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Ecosia : Le Moteur De Recherch

15 décembre 2008 1 15 /12 /décembre /2008 10:40
 

L''image de la sphère infinie constitue la métaphore la plus frappante de l'intelligence divine elle-même, dans son rapport à l'ensemble de la création. De quoi s'agit-il? Parmi les propositions du Livre des XXIV philosophes, parfois attribué à Hermès Trismégiste, il en est plusieurs qui semblent avoir fortement marqué l'imagination de Maître Eckhart. La seconde proposition de ce livre s'articule comme suit: "Dieu est une sphère infinie, dont le centre est partout, et la circonférence nulle part." (Deus est sphaera infinita, cuius centrum est ubique, circumferentia nusquam.) (1) Maître Eckhart non seulement varie sur ce thème célèbre, en combinant parfois cette proposition avec la troisième ou la dix-huitième (2), mais il va plus loin, en définissant comme intellectuelle la nature de cette sphère, ajustant de la sorte l'image déconcertante du pseudo-Hermès Trismégiste à sa vision d'une mystique spéculative: "'Deus', ut ait sapiens, 'est sphaera' intellectualis 'infinita, cuius centrum est ubique cum circumferentia'" On remarque ­ outre l'adjonction du mot intellect ­ que Maître Eckhart fait coïncider le centre avec la circonférence, de sorte que, le centre étant partout et la circonférence nulle part, il est possible de déduire que la circonférence n'est que par le centre, qu'elle tire son être et son intelligence de ce dernier, sans pour autant être ce dernier; car le centre n'est pas la circonférence, mais il est avec la circonférence. C'est ainsi que l'être est "partout" avec la créature, car il supporte toutes choses ­ alors que le "nulle part" n'est que dans le néant de la créature prise en elle-même. Rien n'est en effet aussi dépourvu de "lieu" que le néant, de sorte que "néant" est proprement le lieu de "nulle part". L'image de la sphère infinie désigne ainsi toute la plénitude de Dieu, laquelle, omniprésente, vient combler en son intérieur le "nulle part" de la créature, afin de tirer cette dernière de son néant. La créature apparaît alors comme un moyen terme entre Dieu et le néant (quasi medium inter deum et nihil), ou encore, comme un intermédiaire entre le "nulle part" du pourtour de la sphère et la plénitude même de Dieu. Cette vision ne compromet pas la transcendance divine, car Dieu est certes "partout", mais il demeure "au centre", ce qui revient à dire qu'il est caché. Voilà pourquoi, bien qu'il soit "partout", Dieu n'est ­ sous une autre perspective ­ localisable "nulle part"; par le fait même qu'il reste toujours "à l'intérieur", il résulte qu'on ne peut le localiser, de sorte que son intériorité absolue est proprement le signe de sa transcendance absolue.(3)

 


 

Notes:

1. Clemens Baeumker, "Das pseudo-hermetische 'Buch der vierundzwanzig Meister', Studien und Charakteristiken zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters." in Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters XXV, 1928, p. 208. Le Liber XXIV Philosophorum ­ utilisé avec prédilection par Maître Eckhart ­ a longtemps été attribué à Hermès Trismégiste. Cette attribution, ainsi que la condamnation des écrits de Maître Eckhart, auraient conduit par la suite à la mutilation de certains manuscrits reproduisant les propositions des XXIV philosophes. Cf. à ce sujet M. d'Alverny, "Un témoin muet des luttes doctrinales du XIIIe siècles", in Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, XVII, 1949, p. 223. Le 'Liber XXIV philosophorum' a été traduit du latin, édité et annoté par Françoise Hudry: Le Livre des XXIV Philosophes, Jérôme Millon, Paris 1989.

2. Prop. III: "Deus est totus in quolibet sui", Prop. XVIII: "Deus est sphaera, cuius tot sunt circumferentiae, quod sunt puncta", Baeumker, op. cit. p. 208 et 212.

3. Tiré de Wolfgang Wackernagel, Ymagine denudari. Éthique de l'image et métaphysique de l'abstraction chez Maître Eckhart, Études de philosophie médiévale n° 68, Paris, Vrin 1991, p. 127.

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