Propriétaire ? Je dirai :

 

Ma puissance est ma propriété.

 

Ma puissance me donne la propriété.

 

Je suis moi-même ma puissance, et je suis par elle ma propriété.

 

L'État [3]

 

On s'efforce de distinguer la Loi de l'ordre arbitraire, ukase, ordonnance ou décret, en disant que la première émane d'une autorité légitime. Mais toute loi qui régit des actions humaines (loi morale, loi de l'État, etc.) est l'expression d'une volonté, et, par conséquent, un ordre. Oui, si même c'était moi qui me donnais ces lois, elles ne seraient encore que des ordres que je me serais donnés et auxquels je pourrais un instant après refuser d'obéir. Chacun est libre de déclarer que telle chose lui convient, de s'interdire ensuite par une loi de faire le contraire et de considérer comme son ennemi quiconque transgresse cette loi ; mais nul n'a d'ordres à me donner, nul ne peut me prescrire ce que j'ai à faire et m'en faire une loi. Je dois bien accepter qu'il me traite en ennemi, mais jamais je ne tolérerai qu'il use de moi comme de sa créature et qu'il me fasse une règle de sa raison ou de sa déraison.

 

Les États ne peuvent subsister qu'à condition qu'il y ait une volonté souveraine, considérée comme traduisant la volonté individuelle. La volonté du maître est la Loi. À quoi te servent tes lois, si personne ne les suit ? tes ordres, si personne ne se les laisse imposer ? L'État ne peut renoncer à la prétention de régner sur la volonté de l'individu, de compter et de spéculer dessus. Il lui est absolument indispensable que nul n'ait de volonté propre ; celui qui en aurait une, l'État serait obligé de l'exclure (emprisonner, bannir, etc.), et si tous en avaient une, ils supprimeraient l'État. On ne peut concevoir l'État sans la domination et la servitude, car l'État doit nécessairement vouloir être le maître de tous ses membres, et cette volonté porte le nom de volonté de l'État.

 

Celui qui doit, pour exister, compter sur le manque de volonté des autres est tout bonnement un produit de ces autres, comme le maître est un produit du serviteur. Si la soumission venait à cesser, c'en serait fait de la domination.

 

Ma volonté d'individu est destructrice de l'État ; aussi la flétrit-il du nom d'indiscipline. La volonté individuelle et l'État sont des puissances ennemies, entre lesquelles aucune « paix éternelle » n'est possible. Tant que l'État se maintient, il proclame que la volonté individuelle, son irréconciliable adversaire, est déraisonnable, mauvaise, etc. Et la volonté individuelle se laisse convaincre, ce qui prouve qu'elle l'est en effet ; elle n'a pas encore pris possession d'elle-même, ni pris conscience de sa valeur ; aussi est-elle encore incomplète, malléable, etc.

 

Tout État est despotique, que le despote soit un, qu'il soit plusieurs, ou que (et c'est ainsi qu'on peut se représenter une république), tous étant maîtres, l'un soit le despote de l'autre. Ce dernier cas se présente, par exemple, lorsque, à la suite d'un vote, une volonté exprimée par une assemblée du peuple devient pour l'individu une loi à laquelle il doit obéissance ou à laquelle son devoir est de se conformer. Imaginez même le cas où chacun des individus composant le peuple aurait exprimé la même volonté, supposez qu'il y ait eu parfaite « unanimité » : la chose reviendrait encore au même. Ne serais-je pas lié, aujourd'hui et toujours, à ma volonté d'hier ? Ma volonté dans ce cas serait immobilisée, paralysée. Toujours cette malheureuse stabilité ! Un acte de volonté déterminé, ma création, deviendrait mon maître ! Et moi qui ai voulu, moi le créateur, je me verrais entravé dans ma course sans pouvoir rompre mes liens ? Parce que j'étais hier un fou, j'en devrais être un toute ma vie ? Ainsi donc, être l'esclave de moi-même est ce que je puis attendre de mieux — je pourrais tout aussi bien dire de pire — de ma participation à la vie de l'État. Parce que hier j'ai voulu, aujourd'hui je n'aurai plus de volonté ; maître hier, je serai aujourd'hui esclave.

 

Quel remède à cela ? Un seul : ne reconnaître aucun devoir, c'est-à-dire ne pas me lier et ne pas me regarder comme lié. Si je n'ai pas de devoir, je ne connais pas non plus de loi.

 

« Mais on me liera ! » — Personne ne peut enchaîner ma volonté, et je resterai toujours libre de ne pas vouloir.

 

« Mais tout serait bien vite sens dessus dessous, si chacun pouvait faire ce qu'il veut ! Et qui vous dit que chacun pourrait tout faire ? N'êtes-vous pas là, et êtes-vous obligé de laisser tout faire ? Défendez-vous, et on ne vous fera rien ! Celui qui veut briser votre volonté est votre ennemi ; traitez-le comme tel. Si quelques millions d'autres sont derrière vous et vous soutiennent, vous êtes une puissance imposante et vous n'aurez pas grand-peine à vaincre. Mais si même, grâce à votre puissance, vous parvenez à imposer à l'adversaire, il ne vous considérera pas pour cela, à moins qu'il ne soit un pauvre sire, comme une autorité sacrée. Il ne vous doit ni respect ni hommages, bien qu'il doive se tenir sur ses gardes en mesurant votre puissance.

 

Nous classons habituellement les États suivant la façon dont le « pouvoir suprême » y est partagé ; s'il appartient à un seul, c'est une Monarchie ; s'il appartient à tous, une Démocratie, etc. Ce pouvoir suprême, contre qui s'exerce-t-il ? Contre l'individu et sa volonté d'individu. La puissance de l'État se manifeste sous forme de contrainte ; il emploie la « force », à laquelle l'individu, lui, n'a pas le droit de recourir. Aux mains de l'État, la force s'appelle « droit », aux mains de l'individu, elle s'appelle « crime ». Crime signifie : emploi de sa force par l'individu ; ce n'est que par le crime que l'individu peut détruire la puissance de l'État, quand il est d'avis que c'est lui qui est au-dessus de l'État et non l'État qui est au-dessus de lui.

 

Et maintenant, si je voulais rire, je pourrais, avec une grimace d'orthodoxie, vous exhorter à ne point faire de loi qui contrarie mon développement individuel, ma spontanéité et ma personnalité créatrices. Je ne donne pas ce conseil, car si vous le suiviez vous seriez naïfs, et moi je serais volé. Je ne vous demande absolument rien, car si peu que je vous demande, vous seriez toujours des faiseurs de lois autoritaires ; vous le seriez et vous devez l'être, parce qu'un corbeau ne sait pas chanter et qu'un voleur ne peut pas vivre sans voler. Je me tournerai plutôt vers ceux qui veulent être égoïstes, et je leur demanderai ce qui leur semble le plus égoïste : se faire donner par vous des lois et, ces lois une fois données, les respecter, ou bien se résoudre à l'insubordination, au catégorique refus d'obéir ?

 

De bonnes âmes disent que les lois ne devraient prescrire que ce que le sentiment du peuple estime bon et juste. Mais que m'importe la valeur qu'ont les choses dans le peuple et pour le peuple ? Le peuple sera peut-être ennemi des blasphémateurs ; de là, loi contre le blasphème. Sera-ce une raison pour que je ne blasphème pas ? Cette loi sera-t-elle pour moi plus qu'un « ordre »? Je vous le demande !

 

Toutes les formes de gouvernement reposent sur ce seul principe que tout droit et toute puissance émanent de la totalité, du peuple. Car aucun gouvernement n'omet d'en appeler à la foule, et le despote comme le président, l'aristocratie, etc., agissent et ordonnent « au nom de l'État ». Ils sont les dépositaires de l' « autorité publique », et il est parfaitement indifférent que cette autorité soit exercée par le peuple lui-même, c'est-à-dire (à supposer que ce fût pratiquement possible) par tous les individus réunis en comices, ou seulement par les représentants de ces individus, représentants nombreux comme dans les aristocraties ou représentant unique comme dans une monarchie. Toujours la totalité est supérieure à l'individu, et sa puissance, qu'on dit légitime, est le droit.

 

En face de la sacro-sainteté de l'État, l'individu isolé n'est qu'un vase d'iniquité où foisonnent « l'orgueil, la malice, la soif de scandale, la frivolité, etc. », tant qu'il ne s'est pas prosterné devant l'arche sainte, l'État. La superbe ecclésiastique des serviteurs et sujets de l'État a des châtiments exquis pour l' « orgueil » séculier.

