Biographie en résumé
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Philosophe allemand (1889-1976).
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Vie et œuvre
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Témoignage de Ernst Jünger sur Heidegger
Pendant la seconde guerre mondiale, alors qu'il occupait un poste militaire à Paris, Ernst Jünger a rencontré de jeunes français
qui se penchaient sur Heidegger. «J'y ai vu, dit-il, un bon signe de la force d'attraction d'un penseur. En dépit des granves bouleversements et conflits qui nous
divisaient, subsistaient quand même des ponts spirituels, qui tenaient bon.»
Jünger devait prolonger sa réflexion sur la force d'attraction de Heidegger dans le cadre du texte qu'il écrivit à l'occasion du
80e anniversaire du philosophe.
«Comment se fait-il que le magnétisme de ce penseur puisse triompher d'aussi fortes résistances ? Au cours de ces rencontres,
j'ai pris conscience que ce n'est pas la langue seulement qui pouvait avoir produit un tel effet. Peut-être vaudrait-il d'ailleurs mieux parler d'influence que d'effet -
parler du passage à un niveau supérieur, fort mais anonyme. Ainsi, dans les écluses, les bateaux s'élèvent insensiblement selon l'étiage. On entre dans le champ de force
d'un esprit et l'on s'en trouve modifié. Ici, il fallait présupposer encore autre chose que la persuasion au moyen des vocables, des idées, voire peut-être de l'originalité
de la pensée même. Des éléments informulés devaient, en outre, entrer en jeu, une force d'attraction sous-jacente aux mots et aux pensées.
Cette supposition se trouva confirmée dès ma première rencontre personnelle avec le philosophe, là-haut dans la Forêt-Noire, à
Todtnauberg. Dès l'abord, il y eut là quelque chose - non seulement de plus fort que le mot et la pensée, mais plus fort que la personne même. Simple comme un paysan, mais
un paysan de conte qui peut à son gré se métamorphoser en e gardien du trésor, dans la profonde forêt de sapins », il avait aussi quelque chose d'un trappeur.
C'était celui qui sait, celui que le savoir ne se borne pas à enrichir, mais égaye comme Nietzsche l'exigeait de la science. Il
était, dans sa richesse, inattaquable - voire insaisissable, et l'eût été même si les huissiers étaient venus saisir ses vêtements - un regard madré, en coulisse, le
révélait. Il aurait plu à un Aristophane.
Il ne m'a été donné de ressentir une impression de force aussi directe qu'une seule fois encore, bien que j'aie rencontré de
nombreux contemporains qui portaient, à bon droit ou non, un nom illustre. Dans ce second cas, je pense à Picasso. En ce qui concerne sa création aussi, je suis moins
connaisseur qu'amateur. Dans les deux cas, j'ai senti la force spirituelle indéterminée qui produit l'objet particulier, que ce soit dans les pensées, les actes ou les
images - bref, l'oeuvre.
Un mot simple comme l' être » (le Sein) a des profondeurs plus grandes qu'on ne saurait l'exprimer, ni même le penser. Par un mot comme e sésame », l'un entend une poignée de
graines oléagineuses, alors que l'autre, en le prononçant, ouvre d'un coup la porte d'une caverne aux trésors. Celui-là possède la clef. Il a dérobé au pivert le secret de
faire s'ouvrir la balsamine.
La patrie de Martin Heidegger est l'Allemagne avec sa langue. Le pays familier de Heidegger est la forêt. Il y est chez lui, là
où on n'est jamais passé et sur les chemins sylvestres. L'arbre est son frère.
Lorsque Heidegger approfondit le langage, se plonge clans l'enchevêtrement de ses racines, il fait plus que ce qui, selon
l'expression de Nietzsche, est « exigé de nous autres philologues u.
L'exégèse de Heidegger est plus que philologique, plus qu'étymologique. Il saisit le mot là où, encore frais, celui-ci somnole
dans le silence, en pleine force germinative, et il le sort de l'humus sylvestre.
Non pas que, dans le vocable, Heidegger découvre le sens nouveau et inconnu. Bien plutôt, à la manière d'un mineur, il projette
sur lui une intention nouvelle. Le mot, tout proche de l'informulé, devient ductile, il commence à répondre, du fond de la matière silencieuse. Et pas seulement le mot, les
pensées, les idées, les images aussi. La surprise sur le plan philologique n'est qu'une de nos nombreuses surprises. Elle confirme qu'il a saisi le mot au bon endroit, qu'il
a eu la main heureuse.»
Ernst Jünger, Rivarol et autres essais, Grasset, Paris 1974 p.129-131
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Œuvres de Heidegger
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Traductions françaises
Être et temps (Sein Und Zeit) (1927)
Lettre sur l'humanisme
Qu'est-ce qu'une chose?
Approche de Hölderlin
Qu'est-ce que la métaphysique? Traduit de l'allemand par Henry
Corbin. Paris, NRF/Gallimard, 1951.
Le principe de raison
Essais et conférences. Traduit de l'allemand par André Préau. Paris,
Gallimard, 1958.
Kant et le problème de la métaphysique
Nietzsche. Traduit par Pierre Klossowski. Paris, Gallimard, 1971. 2
vol.
Chemins qui ne mènent nulle part. Paris, Gallimard,
1962.
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Documentation
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Rahner, Karl. « Introduction au concept de philosophie existentiale chez Heidegger », Recherches de sciences religieuses, 30, 1940, pp. 152-171.
Steiner, George. Martin Heidegger. Traduit par Denys de Caprona. Paris, Albin Michel, 1981. Réédité en 1987 chez Flammarion.
Steiner, George. « Les "Logocrates": de Maistre, Heidegger et Boutang », Les logocrates. Traduit par Pierre-E. Dauzat. Paris, L'Herne, 2003.
Textes en ligne
Richard Schmitt, Martin Heidegger on Being Human. An
Introduction to Sein Und Zeit, An Authors Guild Backprint.com Edition, 1969, 2000.
Josette Lanteigne, L'horizon temporel chez Kant et
Heidegger, L'Agora, vol 8, no 2, avril-mai 2001.
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