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Ecosia : Le Moteur De Recherch

26 juin 2010 6 26 /06 /juin /2010 10:09

vendredi 25 juin 2010

Bartleby est dans le Grognard n° 14 consacré à Clément Rosset

Le quatorzième numéro du Grognard (Éthique à Quauhnahuac) est disponible et peut être commandé dans toutes les librairies ou directement ici :

10 € (frais de port inclus) - revue.le.grognard@gmail.com
abonnement annuel pour 4 numéro : 30 €

Extrait de mon texte et sommaire :

L'idiotie d'Alberto Caeiro

L’une des originalités de Clément Rosset est d’utiliser avec une certaine parcimonie les références philosophiques, au profit des références littéraires. Comme il le rappelle dans Le Choix des mots, les textes dits littéraires donnent en effet souvent bien plus à penser que les textes philosophiques, sans doute parce qu’ils permettent d’incarner la pensée, de la mettre en situation, ce que doit logiquement rechercher un philosophe du réel. Pourtant, si Rosset balaie le champ littéraire, de la bande dessinée au roman, en passant par le théâtre, il est un genre presque absent de son œuvre : la poésie. Si la présence des références poétiques est rare, elle devient exceptionnelle quand il s’agit pour Rosset d’illustrer sa propre pensée avec des vers.
Cette rareté des références poétiques s’explique peut-être par le fait que la poésie, surtout romantique, ne perçoit généralement pas le caractère profondément idiot du réel, caractère que Rosset définit ainsi :

« Un mot exprime à lui seul ce double caractère, solitaire et inconnaissable, de toute chose au monde : le mot idiotie. Idiôtès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis, par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d’intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d’apparaître dans le double du miroir. »

Si l’art poétique est souvent étranger au caractère « solitaire et inconnaissable » des choses, il est un poète qui, bien que Rosset ne semble pas le connaître, illustre à merveille sa pensée : Alberto Caeiro.

Alberto Caeiro est l’un des hétéronymes de Fernando Pessoa. S’il est moins connu que Bernardo Soares et Alvaro de Campos, sa place, dans l’œuvre du poète portugais, est centrale. Créé dans une crise d’exaltation le 8 mars 1914, il est le maître spirituel de Ricardo Reis, d’Alvaro de Campos et de Pessoa lui-même. Alberto Caeiro est “né” en 1889 à Lisbonne et est “mort” en 1915. Son œuvre, constituée de trois recueils a été écrire à partir de 1911. Sa poésie est qualifiée de « sensationnisme » car il s’agit pour lui d’accueillir le réel en lui-même et pour lui-même, ce qui est une prise de position assez originale dans l’histoire de la poésie. En effet, lorsque les poètes convoquent la nature, celle-ci n’est, la plupart du temps, que la manifestation apparente d’une réalité transcendante d’ordre spirituel et, ainsi que l’écrit Baudelaire, ils s’y promènent comme « à travers des forêts de symboles ». La structure de la poésie est métaphysique et l’on pourrait croire que c’est à son propos que Rosset écrit :

« Selon cette structure métaphysique, le réel immédiat n’est admis et compris que pour autant qu’il peut être considéré comme l’expression d’un autre réel, qui seul lui confère son sens et sa réalité. Ce monde-ci, qui n’a par lui-même aucun sens, reçoit sa signification et son être d’un autre monde qui le double, ou plutôt dont ce monde-ci n’est qu’une trompeuse doublure. »

Rosset dénonce ici l’attitude métaphysique qui consiste à considérer que le réel a moins de réalité que son double. Le réel serait un moindre-être tirant sa consistance résiduelle d’une autre réalité, plus riche en être (comme un aliment peut être riche en vitamines x ou y), en fait fictive, qui le transcenderait et lui donnerait du sens. Les hommes ont en effet le plus grand mal à admettre la cruauté du réel, définie par le philosophe, comme « le caractère insignifiant et éphémère de toute chose au monde. » Cette attitude est également dénoncée par Alberto Caeiro :

« Toi le mystique, tu vois une signification en toute chose.
Pour toi tout a un sens voilé.
Il y a une chose occulte dans chaque chose que tu vois.
Ce que tu vois, tu ne le vois jamais que pour voir autre chose.
Pour moi, grâce à mes yeux faits seulement pour voir,
Je vois l’absence de signification en toute chose ;
Je vois cela et je m’aime, puisque être une chose c’est ne rien signifier du tout.
Etre chose c’est ne pas être susceptible d’interprétation. »


Qu’il soit qualifié de métaphysique ou de mystique, le discours poétique nous incite, ne serait-ce que par l’emploi de la métaphore, à nous détourner du réel. Comme son sens étymologique l’indique, la métaphore nous pousse à porter notre regard ailleurs. La métaphore transporte le lecteur des mots à une réalité autre que celle qu’ils sont censés désigner. Dans “Voyelle”, par exemple, la lettre A, pour Rimbaud, n’est pas une lettre, mais le « noir corset velu des mouches éclatantes ». Or, on le sait, pour Rosset, le seul mode d’appréhension légitime du réel est le principe d’identité, selon lequel A n’est qu’égal à A et à rien d’autre :

« J’appellerai ici réel, comme je l’ai toujours fait au moins implicitement, tout ce qui existe en fonction du principe d’identité qui énonce que A = A. »


TABLE DES MATIERES

Le Grognard 14 a été réalisé sous la magistrale direction de Stéphane Prat.

- Avant-Propos - Stéphane Prat

- L'homme qui en savait trop - Stéphane Prat s'entretient avec Clément Rosset.

- 1. Hors-d'oeuvres
- Tout n'est pas entièrement ténèbres - Clément Rosset
- Raconte moi un camembert - Clément Rosset

- 2. Raccourcis pour le sud de nulle part
- Notes d'un incapable - Stéphane Prat
- L'idiotie d'Alberto Caeiro - Éric Bonnargent
- Le naufrageur naufragé ou la joie nihiliste - Koffi Cadjehoun
- Quel drôle d'animal que le réel ! - Nicolas Delon
- 3. Epreuves de réel, présents
- Le cactus à tarentules - Stéphane Prat
- Journal sans titre - Emmanuel Thomazo
- Coquecigrues Grimaces Caresses - Henri Droguet
- Mystères, charabias et bégaiements - Jean-François Mariotti

- Du cote des livres - Koffi Cadjehoun, Pascal Pratz, Jacques Lucchesi, Stéphane Beau
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commentaires

O
<br /> <br /> Vu l'heure tardive mais surtout la chaleur lourde que le soir n'atténue pas beaucoup par ici, excusez ma négligence et mes répétitions de mots ("connais","connaissance", "connu"...)<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Je connais mieux Rimbaud que Pessoa, ayant tendance à mettre les "Illuminations" tout au sommet de la poésie mondiale, à la frontière de la connaissance mystique et dans un monde de<br /> beauté autrement indicible.<br /> <br /> <br /> Il est connu que les poètes nous en apprennent plus sur la réalité humaine et même sur celle du monde que certains essayistes et philosophes dogmatiques pourtant célèbres!<br /> <br /> <br /> Cela dit j'avoue mon ignorance non seulement à propos de Pessoa mais de l'intérêt qu'il y aurait à le lire, me méfiant un peu -à tort?- des Protées et des caméléons...<br /> <br /> <br /> Qu'en pensez-vous?<br /> <br /> <br /> Bien amicalement, Oscar<br /> <br /> <br /> <br />
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