 

Quand le gouvernement déclare punissable tout jeu d'esprit contre l'État, les Libéraux modérés viennent nous dire : Cependant, la fantaisie, la satire, l'esprit, l'humour, etc., devraient pouvoir jaillir ! On devrait accorder la liberté au génie ! Ainsi, ce n'est pas l'homme individuel, mais seulement le génie qui doit être libre ?

 

L'État est pleinement dans son droit lorsqu'il nous dit, ou plutôt lorsque le gouvernement nous dit en son nom : Celui qui n'est pas pour moi est contre moi. Les chansons, les caricatures, tous ces jeux d'esprit qui prennent l'État pour plastron ont jadis porté les États en terre et ne sont pas du tout des « jeux innocents ». Où est d'ailleurs la limite entre la plaisanterie nuisible et la plaisanterie inoffensive ? Cette question jette les Modérés dans une grande perplexité ; ils finissent par rabattre de leurs prétentions et par prier tout bonnement l'État (le gouvernement) de ne pas être aussi susceptible, aussi chatouilleux, de ne pas soupçonner de malveillance là où il n'y en a pas la moindre, et d'être en général un peu plus tolérant. Une susceptibilité exagérée est certes une faiblesse ; en être exempt peut être une vertu louable. Mais en temps de guerre on ne peut pas faire le généreux, et ce qu'on pouvait laisser passer en fermant les yeux tant que régnait le calme cesse d'être permis sitôt l'état de siège proclamé. Les Libéraux modérés le savent si bien qu'ils se hâtent de déclarer que, vu la « soumission du peuple », aucun danger n'est à craindre. Mais le gouvernement est trop fin pour s'y laisser prendre ; il sait trop bien comment on paie les gens de belles paroles pour se contenter, lui, de cette monnaie de singe.

 

Cependant, on veut avoir, comme à l'école, un préau où l'on puisse jouer, car on est en somme un enfant, et on ne peut pas toujours être aussi posé qu'un vieillard. Jeunesse et sagesse ne vont guère de compagnie.

 

C'est pour ce lieu de récréation, pour ces quelques heures de joyeux ébats, que l'on marchande. Tout ce qu'on demande, c'est que l'État ne se montre pas trop grondeur comme un vieux papa bougon, qu'il tolère ce que l'Église tolérait au Moyen Âge, quelques cortèges de l'âne et quelques fêtes des fous. Mais le temps n'est plus où l'on pouvait sans danger traîner la Mère Sotte sur les tréteaux. Les enfants d'aujourd'hui, dès qu'ils ont eu une heure de sortie, dès qu'ils ont vécu une heure sans voir le fouet, ne veulent plus rentrer dans la « boîte ». Car à présent la « sortie » n'est plus un complément de la boîte, elle n'est plus un délassement, un relâche entre deux pensums, mais l'opposé, la négation du pensum : aut — aut. Bref, l'État doit aujourd'hui ou bien ne plus rien tolérer, ou bien tolérer tout et s'effondrer il doit choisir entre une extrême irritabilité et l'insensibilité de la mort. Le temps de la tolérance est passé. Si l'État tend un doigt, on prendra immédiatement toute la main. Ce n'est plus le moment de « rire », et toute plaisanterie, esprit, fantaisie, humour, etc., devient une chose amèrement grave.

 

Les esprits libéraux [4]

 

Quand les « esprits libéraux » réclament la liberté de la presse, ils se mettent en contradiction avec leur propre principe et leur volonté formelle. Ils veulent ce qu'ils ne veulent pas : ils souhaitent que — ils aimeraient à — etc. De là leur inconsistance : sitôt la liberté de la presse accordée, ils demandent la censure. C'est tout naturel, l'État leur étant sacré, de même que la morale, etc. Leur façon d'agir envers lui est celle de gamins mal élevés, d'enfants gâtés qui cherchent à mettre à profit les faiblesses de leurs parents. Papa l'État doit leur permettre de dire un tas de choses désagréables, mais papa l'État a aussi le droit de leur imposer silence d'un coup d'œil sévère et de biffer d'un trait de censure tout leur impertinent babil. S'ils le reconnaissent comme leur papa, ils doivent, comme des enfants, soumettre à sa censure toutes leurs paroles.

 

Ma propriété sur les choses [5]

 

Nulle chose n'est en elle-même ma propriété, vu qu'une chose a une existence indépendante de moi ; seule ma puissance est à moi. Cet arbre n'est pas à moi ; ce qui est à moi, c'est mon pouvoir sur lui, l'usage que j'en fais. Et comment exprime-t-on ce pouvoir ? On dit : j'ai un droit sur cet arbre ; ou bien : il est ma légitime propriété. Or, si je l'ai acquis, c'est par la force. On oublie que la propriété ne dure qu'aussi longtemps que la puissance reste agissante ; ou, plus exactement, on oublie que la puissance n'est pas une entité, mais qu'elle n'a d'existence que comme puissance du Moi, et qu'elle n'existe qu'en Moi, le puissant.

 

Contre tout principe [6]

 

Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot la Hiérarchie, durera aussi longtemps que les prêtres auront la parole — les prêtres, c'est-à-dire les théologiens, les philosophes, les hommes d'État, les philistins, les Libéraux, les maîtres d'école, les domestiques, les parents, les enfants, les époux, Proudhon, George Sand, Bluntschli, etc. La Hiérarchie durera tant qu'on croira à des principes, tant qu'on y pensera ou même qu'on les critiquera, car la critique, même la plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au nom d'un principe.

 

Je suis l'Unique [7]

 

Que l'individu est pour soi une histoire du monde, et que le reste de l'histoire n'est que sa propriété, cela dépasse la vue du Chrétien. Pour ce dernier, l'histoire est supérieure, parce qu'elle est l'histoire du Christ ou de l'« Homme » ; pour l'égoïste, seule son histoire a une valeur, parce qu'il ne veut développer que lui et non le plan de Dieu, les desseins de la Providence, la liberté, etc. Il ne se regarde pas comme un instrument de l'Idée ou un vaisseau de Dieu, il ne reconnaît aucune vocation, il ne s'imagine pas n'avoir d'autre raison d'être que de contribuer au développement de l'humanité et ne croit pas devoir y apporter son obole ; il vit sa vie sans se soucier que l'humanité en tire perte ou profit. — Eh quoi ! Suis-je au monde pour y réaliser des idées ? pour apporter par mon civisme ma pierre à la réalisation de l'idée d'État, ou pour, par le mariage, donner une existence comme époux et père à l'idée de Famille ? Que me veut cette vocation ? Je ne vis pas plus d'après une vocation que la fleur ne s'épanouit et n'exhale son parfum par devoir.

 

L'idéal « Homme » est réalisé lorsque la conception chrétienne se transforme et devient « Moi, cet Unique, je suis l'Homme ». La question : « Qu'est-ce que l'Homme? » devient alors : « Qui est l'Homme? » et c'est à Toi de répondre : « Qu'est-ce que » visait le concept à réaliser ; commençant par « qui est », la question n'en est plus une, car la réponse est personnellement présente dans celui qui interroge : la question est sa propre réponse.

 

On dit de Dieu : « Les noms ne le nomment pas. » Cela est également juste de Moi : aucun concept ne m'exprime, rien de ce qu'on donne comme mon essence ne m'épuise, ce ne sont que des noms. On dit encore de Dieu qu'il est parfait et n'a nulle vocation de tendre vers une perfection. Et Moi ?

 

Je suis le propriétaire de ma puissance, et je le suis quand je me sais Unique. Dans l'Unique, le possesseur retourne au Rien créateur dont il est sorti. Tout Être supérieur à Moi, que ce soit Dieu ou que ce soit l'Homme, faiblit devant le sentiment de mon unicité et pâlit au soleil de cette conscience.

 

Si je base ma cause sur Moi, l'Unique, elle repose sur son créateur éphémère et périssable qui se dévore lui-même, et je puis dire :

 

Je n'ai basé ma cause sur Rien.

 

L'association [8]

 

[...] la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi, le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un Esprit, qui veut être adoré en esprit et en vérité, la seconde est mon œuvre, elle est née de Moi. L'État est le maître de mon esprit, il veut que je croie en lui et m'impose un credo, le credo de la légalité. Il exerce sur Moi une influence morale, il règne sur mon esprit, il proscrit mon Moi pour se substituer à lui comme mon vrai Moi. Bref, l'État est sacré, et en face de Moi, l'individu, il est le véritable homme, l'esprit, le fantôme. L'association au contraire est mon œuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.

 

Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de cité chez moi. Mais j'entends encore moins engager mon avenir à l'association et lui « vendre mon âme », comme on dit quand il s'agit du diable et comme c'est réellement le cas quand il s'agit de l'État ou d'une autorité spirituelle. Je suis et je reste pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment plus aussi que l'association.

 

[...]

