Claude B. Levenson, journaliste engagée
Par Arnaud Vaulerin, Journaliste à Libération
C’est la voix d’une femme de lettres militante qui s’est tue mardi matin en Suisse.
Claude B. Levenson est décédée à 72 ans des suites d’un cancer. Ecrivaine et journaliste, elle avait «choisi l’arme de la parole et de l’écrit pour soutenir le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes face à l’oppression dictatoriale ou coloniale, en particulier du Tibet».
Car elle était «une amie de longue date du Tibet et des Tibétains»,de l’aveu même du dalaï-lama qu’elle suivait depuis plus de vingt-cinq ans.
«Elle était tombée en passion pour cet homme et cette région, se souvient son amie, la sinologue Marie Holzman. Elle était très consciente des risques de mort de la culture tibétaine à cause des
agissements des autorités chinoises.»
C’est en 1984 qu’elle se rend pour la première fois au Tibet. Elle y séjournera très souvent jusqu’à ce que son visa et celui de son mari, le journaliste Jean-Claude Buhrer, soient refusés en
2005 par Pékin.
Dans ce qui restera probablement l’un de ses livres les plus clairvoyants, Tibet, la question qui dérange (Albin Michel, 2008), Claude B. Levenson posait les enjeux sans détour : «La question du
Tibet est de nature essentiellement politique. C’est une question de domination coloniale : l’oppression du Tibet par la République populaire de Chine et la résistance du peuple tibétain.» Elle
contrecarrait la propagande de Pékin : «Reconnaître l’intégrité territoriale de l’Etat chinois ne signifie pas reconnaître la légitimité de l’invasion ni de l’occupation du Tibet.»
Insoumise par nature, y compris à toute forme de religiosité bigote, elle était «devenue philosophiquement bouddhiste», rappelle Philippe Picquier, l’un de ses éditeurs qui dresse le portrait
d’une auteure «très exigeante et très pudique», refusant tout prosélytisme.
Chez Picquier, elle avait signé un livre sur la rencontre de Aung San Suu Kyi avec Jean-Claude Buhrer. Militante mais pas dupe sur l’opposante birmane et son image d’idole, elle évoquait dans ces
colonnes «une personnalité très dure» qui «a trop voulu croire qu’il suffisait d’exiger la démocratie pour régler les problèmes. C’est un peu court comme programme, surtout quand il s’agit
d’envisager l’après-situation militaire».
Claude B. Levenson appartenait à ces auteurs dont le voyage nourrit l’écriture. Ses amis se souviennent des mails et des mots reçus du Sri Lanka, d’Indonésie, du Cambodge, du Népal, etc. qui
préfiguraient des livres, des reportages pour le Monde, le Nouvel Observateur, Géo, des commentaires politiques pour Libération ou la Radio suisse internationale.
Avant d’épouser l’Asie, elle avait vécu plusieurs années en Amérique latine et suivi les événements en Argentine dans les années 80.
Elle s’était liée d’amitié avec l’écrivain et diplomate mexicain Octavio Paz. Slavisante et orientaliste, Claude B. Levenson parlait bien une douzaine de langues apprises à l’école publique, au
lycée Victor-Duruy à Paris et surtout à Moscou. C’est là, à l’université Lomonossov, où elle avait étudié le russe, la linguistique, la philosophie, l’Inde et ses religions, qu’avait débuté la
carrière d’une passionnée. Qui n’était pas une pasionaria.
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