 

Personne n'est pour Moi un objet de respect ; mon prochain, comme tous les autres êtres, est un objet pour lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas, dont je puis ou dont je ne puis pas me servir. S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus que l'une d'elles ne pourrait faire isolément. Mais je ne vois dans cette réunion rien d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association.

 

[1] Max Stirner, L'Unique et sa propriété, 1845 (Traduction Robert L. Reclaire. Éditions Stock, 1899).

Extrait de http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.stm.uni (page consultée le 18 sept. 2009), Édition électronique UQAC (fichier PDF).

 

[2] Pages 157 à 159.

 

[3] Pages 165 à 168.

 

[4] Page 168.

 

[5] Page 222.

 

[6] Page 273.

 

[7] Pages 283 et 284.

 

[8] Pages 245 et 247.

 

Philo5...

... à quelle source choisissez-vous d'alimenter votre esprit?

 

 

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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 01:44

 

  L.S.R 
un projet paraphilosophique
pas de son temps
mais: en son temps

L'article suivant est paru en allemand dans

n° 5 du 27 janvier 2000, p. 49.
Max Stirner -- Dissident geblieben

Max Stirner
encore et toujours un dissident
Comment Marx et Nietzsche ont évincé leur collègue Max Stirner et pourquoi il leur a pourtant survécu

par Bernd A. Laska


voir aussi
La crise initiale de Nietzsche
Un nouvel éclairage de la question "Stirner et Nietzsche"

et en allemand
Stirner - Marx - Marxforschung
Stirner - Nietzsche - Nietzscheforschung

Max Stirner ? Le petit bourgeois philosophe, tancé de son temps déjà par Karl Marx ? L'anarchiste, l'égoïste, le nihiliste, le grossier précurseur de Nietzsche ? -- Oui, nul autre que lui. Certes mal famé dans le monde philosophique, qui l'évoque tout au plus en marge, mais encore aujourd'hui détenteur de la dynamite intellectuelle qu'un de ceux qui vinrent après lui prétendit avoir fabriquée.

Il suffit de prononcer son nom pour qu'apparaissent des formules telles que "Je suis Unique", "Il n'y a rien au-dessus de Moi", "J'ai fondé Ma cause sur rien", qui l'ont fait passer pour l'incarnation de l'égoïste sans gêne, du solipsiste naïf, etc... Il n'est donc pas complètement oublié. Son livre, »Der Einzige und sein Eigenthum« (1844) [»L'Unique et sa propriété«] -- il n'en a pas écrit d'autre -- est édité de nos jours encore dans la »Reclams Universalbibliothek« [»Bibliothèque Universelle Reclam«], pour ainsi dire comme l'ouvrage classique de l'égocentrisme. Sans que personne le considère pour autant comme actuel.

Pourtant -- telle est en revanche ma thèse -- voici venu le temps de Stirner. On trouvera peut-être la meilleure explication de ce que je veux dire dans l'histoire de l'influence de son livre, qui s'est exercée de manière étrangement clandestine dans ses périodes les plus riches de conséquences et qui est aujourd'hui encore très peu connue. Elle permet également de comprendre comment et pourquoi l'idée centrale et spécifique de Stirner n'est devenue véritablement actuelle que plus d'un siècle et demi après sa formulation.

***

Stirner a écrit son »Unique« dans le contexte de la philosophie jeune-hégélienne des années 40 du XIXième siècle. Celle-ci, si l'on met à part la critique biblique de ses débuts, a tenté de développer pour la première fois en Allemagne une théorie rationaliste et athée conséquente (la "vraie" ou "pure" critique) et une pratique (la "philosophie de l'action"). Ses théoriciens les plus représentatifs furent Ludwig Feuerbach et Bruno Bauer, tandis que, sur le plan politique et pratique, Arnold Ruge et Moses Hess se distinguaient dans la lutte pour la démocratie et la justice sociale.

Max Stirner fut d'abord un membre plutôt effacé du groupe de Bruno Bauer. Aussi la critique impitoyable de l'ensemble du jeune-hégélianisme présentée dans son livre (»L'Unique«) surprit-elle tout le monde. Stirner ne critiquait pas, dans la philosophie de Feuerbach et de Bauer -- à l'instar des nombreux adversaires du Nouveaux Rationalisme post-hégélienne -- l'athéisme des deux anciens théologiens, mais plutôt le manque de conséquence de leur pensée. Sans doute étaient-ils parvenus à s'émanciper du système totalisateur de Hegel, mais pas à quitter vraiment le "cercle magique du christianisme". D'où le bilan de Stirner: "Nos athées sont des gens pieux !"

Ceux qu'il avait ainsi critiqués virent très bien que Stirner était allé plus loin, et de manière conséquente, sur leur chemin, le chemin de la critique. Et, s'ils admirèrent son audace, ils s'effrayèrent du résultat, qu'ils considérèrent comme un nihilisme moral.

Fascinés en privé -- Feuerbach écrivit à son frère que Stirner était "l'écrivain le plus génial et le plus libre qu'il ait connu", tandis que Ruge, Engels et d'autres se montrèrent également spontanément impressionnés -- ils adoptèrent publiquement une attitude défensive et choisirent de garder leurs distances ou le silence: cette avant-garde intellectuelle réagit de manière ambivalente et tactique à l'œuvre de la plus audacieuse de ses têtes. Personne ne voulut faire avec Stirner ce pas au-delà du Nouveau Rationalisme -- une pensée rationaliste ne devait pas déboucher sur le nihilisme. Et l'on s'alarma au point de ne pas voir que Stirner avait déjà ouvert des chemins "au-delà du nihilisme".

Le réflexe défensif devant les idées stirnériennes caractérise également la plus grande partie de l'histoire de la réception, faite à la fois de ré-pulsion et de dé-ception, de »L'Unique«. L'ouvrage tomba d'ailleurs pour commencer dans l'oubli pendant un demi-siècle; c'est seulement dans les années 90 du XIXième siècle que Stirner connut une renaissance, qui se poursuivit au siècle suivant, toujours dans l'ombre de Nietzsche toutefois, dont le style et la rhétorique ("Dieu est mort", "Moi, le premier immoraliste", etc.) fascinèrent tout le monde.

Quelques penseurs sentirent néanmoins très bien que Stirner, quoique passant pour un prédécesseur borné de Nietzsche, était en fait le plus radical des deux. Ils n'en négligèrent pas moins eux-mêmes de s'expliquer publiquement avec lui. Edmund Husserl parle par exemple, dans un passage isolé, de la "puissante tentation" que représente »L'Unique« -- et ne l'évoque pas une seule fois dans ses écrits. Carl Schmitt, bouleversé par sa lecture lorsqu'il était jeune, n'en dit pas un mot jusqu'au jour où, en 1947, dans la détresse et l'abandon d'une cellule de prison, Stirner vient à nouveau le "hanter". Max Adler, le théoricien de l'austro-marxisme, eut toute sa vie, dans le plus grand secret, une discussion avec »L'Unique«. Georg Simmel se détourna instinctivement de son "étrange espèce d'individualisme". Rudolf Steiner, qui fut à ses débuts un publiciste rationaliste engagé, s'enthousiasma spontanément pour Stirner mais, voyant vite que celui-ci le "conduisait à l'abîme", il se tourna vers la théosophie. Quant aux anarchistes, ils se tinrent silencieusement à distance (Proudhon, Bakounine et Kropotkine) ou eurent avec lui une relation perpétuellement ambivalente (Landauer).

On retrouve ce refus horrifié d'une pensée ressentie comme abyssalement diabolique dans »L'Unique« chez d'éminents philosophes de notre temps. Pour Leszek Kolakowski, Stirner, auprès duquel "Nietzsche lui-même paraît faible et inconséquent", est certes irréfutable, mais il faut à tout prix le frapper d'anathème, parce qu'il détruit "le seul outil qui nous permette de faire nôtres des valeurs: la tradition". La "destruction de l'aliénation" à laquelle il aspire, "le retour à l'authenticité, ne signifierait pas autre chose que la destruction de la culture, le retour à l'animalité ... à un statut pré-humain". Et Hans Heinz Holz nous met en garde: "L'égoïsme stirnérien, s'il était mis en pratique, conduirait à l'auto-anéantissement de l'espèce humaine".

Il est possible que ce soit une angoisse apocalyptique de cette sorte qui ait poussé le jeune Jürgen Habermas à anathématiser, en termes frénétiques, "l'absurdité de la frénésie stirnérienne" et à ne plus jamais évoquer celui-ci par la suite, même lorsqu'il traite du jeune-hégélianisme. Adorno, qui devait se voir, sur la fin de sa carrière de penseur, "ramené au point de vue" -- pré-stirnérien -- "du jeune-hégélianisme", nota un jour de manière obscure que Stirner était celui qui avait véritablement "vendu la mèche", mais on ne trouve pas un seul mot sur lui dans toute son œuvre. Cependant que Peter Sloterdijk ne remarque rien de tout cela et se contente de hocher la tête en constatant que le "génial" Marx a "laissé libre cours à son irritation au sujet d'une pensée en somme aussi simple que celle de Stirner sur plusieurs centaines de pages".

Donc, Karl Marx: sa réaction mérite, comme celle de Nietzsche, d'être soulignée en raison de l'influence qu'elle a eue sur toute une époque. Dans l'été 1844, Marx voyait encore en Feuerbach "le seul penseur qui ait accompli une véritable révolution théorique", mais la parution de »L'Unique«, au mois d'octobre de la même année, ébranla cette conviction, car il sentit très clairement la profondeur et la portée de la critique de Stirner. Tandis que d'autres, dont Engels, commencèrent par admirer Stirner, Marx vit en lui dès le début un ennemi qu'il convenait d'anéantir.

Il envisagea d'abord d'écrire un compte-rendu critique de »L'Unique«, mais abandonna bientôt ce projet et décida d'attendre la réaction des autres (Feuerbach, Bauer). Dans son pamphlet »La sainte famille - Contre Bruno Bauer et consorts« (mars 1845), il épargna donc Stirner. En septembre 1845, parurent la critique de »L'Unique« par Feuerbach et la souveraine réplique de Stirner. Marx, se sentant provoqué à intervenir en personne, interrompit d'importants travaux en cours et se précipita sur »L'Unique«. Sa critique, intitulée »Saint Max«, débordante d'invectives contre "la plus pauvre des cervelles philosophiques", devint finalement plus volumineuse que »L'Unique« lui-même. Toutefois il semble que, son manuscrit terminé, Marx ait à nouveau hésité dans ses réflexions tactiques et, en fin de compte, la critique de Stirner resta inédite.

Le résultat de cette explication menée en privé avec Stirner fut que Marx se détourna définitivement de Feuerbach et construisit une philosophie qui, contrairement à celle de ce dernier, devait être immunisée contre la critique stirnérienne -- ce fut le matérialisme historique. Il paraît néanmoins avoir encore considéré à cette date sa nouvelle théorie comme provisoire, puisqu'il la laissa elle aussi, comme son »Saint Max«, dans ses tiroirs. Voulant éviter à tout prix une discussion publique avec Stirner, il se jeta dans la vie politique, dans les luttes contre Proudhon, Lassalle, Bakounine, etc. C'est ainsi qu'il parvint à refouler complètement le "problème Stirner" -- aussi bien au niveau psychologique qu'à celui de l'histoire des idées.

La signification historique du travail de refoulement de Marx devient claire, lorsqu'on examine la façon dont les marxologues de toute nuance ont vu Stirner et apprécié son influence sur Marx. Ils ont adopté sans le moindre esprit critique et de manière étonnamment unanime la manière de voir d'Engels dans son ouvrage de vulgarisation »Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande«, publié en 1888. Engels y parle de manière purement épisodique de Stirner comme d'un "cas curieux" dans le "processus de désagrégation de l'école hégélienne", qu'il loue Feuerbach d'avoir surmonté.

Cette manière de présenter les choses, bien que grossièrement fausse aussi bien du point de vue de la chronologie que des faits, fut vite généralement acceptée et le resta, même après la parution du »Saint Max« de Marx en 1903. Quoique les réactions de Marx à »L'Unique« de Stirner puissent être documentées de manière convaincante et détaillée, il n'y a eu jusqu'ici que de très rares auteurs -- tels Henri Arvon ou Wolfgang Essbach -- pour traiter du rôle décisif de Stirner dans l'élaboration de la conception du matérialisme historique de Marx et procéder à une réhabilitation sans enthousiasme du premier ne remettant pas en question la supériorité bien établie du second. Cependant, ces travaux eux-mêmes ont été ignorés pendant des décennies et on ne les discute que depuis peu, et avec hésitation, dans les milieux spécialisés.

On peut dire en résumé qu'au refoulement primaire de Stirner par Marx (au niveau psychologique et de l'histoire des idées) a succédé un refoulement secondaire, par lequel les marxologues de toute tendance ont automatiquement fait disparaître, contre toute évidence, le refoulement primaire marxien (ce fut en dernier lieu, et de manière très impressionnante, le cas de Louis Althusser), s'épargnant du même coup d'avoir à procéder au leur.

Friedrich Nietzsche, le second grand "vainqueur" de Stirner, est né l'année (et le mois même) de la parution de »L'Unique«. Toutefois, le jeune-hégélianisme dans son ensemble était déjà considéré partout, du temps de sa jeunesse, comme une philosophie manquant de sérieux, comme les élucubrations de quelques maîtres de conférences chassés de l'Université et de journalistes tapageurs d'avant les journées de mars 1848. Le jeune Nietzsche pourtant, dégoûté par la "sénilité" de ses condisciples, vanta dans une lettre ces mêmes années 40 comme une "époque de grande activité de l'esprit", à laquelle il aurait aimé participer lui-même. Le contact direct avec un vétéran jeune-hégélien orienta aussi le futur philosophe. Au mois d'octobre 1865, Nietzsche rencontra longuement et intensivement Eduard Mushacke, un ancien membre du cercle intime de Bruno Bauer, qui avait été lié d'amitié avec Stirner. Cette rencontre eut pour conséquence immédiate une profonde crise intellectuelle et la décision panique de "se tourner vers la philologie et Schopenhauer".
[pour plus amples détails voir La crise initiale de Nietzsche]

Nietzsche a tenté avec un certain succès d'effacer les traces directes de ce tournant intellectuel décisif -- ce qui donne un poids d'autant plus grand à celles qui subsistèrent.

Bien que, dans le cas de Nietzsche, les choses se présentent dans tous leurs détails (y compris au point de vue de la justification positive) autrement que chez Marx, on peut constater néanmoins des similitudes fondamentales dans l'évolution intellectuelle de ces deux penseurs dont l'influence devait être primordiale: la confrontation avec Stirner dans leur jeunesse; le refoulement (primaire) et l'édification d'une nouvelle philosophie renforçant un courant idéologique commençant de leur époque avant de devenir populaire, parce qu'elle fait avorter l'explication (véritablement en suspens et réclamée par Stirner) avec les problèmes de fond du projet moderne, à savoir "la manière dont l'homme peut sortir de sa minorité", tout en suggérant une solution pratique accessible.

Comme pour Marx, un refoulement secondaire collectif succéda au refoulement primaire -- celui de la recherche nietzschéenne de toute tendance, mais il s'exprima toutefois sous des formes plus souples. On n'hésita pas à comparer des déclarations de Stirner et de Nietzsche -- pour conclure que Stirner était et n'était pas un précurseur de Nietzsche. Il fut également répondu aussi bien positivement que négativement à la question de savoir si Nietzsche avait eu connaissance de »L'Unique«, sans qu'on en tire toutefois de conclusions.

La thèse la plus extrême, celle d'Eduard von Hartmann, veut que Nietzsche ait plagié Stirner. Mais ceux qui avaient compris le véritable apport de Nietzsche, se sont tus.

***

Les philosophes, dans la mesure où ils furent des rationalistes, furent toujours des dissidents. Cependant, tôt ou tard et le plus souvent après leur mort, leur enseignement fut intégré dans le corpus de l'histoire des idées. Contrairement à l'apparence superficielle, cela n'a pas été le cas jusqu'ici pour le critique rationaliste du rationalisme que fut Stirner. Contrairement à Marx et à Nietzsche, il est resté jusque dans notre temps lui-même, qui se croit post-idéologique et ne connaît effectivement plus de dissidence intellectuelle, un véritable dissident -- un dissident durable.

C'est de cette provocation que découle la valeur heuristique de son »Unique« pour l'époque actuelle, et son actualité. L'étude attentive de cet ouvrage et de son influence peuvent nous aider à comprendre l'étrange déclin qu'a connu le projet rationaliste au cours des cent cinquante dernières années -- et peut-être par là même inciter à sa réanimation.

Rationalisme -- on tient presque obligatoirement celui qui, de nos jours, veut faire de ce concept un thème du temps, pour un naïf n'ayant aucune notion de l'histoire des idées. Ne sommes-nous pas depuis longtemps "éclairés", et tout particulièrement sur le rationalisme elle-même ? N'appartiennent-elles pas à une époque passée et n'a-t-on pas depuis beau temps reconnu leurs contradictions ? Puisqu'elles ont engendré, de manière active et réactive à la fois, sur la base d'une image apparemment optimiste mais foncièrement fausse de l'homme, les idéologies meurtrières qui ont conduit aux catastrophes du XXième siècle.

Tous ceux qui ont voulu continuer au XXième siècle le projet rationaliste du XIXième, ont accepté cette leçon -- y compris ceux qui, dans les années 30, ont conçu une "théorie critique de la société" inspirée par Marx et Freud, puis l'ont silencieusement abandonnée peu d'années après pour finir par penser qu'une "dialectique" fatale était inhérente à tout rationalisme.

La proclamation de l'époque post-moderne a rapidement mis un terme aux dernières ambitions rationalistes qui se firent encore quelque peu entendre et effectuèrent une brève percée en 1968. Le projet moderne de rationalisme, déjà discrédité et démodé, devait être définitivement congédié nominalement et l'on résuma ainsi le bilan de siècles de rationalisme: nous sommes désormais éclairés sur le fait que l'homme ne peut être éclairé. L'homme nouveau, que ce soit celui selon Marx ou selon Nietzsche, n'est pas advenu, c'est le vieil Adam qui triomphe. Désormais, tout appel à la création d'un homme nouveau est vu d'un mauvais oeil, voire considéré comme grandement dangereux.

Les choses sont effectivement telles que toute intention de réanimation du projet rationaliste est aujourd'hui étouffée dans l'œuf par le fait que les idées porteuses des derniers penseurs rationalistes ayant agi sur les masses -- à savoir Marx et Nietzsche -- ont été fondamentalement dévalorisées par les expériences historiques du XXième siècle. Leur faillite a fait aussi se décourager ceux qui ne peuvent tout simplement pas croire, en face de l'omniprésent irrationalisme, que l'humanité -- et ne fût-ce que dans sa partie la plus avancée -- soit déjà "sortie de la minorité" et que le dernier mot ait été dit sur les possibilités de la raison humaine.

Pourtant, la faillite des idées rationalistes jusqu'ici dominantes offre aussi une chance. Maintenant que s'est évanoui le prestige de Marx et de Nietzsche, il devrait être possible de revenir à l'endroit de l'histoire des idées, jusqu'ici consciencieusement évité, où a commencé cette évolution erronée -- à savoir les débats rationalistes radicaux des jeunes hégéliens des années 1840, d'où sortirent tout d'abord les idées de Stirner, puis -- principalement en réaction contre elles -- celles de Marx et de Nietzsche.

***

Stirner reprocha aux rationalistes radicaux de son temps d'avoir seulement "tué Dieu" et supprimé l'"au-delà hors  de nous", alors qu'ils conservaient, en "pieux athées" qu'ils étaient, le fondement de l'éthique religieuse, l'"au-delà en  nous", le transposant simplement sous une forme sécularisée. Alors que nous ne nous libérerions de nos chaînes millénaires que lorsque ce dernier "au-delà" aurait lui aussi disparu.

Par l'"au-delà en nous", Stirner entendait très précisément l'instance psychologique pour laquelle Freud créa en 1923 le mot pertinent de "surmoi". Le surmoi apparaît chez l'individu comme le résultat principal de l'acculturation de l'enfant. Il est ensuite l'asile des estimations de valeur qui, engendrées au début de la vie de manière pré- et irrationnelle, ne peuvent plus être influencées que de manière très conditionnelle par la raison. Le surmoi, bien que considéré par l'individu comme son bien le plus personnel, est l'incarnation de l'hétéronomie (Voir à ce sujet »Die Negation des irrationalen Über-Ichs bei Max Stirner« [»La négation du surmoi irrationnel chez Max Stirner«]).

Stirner pensait que le stade de l'évolution au cours duquel un surmoi engendré pré- et irrationnellement gouvernait le comportement des hommes, passerait avec l'accomplissement de la rationalité au stade du gouvernement personnel, c'est-à-dire d'une véritable autonomie des individus.

Cette idée n'a cependant suscité jusqu'ici, partout où elle a été entendue, que de vives réactions de défense -- même chez un rationaliste comme Freud, qui voulait voir le surmoi ancré dans la biologie de manière ferme, inabrogeable et éternelle et qui a vulgarisé la psychanalyse avec la formule: "Là où était le Ça, doit advenir le Moi !" (N.B.: un moi avec surmoi). Et les quelques psychanalystes qui ont tenté de prendre pour thème l'alternative "Là où était le surmoi, doit advenir le moi !", furent aisément mis sur la touche. Mais ceci est un autre chapitre de l'histoire tout à fait non-dialectique de l'auto-paralysie du rationalisme.


traduit par Pierre Gallissaires / le 30 avril 2001
Original allemand: Max Stirner in nuce 

voir aussi
La crise initiale de Nietzsche
Un nouvel éclairage de la question "Stirner et Nietzsche"

et en allemand
Stirner - Marx - Marxforschung
Stirner - Nietzsche - Nietzscheforschung

Copyright 2001-2005 © by Bernd A. Laska

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pas de son temps
mais: en son temps

 

 

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17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 16:01
Le libertinage, les Grecs et 2000 ans de christianisme

Parfois nous n'osons nous l'avouer, mais la vision d'un cul magnifique, c'est souvent ce que nous donne nos émotions les plus intenses et nous ne nous sentons jamais aussi vivants, aussi proches de la connaissance la plus intime du monde que quand nous bandons, quand nous prenons et quand nous jouissons.
 
Il n'est rien de plus urgent, à mon sens, que de retrouver cette unité que 2000 ans de christianisme nous ont fait perdre et de réconcilier enfin l'esprit et la chair.
 
Il suffit de posséder un peu de culture pour savoir que nous devons tout aux Grecs, la tragédie, la comédie, la littérature, la géographie, l'histoire, la philosophie, toutes les catégories de la pensée, la démocratie, la politique, ce peuple de sages et de guerriers a presque tout inventé,
 
Ce peuple est aussi le premier a avoir pris la beauté au sérieux, à oser placer le Beau au dessus du Bien, Regarder les statues de leurs dieux, écouter Homère raconter la gloire et la beauté du corps des guerriers, la marque de la divinité et de l'héroïsme est toujours, l'éclat, la fascination physique et le saisissement qu'ils provoquent,
 
Pour effacer de la mémoire des hommes la gloire d'Apollon et les jolis tétons d'Aphrodite, il a fallu l'image terrible terrible du corps souffrant et martyrisé d'un Dieu crucifié, le dénigrement de la chair, une esthétique nouvelle et épouvantable, celle de la mort, de la souffrance et de l'horreur,
 
Nos saints sont presque tous des martyrs, aux corps blessés, tailladés, livrés aux crocs ou à la flamme, comme si tout l'Occident avait été emporté pour deux mille ans par un terrible instinct de mort,
 
Ce n'est bien sur pas un hasard si la Renaissance de l'Europe a été la redécouverte de la beauté des corps nus et s'est achevée par ce cri «  ;Le bonheur est une idée neuve en Europe «  ; comme si avec l'Ancien Régime on voulait briser aussi des siècles d'anathèmes contre cette idée simple que cela vaut la peine d'essayer d'être heureux,
 
Aussi loin que je remonte dans ma vie consciente, je suis un matérialiste, cela signifie que je crois que la science et l'intelligence peuvent nous aider à déchiffrer le monde, le comprendre, le transformer et qu'aucune joie, aucune consolation ne nous attend quand nous auront franchi les portes de la mort, sinon le néant et l'oubli,
 
La science, justement, celle de la physique quantique ou celle de l'évolution, nous apprennent que nous sommes l'une des composantes d'un univers en mouvement, régi par des lois qui s'expriment par les infinies contingences qui sont le mode d'existence de la nécessité,
 
Des milliards d'années d'évolution où la vie a surgi, pris des formes de plus en plus complexes jusqu'à aboutir à l'émergence capable de scruter le ciel avec intelligence,
 
Si nous voulons bien admettre que nôtre vie consciente est le produit ultime de l'évolution, que nos pensées et nos rêves sont le seul point où l'univers est conscience de lui même, alors il faut aller au bout de ce raisonnement, l'art, la littérature, toutes les catégories de la pensée et de l'émotion constituent ce moment merveilleux où l'évolution n'est plus le simple produit de la combinaison aveugle de forces mécaniques ou naturelles, mais devient l'expression, de la volonté, le jaillissement d'une force créatrice proprement humaines,
 
Joseph Brodsky allant même jusqu'à dire que la poésie comme raffinement ultime du langage est le point, le plus élevé qu'ait atteint l'évolution,
 
Nous sommes en apparence très loin de nôtre libertin et pourtant cette soif de connaissances, cette volonté prométhéennes d'aller jusqu'au bout de tout ce que nous pouvons lire, comprendre, admirer, aimer, cette volonté jamais assouvie de rire, pleurer, s'émouvoir, épuiser toutes les formes possibles de l'amour, du chagrin, du désir, de la passion et même du jeu, tout ce foisonnement, cette exubérance maitrisée tout cela n'est
rien d'autre que la volonté de remplir totalement nos existences et une vie ne saurait être toute à fait pleine sans Vermeer, Shakespeare ou Mozart,
 
Reste le libertinage comme mode de vie et de pensée des rapports amoureux, difficile de citer Darwin ou Einstein pour justifier un amour immodéré des jupons retroussés ou des petites culottes baissées, la satisfaction de tous les sens, l'épuisement de tous les désirs, tous les délires et tous les fantasmes que la chair et l'esprit peuvent ressentir ou imaginer et cela sans autre justification que le plaisir de se faire du bien et d'en donner,
 
Nous sommes comme être humains face à une double malédiction, l'une purement naturelle et l'autre d'origine religieuse et biblique,
 
Nos corps sont voués à la déchéance physique et à la mort biologique, plus tôt ou plus tard sonne l'heure de la fin de toute chair quand vient ce jour fatal où il n'y plus pour nous ni chaleur, ni froid, ni caresses où c'en est fini pour toujours du parfum des fleurs et le grondement des vagues de l'océan,
 
Il faut prendre au sérieux la beauté des femmes, elle ne devrait pas être galvaudée dans des revues infâmes, elle est notre bien le plus précieux,
 
Si je regarde le portrait qu'a fait Vermeer de la jeune fille à la perle ou le visage de nos plus belles, je ne peux rien trouver qui soit plus digne d'admiration, rien qui soit autant capable de nous emporter ainsi jusqu'aux ultimes limites de la perfection, de l'émotion et de tout ce qui nous fait vivre, rugir et bander,
 
A l'éternité qui nous menace et finit toujours par l'emporter, nous ne pouvons opposer que la fulgurance et l'éclat de l'instant, que nos corps brulent comme des feux de joie et se moquent de la cendre, qu'ils se fassent fontaines et torrents et soient doux comme l'herbe tendre.
 
Quand viendra l'heure du dernier sommeil, nous pourrons dire en souriant, ce que nous voulions nous l'avons fait, nos bouches et nos cœurs sont rassasiés et nous quittons ce monde que nous avons tant aimés avec tristesse mais sans regrets, nous sommes la race humaine indomptable et indestructible, d'autres viendront après nous, nos enfants sont notre éternité.
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Nishida Kitarô : le philosophe, sa pensée, et ses enjeux par Michel Dalissier, docteur de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, lauréat du Prix Shibusawa-Claudel
Auteur : Michel Dalissier
Date de l'article : 01-11-2007
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<font color=blue><i><b>Entrée de la dernière demeure de Nishida Kitaro, Kamakura</b>, Photo de l’auteur</i></font>
Entrée de la dernière demeure de Nishida Kitaro, Kamakura, Photo de l’auteur
 

 

Nishida Kitarô : le philosophe, sa pensée, et ses enjeux
 
Pointe extrême-orientale perchée aux bords des abysses du monde, siège depuis l’ère de Meiji (1868-1912) d’une synthèse érudite et originale des traditions philosophiques occidentales et orientales, le Japon pourrait bien représenter une sorte d’athanor où se forge une part des destins incertains d’une philosophie aux dimensions mondiales.
Nishida Kitarô (西田幾多郎1870-1945) le comprit très vite, au travers du geste singulier qui le porta de sa lecture des classiques chinois, puis des écrits bouddhiques, à celle de la philosophie occidentale, remontée, et remise en cause jusqu’à son fondement grec. Né au nord de la ville de Kanazawa, sur la côte occidentale de l’archipel, il enseigna vingt années à l’université de Kyôto, avant de s’éteindre près de Tôkyô, à Kamakura, quelques mois avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. La dernière édition de ses œuvres complètes compte 23 volumes.
Homme d’une érudition immense, à tel point que ses « silences » concernant certains penseurs (Nietzsche, Marx, Freud), prennent figure d’exception remarquables et édifiantes, il apprit avec William James, Hegel, Bergson, Aristote, les langues « vivantes » et « mortes » de la philosophie européenne. Sa « logique du lieu » (場所的論理bashotekironri) permet de donner un sens philosophique à une certaine capacité « mimétique » propre aux Japonais, consistant à « se vider de son soi propre pour englober l’autre », magnifiée dans l’histoire par l’épisode foudroyant d’apprentissage de l’Occident que constitua l’ère de Meiji. Cet « oubli du moi » n’a rien d’une abnégation ou d’un sacrifice, il réintègre notre « conscience », hantée par l’idée de « synthèse » - pensons ici un instant aux efforts d’unification des sciences, du droit -, à ce que Nishida désigne comme le « grand soi » unificateur du « cosmos » lui-même. Un tel « happement » suscitant un « élan vital », un tel « évidement » laissant la place à une « unification » (統一するtôitsusuru) créatrice, il en cherchera éperdument la trace au sein de l’histoire de l’art, des sciences exactes et humaines, et de la philosophie, constellant ses ouvrages d’ « annotations manuscrites » (書き込みkakikomi), dont l’étude fournit à nos yeux le matériau d’une forme inédite de sémiologie.
                 L’ampleur du projet commande la technicité de l’argumentation, qu’aucune introduction, et aucune réduction ne doivent dissimuler. La difficulté rappellera sans doute les textes tardifs de Martin Heidegger (1889-1976). Toutefois, Nishida critiqua sans ambages l’ « ontologie fondamentale » qu’instaura ce dernier. De plus, son attitude méfiante, voire critique à l’égard du régime ultranationaliste japonais, que Yusa Michiko a particulièrement fait ressortir dans sa biographie philosophique, ne paraît en rien comparable aux « compromissions » vis-à-vis du Troisième Reich, que l’on évoque à propos du philosophe allemand.
Outre ses condamnations explicites du « nationalisme » et de « l’impérialisme », Nishida tenta d’intervenir auprès de l’Empereur Shôwa et ne participa jamais aux fameux colloques organisés en 1942 à propos de la question du « dépassement de la modernité » (近代の超克kindai no chôkoku), qui avaient pour finalité de « justifier » philosophiquement le militarisme japonais. Ajoutons que si un tel rapprochement entre deux philosophes japonais et allemand devait conserver un sens, il s’appliquerait mieux à son successeur académique, Tanabe Hajime (1885-1962), ancien élève de Heidegger, dont l’engagement « militariste » est reconnu, même s’il faut rappeler qu’il fût ensuite l’un des seuls à faire de la « repentance » un concept directeur de sa philosophie tardive.
Précisons de plus qu’à cet égard, c’est bien plutôt des critiques renouvelées des thèses nishidiennes par Tanabe et encore Sôda Kiichirô (1881-1927), Miki Kiyoshi (1897-1945), Tosaka Jun (1900-1945), d’inspiration philosophique, politique, sociale, que s’est peu à peu formée au cours du vingtième siècle cette nébuleuse complexe, et il faut l’avouer encore très peu explorée qu’on désigne par l’expression : « École de Kyôto » (京都学派kyôtogakuha) : trois générations d’une trentaine de penseurs, dont certains furent marxistes comme Mutai Risaku (1890-1974), Miki et Tosaka qui moururent en prison du fait de leurs idées, et dont seulement certains participèrent, parfois non sans réserve, aux colloques évoqués plus haut, en particulier Watsuji Tetsurô (1889-1960), Nishitani Keiji (1900-1990), Kôsaka Maasaki (1900-1969), Shimomura Toratarô (1902-1995), Kôyama Iwao (1905-1993), Suzuki Shigetaka (1907-1988).
Quoi qu’il en soit, seul de sa faculté à porter encore le kimono, Nishida, qui était aussi poète et calligraphe, dont la vie privée prit à maintes reprises les visages d’une tragédie de l’existence, confrontée à deux guerres mondiales, des maladies et des deuils dans sa famille, apparaît bien davantage sous les traits d’un marcheur solitaire, perdu – et nous perdant à sa suite - dans ses pensées, ses lectures et ses calculs, que sous ceux d’un fondateur d’école, ou d’un mandarin universitaire. Son journal nous apprend, sur un mode encore trivial, que ne pas pouvoir s’arrêter, en l’occurrence ici de fumer, c’est se trouver au bord du gouffre, offrir à la méditation ce « lieu » abyssal qui borde et brouille la tranquillité du réel, celle-là même dans laquelle nous « chutons » et nous retrouvons comme « enfermés ».
Le contemplateur du « mouvement des vagues » n’eut de cesse d’appréhender ces questions de la négativité  無 de l’« infini » - en japonais littéralement « absence de limite » (無限mugen)-, sous ses expressions mathématiques, religieuses et métaphysiques, en dialoguant avec la philosophie ancienne et médiévale, Plotin, Eckart, Boehme, Descartes, Spinoza, Leibniz, Cantor, Dedekind, Royce. Sa problématique peut s’exposer ainsi : l’idée d’une « régression infinie », c’est-à-dire d’une prospection sans fin des causes et des effets, des principes et des conséquences, doit-elle être entendue en un sens aporétique, ou bien met-elle à l’œuvre une bien mystérieuse effectivité propre à l’infini lui-même, qu’il s’agirait alors de tirer au clair ? L’histoire de la philosophie japonaise contemporaine n’apparaît-elle pas comme une série de répliques apportées à ce séisme engendré par l’excavation du « néant » nishidien ? N’est-ce pas la floribondité du récit ou le miroitement singulier d’une telle anfractuosité que prospectent de nos jours les philosophies du « récit » d’un Sakabe Megumi (1936-), ou de la « transparence » d’un Hase Shôtô (1937-), professeurs émérites aux universités de Tôkyô et Kyôto ?
Nishida déclare dès son premier ouvrage que le néant ne s’identifie pas au « néant pur et simple », qui serait une pure « différenciation », opaque, sans lieu, indicible, impensable : on voit bien qu’une telle entité même doit se penser et se dire. Mais justement, il n’en est pas non plus ce néant que la philosophie réfléchit depuis toujours à partir de l’« être » (有), que capturent langage et pensée, la négation logico-linguistique du « ne…pas », ou « l’idée » métaphysique de néant » (Bergson).
C’est immanquablement, dira-t-on avec raison, l’idée bouddhique de « vacuité » (空) qui se trouve ici à l’oeuvre : mais alors pourquoi abandonner si vite la méditation assise (座禅zazen) au profit de la recherche universitaire la plus académique, quitter les illustrations édifiantes pour se plonger dans un propos aussi abscons et si peu exemplifié, citer si parcimonieusement des penseurs de l’époque de Kamakura (1185-1333) comme Dôgen (1200-1253), Shinran (1173-1262), alors que l’on mobilise à foison l’arsenal conceptuel du cartésianisme, de l’hégélianisme, de l’idéalisme allemand, du néokantisme, de la phénoménologie, du spiritualisme et de la philosophie française de la tradition dite « réflexive » ? Si en outre de très nombreux ouvrages nous éclairent sur cette relation souterraine qu’entretient Nishida avec le bouddhisme japonais, ne conviendrait-il pas également de prendre en compte davantage sa connaissance des classiques chinois ? Ne convient-il pas de préciser également que certains membres ou proches de l’École de Kyôto, comme Suzuki Daisetsu (1870-1966), Hisamatsu Shin’ichi (1889-1980), Nishitani Keiji ont bien plus explicitement que Nishida cherché à réaliser une ambitieuse philosophie du bouddhisme, qu’il soit des sectes Kegon, de la Terre Pure ou zen ?
Contre la réduction de la philosophie occidentale à l’ « ontologie », doctrine qui prend pour objet « ce qui est », et par opposition, de la pensée orientale à une méditation indienne, chinoise, puis japonaise, sur le néant, la métaphysique nishidienne cherche partout à nous faire comprendre que le « néant absolu » (絶対無zettaimu) ne se réduit pas au « non-être » (en grec : mê on), opposé à l’« être déterminé », l’« étant » (on). « Ce qui est », objet, individu, idée, se trouve toujours être dans une « place », spatiale, sociale, psychique, mythique, qui, pour ainsi dire, le collecte. Ce que Nishida appelle le « lieu » (basho) du néant absolu constitue bien plutôt l’opération de « retrait » qui permet à un être de gagner son lieu et d’y reposer ; un peu comme, pour reprendre ces images de Théodore Lipps (1851-1914) et de Platon qu’il affectionnait, le fourreau constitue le lieu ouvert qui permet de ranger une dague, ou mieux, la fuite de la bête (le néant, la vérité) attire à elle le chasseur (l’être, le philosophe).
Ainsi, le problème n’est plus de savoir si le basho est ou n’est pas – à penser, à dire, à signifier; il opère un glissement, une délocalisation au sein duquel « ce qui est » (ce qu’on considère sous le visage de « l’être »), ou bien « ce qui n’est pas » (ce qu’on entend habituellement par « non-être »), prennent place, peuvent s’installer. Que la bête soit encore vivante, à portée, vulnérable, ou non, c’est sa fuite même que poursuit le chasseur, comme « happé » par et en elle, qui, en ce sens, poursuit le néant en son lieu. C’est pourquoi nous distinguons, pour tenter de rendre plus clair le propos nishidien, la « méontologie » qui se limiterait à étudier le « néant » comme « non être », de la « néontologie » qui étudie ce « néant absolu » qui se signale par cette absolue et incessante opération d’ « englobement » (包むtsutsumu) au sein d’une anfractuosité sans cesse ménagée ; la réalité ne constitue rien d’autre pour Nishida que cet étrange lieu qui pour ainsi dire perd pied et dévale sans cesse en lui-même, comme s’il représentait sa propre « issue ».
Quel « témoignage » (Sugimura Yasuhiko) avons-nous de cette « trouée », de cet abîme qui nous semble si étranger ? Ne peut-on déjà y découvrir un lieu pour ce « vide » que remplit notre univers physique, pour ce « néant » que sublime notre « divertissement » (Pascal), pour cet oubli que cherche à écarter notre mémoire, pour le « nihilisme » qui envahit l’âme du poète, ou du philosophe qui cherche le chemin de son autodépassement (Nishitani) ? Nous attestons de la négativité qui se trouve en nous lorsque, comme on dit, nous « faisons le vide », lorsque nous oublions notre « moi » figé pour nous « éveiller à nous-mêmes » (自覚するjikakusuru), à notre réalité abyssale, d’où sourd notre force créatrice, qui nous fait passer de l’état passif à l’état actif. Quand le « je » n’est plus rien de « produit », il devient le siège d’une « production ». L’expression « pratique » et « poïétique » de cet éveil, là où plus aucun « être » ne peut s’offrir à l’éblouissement de l’intuition, constitue le geste parfait, « intuition à même l’action » (行為的直観kôitekichokkan), que l’on pourra illustrer dans le domaine des arts martiaux, et des arts plastiques.
En définitive, croire, c’est-à-dire croire en l’être, n’apparaît jamais pour Nishida que comme cette « erreur » qui « renverse » et « déforme » notre perspective translucide à l’égard de la « chose même », dans sa nudité et sa crudité originelles, de la chose « telle quelle » (そのままにsonomamani), « doublage » qui nous dissimule l’anfractuosité à l’œuvre dans les objets, les idées, les sentiments, en laquelle se tient la richesse de la réalité même.
Les enjeux de l’entreprise de celui qui fut aussi lecteur de penseurs comme Dewey, James, Russell ne concernent pas seulement une relecture, à la lumière de la notion de « lieu » - « topologique » -, de l’histoire de la philosophie occidentale sous son versant « continental », ni cette tentative stupéfiante qui l’accompagne d’asseoir une (anti-) métaphysique nouvelle à l’aube du troisième millénaire. Ils ne peuvent pas éviter également un dialogue critique avec les thèses de la philosophie anglo-saxonne de la tradition dite « analytique » (Frege, Quine, Strawson).
Depuis la fin du 19ième siècle, c’est bien la philosophie toute entière qui se retrouve engagée, avec Nishida et ses successeurs, dans une nouvelle épistémè aux confins encore obscurs.
 
Michel Dalissier

TEXTES DE NISHIDA :

 
『西田幾多郎全集』第八巻第七回配本全22巻岩波書店Œuvres complètes de Nishida Kitarô, (23 tomes), septième édition, Iwanami, 2007.
『善の研究』Recherche sur le Bien (1911). Trad. anglaise An Inquiry into the good, Masao Abe&Christopher Ives, Yale University Press, New Haven and London, 1990.
「論理の理解と数理の理解」Compréhension logique et compréhension mathématique (1915). Introduction, trad. (avec D.Ibaragi), et commentaire de M.Dalissier dans Ebisu, automne-hiver 2003, MFJ.
-『自覚に於ける反省と直観』Intuition et réflexion dans l’éveil à soi (1917). Intuition and Reflection in Selfconsciousness, translated by Valdo H. Viglielmo with Takeuchi Toshinori and Joseph S O’Leary, State University of New York Press, Albany, 1987.
「場所」basho, Le Lieu (1926). Trad. française Le Lieu de Kobayashi Reiko, Osiris, Paris, 2002.
-『場所的論理と宗教的世界観』Logique du lieu et vision religieuse du monde (posthume 1946). Trad. française de Y.Sugimura et Sylvain Cardonnel, Osiris, Bordeaux, 1999.
 
ETUDES SUR NISHIDA :
 
Michel Dalissier, « La pensée de l’unification », (http://www.reseau-asie.com/ rubrique: « Congrès »). « De la néontologie chez Nishida Kitarô », numéro 11 de la Revue de philosophie française, Société franco-japonaise de philosophie (日仏哲学会), Tôkyô, juillet 2006, pp. 184-194. « The Idea of Mirror in Nishida and Dogen », James W. Heisig (ed.), Frontiers of Japanese Philosophy (FJP), Nanzan Institute for Religion and Culture, Nanzan, 2006, pp. 99-142. « Unification and Emptiness in Predication. The Stoics, Frege, Strawson, Quine, Nishida; History of Logic under a Topological Enlightenment », Philosophia Osaka, No. 2, March 2007, Edited by Osamu Ueno, Yukio Irie, Norihide Suto, Yasuyuki Funaba, Osaka University.
Frédéric Girard
: « Logique du lieu et expérience intuitive de l’absolu », dans Logique du lieu et dépassement de la modernité, sous la direction d’Augustin Berque, Ousia, Bruxelles, 2000, p. 217-263. 
James Heisig, Philosophers of Nothingness, University of Hawaii, Honolulu, 2001
John Maraldo, « Translating Nishida », Philosophy East and West, 1989, no 4, p. 465-496. “Self-mirroring and Self-awareness: Dedekind, Royce, and Nishida”, FJP p. 143-163.
新田義弘『現代の問いとしての西田哲学』岩波書店東京、Nitta Yoshihiro, La philosophie de Nishida en tant que question moderne, Iwanami, Tôkyô, 1998
大橋良介『西田哲学―あるいは哲学の転回』筑摩書房東京 Ôhashi Ryôsuké, La philosophie de Nishida – ou le tournant de la philosophie, Chikuma, Tôkyô, 1995.
Ôshima Hitoshi, « la logique chez Nishida Kitarô », Cipango, numéro 2, février 1993, publications Langues’O, Paris, p. 125-137.
Jacynthe Tremblay, Nishida Kitarô, le jeu de l’individuel et de l’universel, CNRS Éditions, Paris, 2000, Nishida Kitarô, l’éveil à soi, Idem, 2003.
Yusa Michiko, Zen &Philosophy, An Intellectual Biography of Nishida Kitarô, University of Hawaii Press, Honolulu, 2002.
 
ETUDES SUR LA PHILOSOPHIE AU JAPON :
 
Frédéric Girard: « En quel sens peut-on parler de philosophie au Japon? », Cipango, numéro 2, février 1993, publications Langues’O, Paris. « La Philosophie au Japon », Encyclopédie philosophique universelle, tome « Le Discours philosophique », PUF, 1992.
James Heisig&John Maraldo, Ed., Rude Awakenings, Zen, The Kyoto School, &the Question of Nationalism, University of Hawaii Press, Honolulu, 1994.
Nishitani Keiji, The Self-Overcoming of Nihilism, trans. Graham Parkes with Setsuko Aihara, State University of New York Press, Albany, 1990.
Gino K.Piovesana S. J., Recent Japanese philosophical Thought 1862-1996, A Survey, Japan Library, Richmond, 1997. 
Zavala Augustin Jacinto, Textos de la filosofia japonesa moderna, El Colegio de Michoacán, Michoacán, 1995. Filosofia de la transformacíon del mundo: Introduccíon a la filosofía tardía de Nishida Kitarô, 1989. La Filosofia social de Nishida Kitarô, id., 1994. La otra filosofia japonesa, id., 1997.
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12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 12:42

   L’idée court depuis Platon que les philosophes sont les « amis » de la sagesse. Sur cette amitié, il y aurait beaucoup à dire. Autant sans doute que sur la « sagesse ». On a relativement peu parlé de cette amitié ou de cet amour, et abondamment traité de la « sagesse ». Pourtant, éclairer le premier point aiderait à comprendre la nature du second. On devrait chercher quelle « sagesse » séduisante, fascinante, irrésistiblement attrayante, est recherchée par les philosophes. On devrait se poser la question : quel type de savoir se trouve être à la fois éclairant et réjouissant, rationnel et passionnant, solide et délicieux ? Un tel savoir, si par hasard il était possible, serait bien déroutant. Si l’on arrivait à l’exposer, on produirait le véritable « attracteur étrange » de la philosophie : le nœud de sentiments et d’affects qui aimante des pensées dispersées et produit une philosophie. Seulement voilà : il n’est nullement facile de le mettre à jour. De très puissantes résistances se coalisent pour l’étouffer.

   Pour en donner une idée, il suffit de rappeler une expérience familière. Qui de nous supporterait l’idée de voir dévoilées (publiquement, et non sur le divan d’un psy) ses pensées les plus secrètes ? Or ces mêmes pensées sont le cœur même de notre être, le noyau sur lequel nous nous construisons continuellement et assurons notre ancrage social. Ce qui est un incroyable paradoxe : le fond même de ce qui constitue une société est le secret le mieux gardé, le noyau de ce que nous nommons « public » est profondément caché. Le soubassement d’une individualité, pourrait-on dire (peut-être), n’est rien d’autre que le mal lui-même. J’ai toujours été frappé par un propos fugace de Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion, où il suggère qu’on ne construit une véritable humanité qu’en se détournant de celle que l’on trouve au fond de soi. Il ajoute : « Le mal se cache si bien, le secret est si universellement gardé, que chacun est ici la dupe de tous : si sévèrement que nous affections de juger les autres hommes, nous les croyons, au fond, meilleurs que nous. Sur cette heureuse illusion repose une bonne partie de la vie sociale. » Cela rappelle le propos de Pascal : « Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure ! »

   Mais le secret pourrait bien ne pas être si redoutable et désespérant… La part soi-disant maudite et maléfique de l’homme n’est peut-être encore qu’une construction, une manière de rester dupe de soi. Il est possible que le fond de l’affaire soit relativement rassurant… Ce que nous avons au plus profond de nous est plutôt un François Pignon, le personnage de Francis Veber dans Le Placard ou Le Dîner de cons (ou un Fatal Bazooka, le personnage incarné par Michaël Youn dans Fatal) : un être fondamentalement dénué de puissance, maladroit et aux prétentions risibles. Un être aussi, notons-le soigneusement, fondamentalement bon. Bon parce que dérisoire, incapable de se hausser, tant il est imprégné de sa finitude, à la transcendance inquiétante du mal. Mais peu importe la nature exacte de cet être secret que nous portons en nous. L’important, c’est qu’il soit, qu’il existe. C’est lui qui existe vraiment. C’est lui le « Dasein ».

   Avec cette idée, revenons à la philosophie. Si l’origine de l’attraction, de l’aimantation qui produit une philosophie est un des secrets les mieux gardés, c’est pour une raison simple : elle concerne le cœur même de l’individualité. Je voudrais proposer une idée toute simple et qui sera sans nul doute violemment rejetée par tout philosophe de profession. L’attraction (l’amour, l’amitié) qui produit la philosophie est de savoir que l’on existe. C’est aussi un personnage, un François Pignon, un Fatal Bazooka (ou un Charlot, le paradigme de tous ces personnages) qui se montre alors, quoique dans une modalité particulière : un être tout étonné d’être et rendu perplexe et maladroit, mal à l’aise dans le monde des valeurs et des idées en cours, par l’idée de son existence. Ce que le philosophe ajoute de singulier à ce sentiment, qui est sans doute plus répandu qu’on ne croit, est assez simple à décrire : c’est une irrésistible attirance pour cet être se découvrant être, cet être qu’il est. Cette redondance du verbe être est d’ailleurs sa formule secrète, son secret pour penser (à l’instar du « je suis celui qui suis » biblique), comme en témoigne la manière dont Heidegger conçoit le Dasein : « l’être pour qui, dans son être, il y a va de son être ».

   C’est sans doute cette attirance pour son être propre, ce regard fasciné avec lequel on se regarde exister qui constitue le nœud de l’affaire ; cela explique que chaque philosophe se taise sur l’origine de sa propre philosophie. En dire quelque chose, serait avouer qu’il est le seul objet de sa philosophie, que l’objet qui l’attire (sous le nom de sagesse, ou de quelque autre nom), c’est lui. Cette idée que l’on peut s’aimer irrésistiblement (que l’on est profondément ému et remué par une existence entre les existences, la sienne) est sans doute l’une des plus inavouables. L’intéressant, c’est qu’elle est aussi l’une des plus fécondes sur le plan du bonheur et de l’intelligence. Mais il s’agit bien d’un savoir : il faut savoir s’aimer.   

 

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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 19:36

 

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